Chapitre 7.8 : Fileya
Voir ses amis aussi promptes à se battre réchauffa instantanément le cœur de Fileya, qui changea son masque de haine contre un rictus confiant, digne de ceux qu'arboraient généralement son meilleur ami. Cependant, et contre toute attente, la jeune fille n'invoqua pas immédiatement son bâton de magicienne. Non, au lieu de cela, elle s'avança d'un pas confiant en direction de son adversaire qui les toisait désormais de haut, persuadé d'avance qu'il avait déjà gagné la guerre, alors qu'elle venait à peine de débuter.
Se démarquant du rang formé par ses fiers et courageux amis, Fileya déclama, sur un ton confiant et sans peur :
– Tu vas nous laisser passer.
– Et pourquoi ferais-je une telle chose ? s'offusqua immédiatement le chef en costume bleu de l'escouade des Miliciens qui les cernaient de toutes parts depuis les allées autour des jardins ouverts.
Les soldats avaient tous levés leurs fusils en direction du petit groupe, les tenant en joue. Mais aucun ne semblait craindre la menace qu'ils représentaient, ou tout du moins ils faisaient des efforts inhumains pour ne pas le montrer, Fileya la première.
– Parce que je connais les sentiments que tu caches au fond de ton cœur, reprit la jeune fille d'une voix douce, presque mielleuse, ce genre de voix que prenaient généralement les filles pour se faire désirer et obtenir tout ce qu'elles souhaitaient. Et je sais que tu n'oserais jamais me faire de mal.
Teki sembla aviser un temps ses paroles. La fière expression sur son visage avait laissé place à un fort embarrât, sa mâchoire serrée de contrariété. Autour de lui, quelques soldats les plus téméraires échangèrent quelques commentaires indiscrets, jetant des coups d’œil à leur chef d'escouade derrière leur lourd masque en métal.
Souhaitant retrouver au plus vite sa prestance bafouée, le second de Seven apposa sa main gantée sur le manche de l'une de ses épées dorées, prêt à la dégainer sans la moindre gêne.
– J'ai promis à Seven de ne vous faire aucun mal, car il a besoin de vous vivante. Il n'en est rien concernant vos pitoyables amis.
– Qu'est-ce que tu dis ?! s'emporta immédiatement Yume devant l'horrible compliment que ce chien de l’Élite venait de lui attitrer. Pourquoi Seven aurait-il besoin de Fileya ?! Qu'est-ce qu'il attend d'elle ?!
– Cela ne vous regarde aucunement, lança le brun sans aucun entrain, prêtant à peine attention à l'ancien Épéiste, le toisant comme s'il s'agissait d'un vulgaire déchet. Vous serez tous morts avant même de l'apprendre.
– On n'a pas peur de vous, réagit à son tour Thandon, qui était resté silencieux depuis bien trop longtemps.
A la vue de ses poings serrés près de son corps et ses membres totalement tremblants, Fileya comprit immédiatement qu'il fulminait intérieurement de rage, et qu'il se contenait de tout son être pour ne pas lui sauter à la gorge pour l'étrangler lui-même à mains nues.
Teki se désintéressa ainsi de Yume, mais reporta son attention sur Thandon. Il l'avisa de bas en haut, semblant le juger pensivement, avant de le fixer droit dans les yeux. Malgré ses iris vairons démentiels, le jeune garçon n'en perdit rien de son courage, et continua à faire courageusement face à leur ennemi commun.
– Qu'avons-nous là ? questionna faussement le brun, faisant mine de ne pas le reconnaître, ce qui augmenta davantage la colère qu'éprouvait le frère de Khomas à son égard. Ah, oui, le garçon de Buxih. On aurait dû te tuer lorsque tu es tombé inconscient, cela aurait rendu les choses bien plus simples.
– Et vous allez maintenant payer très cher cette fatale erreur, renchérit le châtain avec courage.
– Grand frère, arrête, on doit partir, intervint Khomas en se glissant aux côtés du plus âgé, refermant ses petits bras sur sa cuisse pour lui rappeler sa présence. J'ai peur, je veux plus rester là.
– Ah, et voici donc le petit garçon dont nous a parlé Anthéa. Un Humain avec des pouvoirs de Fées, voilà qui est intriguant...
L'homme exécrable fit mine de réfléchir, agrippant son menton entre son pouce et l'index, avant de finalement hausser nonchalamment les épaules, l'air totalement indifférent.
– A mes yeux tu n'es rien de plus qu'un misérable rejeton répugnant, annonça-t-il sans aucun filtre, ce qui eut pour effet – sans doute volontaire – d'augmenter la colère de tous les membres de la courageuse troupe, Thandon tout particulièrement. Je ne lèverai pas la main sur cet enfant, uniquement car Seven me l'a ordonné. En d'autres circonstance, je n'aurai pas hésité : tous les ennemis de l’Élite doivent-être châtiés, peu importent leur âge et leur sexe.
– T'es comme ton maître : un monstre ! » s'égosilla cette fois-ci Yume en hurlant à plein poumons.
Désormais complètement revigoré, le jeune homme invoqua magiquement son épée familiale, prêt à l'abattre sur son adversaire, qui le fixait désormais avec défi et un amusement non dissimulé.
Sachant que ce n'était pas dans les habitudes de son meilleur ami de lever la main sur un être humain, Fileya intervint à temps :
– Arrêtez !
La jeune fille s'interposa courageusement entre le blondinet et leur opposant, ses bras levés en croix. Elle savait que son maigre corps n'était pas une barrière très solide, mais elle refusait de voir Yume abandonner ses principes de toujours. Certes, Teki était un homme détestable et il menaçait à l'instant de tous les achever, mais il restait encore un espoir de se sortir de cette situation désastreuse sans en venir immédiatement aux armes. De plus, leur infériorité numérique ne les mènerait que vers une fin inévitable : la mort. Si l'un d'eux venait à s'en prendre directement à leur chef, les Miliciens qui les tenaient en joue n'hésiteraient jamais à leur tirer dessus, et il n'était pas question de mourir ici et maintenant, alors qu'ils étaient pourtant si près du but.
– Teki, j'ai une proposition à te faire.
– Vous croyez-vous réellement en position de marchander quoi que cela soit ?
– Je vous propose de nous laisser un léger temps d'avance, annonça Fileya d'une voix forte, de sorte à se faire entendre de tous. Dix minutes, pas une de plus.
– Fileya, qu'est-ce que tu nous fais, là ? tenta de la raisonner Yume à voix basse, ses sourcils froncés d'incompréhension.
– Tu veux nous tuer ou quoi ? renchérit Astrid d'une voix pleine d'inquiétude, sur un ton tout aussi faible pour ne pas se faire entendre de leurs ennemis.
Visiblement surpris, le brun arqua un sourcil. La jeune Invoqueur aurait presque pu voir les engrenages dans son esprit tourner à toute vitesse pour tenter de repérer une faille dans le marché de Fileya, bien que celle-ci ne soit pas vraiment compliquée à dénicher...
– Trois minutes, négocia-t-il d'une voix plate.
La jeune fille sourit de travers. Elle savait que Teki ne pouvait rien faire face à une demande provenant de sa part. Elle était sa faiblesse, et elle comptait bien en jouer jusqu'à la fin, bien qu'elle détestait le faire souffrir ainsi.
– Cinq, concéda finalement la jeune Invoqueur, sûre de son plan. C'est ma dernière offre.
Le brun releva doucement le menton, ses sourcils froncés de contrariété. Il resta ainsi un long moment à épier la jeune fille, et cette dernière, bien qu'elle eut une irrépressible envie de devenir subitement invisible pour ne plus avoir à supporter une seconde de plus ce regard sur elle, supporta ses deux perles bicolores sur sa silhouette le temps qu'il faudrait. Elle se répétait intérieurement qu'elle devait endurer cela pour ses amis, car c'était leur unique chance de pouvoir s'enfuir sans avoir à subir le moindre dégât.
Finalement, le second de Seven leva une paume grande ouverte en direction de ses soldats, et cracha lourdement cet unique ordre, presque à contre-coeur :
– Baissez vos armes.
Un murmure d'incompréhension agita l’entièreté de la petite escouade, qui ne comprit pas le geste de leur supérieur. Etait-il à ce point amoureux de cette Invoqueur pour se plier aussi facilement à sa requête ? Si Seven venait à l'apprendre, il pourrait être sûr de passer un sale quart d'heure, d'autant plus si, grâce à ce laps de temps supplémentaire, les fugitifs parvenaient à leur échapper entre les doigts, après tout le mal qu'ils s'étaient donnés pour les capturer une première fois.
Du côté des héros, Astrid, Thandon et Yume se lancèrent également des regards emplis de surprise. Eux aussi ne s'attendaient pas à ce que Fileya jouisse ainsi d'un certain pouvoir de persuasion sur l'un des membres les plus importants de l’Élite. Peut-être pourraient-ils même continuer à user de cette pression sur Teki pour le forcer à faire certaines choses en défaveur de son Supérieur... Mais pour le moment, la priorité restait la fuite ! Ils envisageraient plus tard d'utiliser ce pouvoir surprenant à leur avantage, car il fallait d'abord sortir de Fikternand vivant pour pouvoir en user !
– Profitez-bien de ce petit cadeau inutile, lança avec colère Teki tandis que le groupe dépassait les soldats menaçants armés jusqu'aux dents, et que Fileya, en cheffe de file, passait à sa hauteur. Mais je vous préviens : nul n'échappe indéfiniment à l’Élite.
Sans prendre en compte son commentaire, le groupe de héros commença à courir, alors même qu'ils se trouvaient encore dans l'enceinte du bâtiment de pierres. Cinq minutes, c'étaient tout ce qu'ils avaient pour espérer rejoindre les portes de la ville et se réfugier dans la forêt adjacente. Une fois là-bas, il leur sera bien plus facile de semer les Miliciens, mais encore fallait-il l'atteindre.
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