La voix avait semblé venir de l'ouest, en direction de Fileya totalement figée dans le temps. Aussi Yume et Astrid effectuèrent-ils un volte-face à l'unisson, ce qui fit doucement rire leur visiteuse impromptue de contentement, sa bouche légèrement dissimulée derrière une toute petite main laiteuse.

– Encore toi ? releva en première Astrid, une main posée sur sa hanche, tandis que son sourcil droit s'était redressé bien malgré elle. Mais qui tu es au juste ?

– Tu m'ôtes les mots de la bouche ! commenta Yume en riant nerveusement, tant par la remarque qu'il venait de faire que par la mystérieuse apparition de la petite fille.

Visiblement amusée, cette dernière joignit les mains derrière son dos, tandis que son visage encore potelé d'enfant s'étira en un masque de réjouissance.

– Vous avez l'air de si bien vous entendre. C'est merveilleux !

Les deux jeunes gens se lancèrent alors un regard étonné.

Dans un sens... elle n'avait aucunement tord. Yume et Astrid entretenaient des rapports beaucoup moins houleux que les premiers jours, où ils n'arrivaient même pas à s'échanger deux mots sans s'insulter l'un l'autre. Aujourd'hui, ils travaillaient désormais mains dans la main et même qu'ils formaient un duo assez complémentaire dans les combats !

Mais cette pensée, le jeune homme préféra la garder pour lui, car ce n'était pas vraiment l'heure ni le lieu de se perdre en louanges...

– J'imagine que tu n'es pas là uniquement dans le but de nous noyer de compliments, parvint à articuler Yume, alors qu'il vit du coin de l’œil, à la fois amusé et ahuri, Astrid tenter de cacher ses rougeurs derrière l'une de ses mains. A chaque fois que tu apparais, c'est pour donner des conseils... pas vraiment très clairs.

– C'est bien vrai, ça ! sembla enfin réagir sa coéquipière, mais son visage était toujours aussi rouge. T'es encore là pour me demander de ne pas avoir peur ? Désolée de te décevoir, mais c'est compliquer de ne pas céder à la panique quand on nous tire dessus de tous les côtés et qu'on risque notre vie à chaque seconde qui passe !

Le visage de la petite fille perdit bien rapidement de son contentement, alors que ses traits enfantins s'étirèrent en un masque bien plus sérieux. Il était si rare de voir un enfant avec une expression aussi adulte que celle-ci !

La lueur qui brilla l'instant suivant dans ses deux grandes pupilles vert d'eau ne fit que renforcer les craintes des deux jeunes gens sur la venue de leur amie fantôme : elle leur était apparue pour une raison bien précise.

– Je vous demande, articula-t-elle en insistant sur chaque syllabe, comme si elle cherchait à se faire comprendre du mieux possible, de ne plus chercher à rejoindre Aristofée.

– C'est une plaisanterie ? réagit le premier Yume en fronçant ses sourcils de mécontentement, tandis qu'il avait, sans vraiment chercher à le vouloir, refermé sa poigne à la fois sur son épée familiale que sur celle d'Anthéa. On doit quitter le Royaume ! Si on ne le fait pas rapidement, l’Élite finira par nous mettre la main dessus ! On a déjà réussi à leur échapper par deux fois, rien ne garantira qu'on y arrivera une fois de plus !

Un étrange rictus de satisfaction étira subitement les toutes petites lèvres de la fillette, qui ne perdit rien de sa patience habituelle, ce qui en était presque effrayant. Cependant, ce sourire avait un petit quelque chose de serein, mais également de très triste... Yume s'en voulut presque d'avoir osé la contredire, au point où il se sentait prêt à s'excuser pour se soustraire à ses moindres désirs !

– Pourquoi est-ce que tu cherches à nous empêcher d'aller à Aristofée ? Il doit bien y avoir une raison pour laquelle tu nous retiens volontairement à Onyrik !

Les yeux de l'étrange petite fille se mirent tout à coup à luire d'une drôle de malice. Pourtant, aucune autre expression n'était distinguable sur son visage, à l'exception faite de ses deux grands iris péridots...

– J'ai compris, lâcha tout à coup Yume, dont les sourcils se froncèrent doucement. Tu as déjà essayé de me barrer la route quand j'ai tenté de m'enfuir la première fois. Tu avais dit... que quitter le Royaume n'était pas mon destin. Et ce soir encore, tu nous demandes d'arrêter de fuir ?

– Je n'ai pas dit cela, rétorqua la fillette sur un ton bien trop serein pour son jeune âge.

– Tu es forcément de mèche avec l’Élite ! poursuivit le blondinet, indifférent à la prise de parole précédente de leur interlocutrice mystère.

– Yume, calme-toi ! tenta de l'apaiser Astrid en lui posant une main forte sur l'épaule, ce qui ne fit même pas réagir un temps soit peu le sus-nommé. Écoutons d'abord ce qu'elle a à dire avant de tirer des conclusions trop hâtives ! Et puis...

Les iris couleur sang de la jeune fille balaya la zone encore infestée de Miliciens d'un regard circulaire. Puis, elle poursuivit, sur un ton grave :

– Si elle était vraiment de leur côté, elle n'aurait pas gelé les soldats et Anthéa. Elle les aurait laissé nous attraper, voire pire.

Un sourire espiègle étira alors les douces lèvres de l'enfant aux longs cheveux blonds, qui déposa une main emprise de délicatesse sur son fin visage d'enfant.

– Alors ça ! Je savais que vous n'étiez pas réfléchi l'un comme l'autre, mais jamais je n'aurai cru que ce soit toi, Astrid, qui parvienne à découvrir le fin mot de l'histoire !

– C'est fini les plaisanteries, maintenant, répliqua Yume, qui se sentait subitement insulté. Dis-nous vite la raison de ta venue ici avant que je n'emploie la manière forte pour te faire parler !

Le jeune homme effectua un mouvement brusque vers l'avant dans le but d'effrayer l'enfant, mais cela ne parut même pas la décontenancer. Son regard resta de marbre, tout comme sa posture bien droite, ses deux petites mains à nouveau cachées derrière son dos blanc.

Astrid, qui prit véritablement peur à l'idée que son ami ne commette une folie qu'il risquerait plus tard de regretter, agrippa fermement les épaules du meilleur ami de Fileya dans le but de contenir ses ardeurs.

– Bien, bien. Si c'est ce que vous souhaitez, alors, je vais tout vous dévoiler. Ou du moins...

La fillette marqua une pause dans sa phrase, tandis qu'elle se déplaça en direction de Fileya. Là, elle leva la tête pour rencontrer le regard concentré de la jeune Invoqueur figé dans le temps. Une vague d'admiration profonde sembla passer un certain temps dans les pupilles verdâtre de l'enfant, alors qu'elle effleura d'un geste emprunt de délicatesse la gourmette argentée que portait Fileya au poignet du bout des doigts.

– Les grandes lignes, termina-t-elle enfin en laissant sa phrase en suspend, ses mots s'envolant tel le battement d'ailes d'un oiseau dans le ciel dégagé. Je manque de temps, et ma tour m'appelle.

Yume nota que ce n'était pas la première fois qu'elle faisait mention d'une tour. Et si, contrairement à ce qu'il avait pensé en premier lieu, cette enfant n'était pas réellement l'esprit d'un mort, mais bien une projection d'elle-même, alors enfermée dans cette fameuse enceinte ?

– Dans ce cas, si tu pouvais un tout petit peu te dépêcher..., la pressa Yume en se dégageant de l'emprise d'Astrid sur ses épaules. On n'a pas vraiment toute la soirée, et on aimerait vite se barrer d'ici !

– Du calme, du calme, je vais tout vous expliquer.

La petite fille se tourna alors lentement dans la direction des deux compagnons d'infortune. Là, le regard encore plus dur et sérieux qu'à l'accoutumée, elle annonça d'une voix placide :

– J'ai besoin que vous ameniez l'Invoqueur à la Tour de Cristal. Son rôle sera crucial pour la survie d'Onyrik et du monde, autant que vous deux. Mais pour réveiller la capacité endormie dans le fond de son cœur, j'ai besoin de la rencontrer... en personne.

Alors Yume avait bel et bien visé juste. Cette enfant se trouvait en réalité enfermée quelque part dans une tour, la Tour de Cristal comme elle l'avait mentionnée, sans aucun moyen de pouvoir s'en échapper physiquement...

Yume et Astrid se lancèrent un regard interdit à la fin de son monologue. Pourquoi avait-elle besoin de Fileya ? Pourquoi s'adressait-elle à eux deux en particuliers pour lui faire parvenir ce message, pourquoi ne pas s'adresser directement à l'intéressée, sachant qu'elle se trouvait juste derrière elle ?

Décidément, cette enfant leur cachait encore beaucoup trop de mystères sur sa véritable identité et sur ses intentions concernant la survie du Royaume. Elle disait vouloir le sauver, mais jusqu'ici, tout ce qu'elle était parvenue à leur offrir était un ramassis interminable de questions !

– C'est également là-bas que tu trouveras la majorité des réponses à tes questions, déblatéra l'enfant aux cheveux d'or, se tournant vers Astrid pour planter son regard dans le sien.

Visiblement étonnée, cette dernière ouvrit grand les yeux d'incertitude, tandis que ses lèvres s'entrouvrirent légèrement dans une expression de béatitude. Cependant, elle n'eut pas le loisir de questionner davantage leur interlocutrice, que celle-ci repartait déjà à la charge :

– Je vous attendrai donc à la Tour de Cristal, lui rappela la petite fille tandis que son corps commençait déjà à se liquéfier drôlement, avant de se transformer en brume. Je vous en prie, ne tardez pas.

Alors qu'elle finissait de se désagréger, Yume lança, sur un ton passablement énervé :

– Ouais, bah on fait comme on peut.

Constatant que Fileya s'avançait vers eux en trottinant, les deux amis visités par un fantôme comprirent instantanément que le temps avait repris son cours à l'instant même où la petite fille avait terminé de disparaître.

Yume et Astrid devaient très certainement fixer leur amie nouvellement dé-statufiée avec de gros yeux, car cette dernière leur demanda, à leur plus grande surprise :

– J'ai quelque chose sur le visage ? Pourquoi est-ce que vous me regardez ainsi ?