Chapitre 10.1 : Astrid
Astrid ouvrit les paupières une première fois et, lorsqu’une lumière aveuglante lui attaqua les yeux sans aucun scrupule, son réflexe fut immédiatement de les refermer. Portant un bras sur ses paupières de nouveau closes, la jeune fille marmonna quelque chose d’incompréhensible dans sa barbe et sa bouche pâteuse, tout en s’étirant de tout son long pour permettre aux muscles de son corps de se réveiller en même temps que son cerveau qui se remettait lentement en marche. Puis, remuant légèrement les lèvres, l’archère se fit la réflexion que celles-ci, ainsi que sa gorge, étaient incroyablement sèches, et qu’elle n’aurait rien contre un petit verre d’eau.
Posant deux mains sur son visage dans le but de sortir des limbes du sommeil, Astrid grommela de nouveau des paroles inaudibles, avant de tenter d’ouvrir les yeux à nouveau. Écartant légèrement les doigts qui lui entravaient la vue, la jeune fille fut une fois encore assaillie par un véritable kaléidoscope de couleurs turquoise bien trop scintillants à son goût, ce qui lui fit froncer les sourcils. Elle ne se trouvait positivement plus dans la Forêt de Cristal, en témoignaient à la fois l'étrange dôme au-dessus de sa tête, ainsi que le matelas douillet dans lequel elle reposait. Astrid était certaine de ne pas s'être assoupie dans un lit, hier soir. Elle était même certaine de ne pas s'être assoupie tout court.
Se redressant d’un bond dans le lit aux draps immaculés dans lequel elle avait manifestement passé la nuit, Astrid analysa les lieux dans lesquels elle se trouvait d’un œil inquiet. Il s’agissait d’une sorte de petite habitation dont le toit formait un dôme, en son centre était suspendu un lustre magnifiquement taillé dont retombaient finement des petits cristaux bleutés. Dans le lustre brillait une flamme blanche singulière, qu’Astrid n’avait jamais vue jusqu’à lors. Mais, ayant déjà noté la couleur étrange des flammes qui recouvraient les cachots de Fikternand, faire la rencontre d’un brasier nacré ne parut pas la déranger plus que de mesure.
Au fond de la pièce dans laquelle elle était installée se trouvait une toute petite lucarne ronde, de celles qui constituaient les maisons de lutin dans les contes pour enfants que lui lisait autrefois sa mère, lorsqu’elle n’était encore qu’une petite fille. Curieuse de découvrir le décor qui s’y cachait d'arrière, la jeune fille tenta de sortir du lit mais, à peine posa-t-elle un pied à terre qu’un curieux courant électrique remonta du bas de sa nuque jusque que dans l’arrière de son crâne. Fronçant les sourcils de souffrance, Astrid apposa une main à l’endroit exact qui la démangeait, tout en essayant de masser pour tenter de diminuer la douleur.
Bien qu’elle n’arrivât pas à calmer immédiatement son endolorissement, Astrid prit tout de même la décision de se redresser, s’aidant des murs (qui d’ailleurs rappelaient à s’y méprendre l’écoulement gelé d’une cascade !) pour atteindre la petite fenêtre tant convoitée. Lorsqu’elle posa son regard sur le décor fantaisiste qui se dessina sous ses yeux encore embrumés de sommeil, la jeune fille ne put s’empêcher de relâcher un hoquet admiratif et stupéfait.
En arrière plan, toutefois très loin, se dessinait, comme plantée en plein milieu du ciel constellé d’étoiles comme Astrid n’en avait jamais vu autrement qu’en photo dans son propre monde, toute une chaîne de montagnes, dont les sommets irréguliers formaient de véritables montagnes russes. Derrière les plus hauts massifs se cachait la Lune turquoise, toute ronde et bien plus gargantuesque que la normale. Si la jeune fille se souvenait bien des explications de Yume, la couleur de l’astre nocturne indiquait qu’elle se trouvait actuellement dans un espace peu habité.
Au pied des montagnes se trouvait un lac dont les eaux miroitantes reflétaient les collines en arrière-plan, le ciel étoilé et la lune bleue, créant ainsi un double inversé du ciel nocturne, qui se mouvait au rythme de la surface aqueuse. Tout autour de ce lac magnifique se tenaient, majestueux, des arbres turquoise identiques à ceux que l’on pouvait trouver dans la Forêt de Cristal.
Cette dense végétation parvint à réchauffer le cœur d’Astrid de réjouissance : elle se trouvait encore dans la Forêt de Cristal.
– Non mais… balbutia-t-elle du bout des lèvres, complètement ahurie par un tel décor, sans doute le plus beau qu’il lui avait été donné de contempler depuis son arrivée dans le Royaume Onyrik. C’est quoi cet endroit ?
La jeune fille se laissa perdre encore quelques instants sur le décor véritablement onirique qui se peignait derrière la fenêtre à l’image d’une œuvre picturale particulièrement réussie. Puis, ce ne fut qu’une fois le fil de ses pensées complètement remis en place qu’Astrid constata enfin que quelque chose clochait : où se trouvaient Yume et Khomas, avec qui elle était partie dans les bois pour trouver de quoi faire un feu et des vivres pour la nuit ?
– Dans quoi est-ce que je me suis encore embarquée… soupira-t-elle tout en prenant sa tête entre ses mains pour mieux réfléchir. Je me souviens m’être enfuie avec Khomas suite à l’attaque de ces affreuses bestioles. Puis…
Tapotant deux doigts tout contre sa tempe, ses iris couleur rubis se posèrent sur le sommet irrégulier des montagnes, désormais drapé d’une époustouflante aurore boréale. Les couleurs roses, bleues et vertes se mariaient étrangement bien avec la beauté idyllique des lieux, ce qui ne fit que renforcer la méfiance qu’Astrid portait déjà sur cet endroit inconnu, où elle ne se souvenait pas avoir mis les pieds la veille.
– ... j’ai ordonné à Khomas d’aller chercher Fileya, ensuite…
Prenant sa tête entre deux mains, tandis qu’un terrible acouphène résonna dans son crâne tel un carillon incessant, Astrid serra les dents de douleur. Tâchant de retrouver une sérénité réconfortante coûte que coûte, alors que ses souvenirs se faisaient de plus en plus flous, la jeune fille alla s’asseoir sur le bord du lit, ses iris ne se détachant pas un seul instant du sol étrangement glissant, tel la surface d’un lac gelé, sous ses pieds. C’était une chance qu’elle soit parvenue à garder son équilibre jusqu’ici !
– Rien ! s’époumona-t-elle, alors qu’elle vit nettement le visage de Khomas et de Yume se dissoudre dans son esprit, comme s’ils n’avaient tout bonnement jamais existé. Je ne sais plus !
L’acouphène diminua progressivement au fur et à mesure que les battements affolés de son cœur se calmèrent eux aussi. Cependant, la douleur à l’arrière de sa tête revint à la charge, comme si son corps refusait de la laisser tranquille, ce soir. Peut-être essayait-il tout simplement de la mettre en garde en rapport avec quelque chose d’important, un élément précieux qu’elle avait manifestement oublié, mais qui avait un lien certain avec sa présence en ces lieux bizarres.
La jeune fille croisa les bras sur sa poitrine, tout en fermant doucement les paupières, tâchant d’ignorer la souffrance accrue qui se déplaçait tel un parasite d’un coin à l’autre de son crâne.
Elle se remémora l’attaque des créatures de pierre et de cristaux lorsqu'elle se trouvait encore en compagnie de Yume, puis Khomas et elle avaient pris la fuite. Ceci était clair. Mais, ensuite… ? Elle avait demandé au petit garçon d’aller quérir de l’aide auprès de Fileya, car ils s’étaient de nouveau fait encerclés. Mais pourquoi, après la fuite du petit frère de Thandon dans les bois, Astrid ne parvenait-elle à pas se souvenir du moindre détail ? Que s'était-il réellement passé entre le moment où elle avait fait face, seule, aux petits monstres, pour se réveiller ensuite dans cette pièce, avec un mal de tête affreux qui refusait tout bonnement de la quitter ?
La seule chose dont elle se souvenait était qu’elle avait tenté de se défendre de son mieux en envoyant des rafales de flèches glacées offertes par Yume lors de leur fuite de Fikternand, mais que celles-ci avaient ricoché à chaque fois sur le corps de pierre de ses adversaires. Son mal de tête s’intensifia à cette remembrance, et la jeune fille sentit qu’elle touchait un point important. Il s’était passé quelque chose durant cet affrontement, mais quoi… ? Malgré tous ses efforts pour s’en souvenir, ses sourcils se fronçant à leur maximum jusqu’à parvenir à se toucher entre eux, la brune ne trouva rien de concluant.
Dépitée, Astrid se laissa tomber à la renverse, les bras en croix sur le lit, et en vint à la conclusion que les créatures avaient dû l’assommer. Cette explication, pourtant simple, expliquait deux choses : son trou noir lorsqu’elle essayait de se souvenir avec exactitude ce qu’il s’était déroulé dans la forêt, mais également son mal de crâne qui refusait de la laisser tranquille.
Comme par magie, comme si elle avait finalement mis le doigt sur la vérité, la seule et l'unique, la douleur à l’arrière de sa tête disparut aussi rapidement qu’un lapin se terrant dans son terrier. Se redressant d’un bond sur son lit, complètement interdite, Astrid s’écria :
– Quoi ?! Est-ce que c’était réellement aussi simple que ça ?!
Se passant deux mains dépitées sur le visage tout en soupirant, la jeune fille trouva cette explication à moitié rassurante. Certes, désormais, elle avait presque l’entière certitude que c’étaient les petits monstres qui l’avaient emmenée ici. Mais maintenant, il ne restait plus qu’une chose à comprendre : pourquoi ? Et la brune était-elle seule dans cette panade, ou bien ses amis se trouvaient également là, quelque part derrière ces murs ?
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