Chapitre 10.5 : Astrid
Sans un mot, Iakyndy apposa ses deux mains aux doigts étrangement longs et fins sur les deux poignées sophistiquées et bleutées, à l’instar des murs du château. Astrid entendit les deux anses s’abaisser dans un claquement qui résonna à travers tout l’étage, avant que la Princesse de Cristal ne fasse coulisser les deux battants dans un geste emprunt de légèreté.
Astrid s‘était attendue à trouver tout et n’importe quoi derrière cette porte : la salle du trône (comme elle se trouvait manifestement dans l’enceinte d’un château de glace), le coffre-fort royal avec des montagnes de pièce d’or scintillantes comme des rivières surnaturelles, ou encore une antichambre dans laquelle la faire patienter le temps que Iakyndy lui obtienne audience auprès du Roi de Cristal. Mais certainement pas à se trouver dans une espèce de dressing immense, aux multiples miroirs réfléchissants qui faisaient songer à s’y prendre aux couloirs du château de Versailles (endroit où la jeune fille n’avait jamais posé les pieds, du reste ; elle n’avait vu de la galerie des glaces que des photos trouvables bien trop facilement sur internet). Tout au fond de cette pièce insolite se tenait, accrochée sur un cintre de cristal, la plus belle robe qu’Astrid avait vue de toute sa vie.
Décidant de s’avancer dans la pièce d’un pas prudent pour mieux analyser le sublime vêtement qu’il s’y trouvait en son fond, Astrid se fit la réflexion que cette véritable robe de princesse, digne du plus merveilleux des contes de Fée, irait comme un gant à Fileya, puisqu’elle était naturellement la créature la plus belle de toute la contrée. Le vêtement aussi blanc que la neige se composait d’un bustier dont les manches toutes en dentelles laissaient apercevoir une partie des bras de celle qui la porterait. En effectuant un tour complet de la robe, tâchant d'oublier son reflet qui semblait se répéter des milliers de fois autour d'elle, Astrid nota que la dentelle se poursuivait jusque dans le dos. Le bustier pouvait se fermer à l’aide de deux rubans légers, qu’Astrid pensa être de la soie. Enfin, toute la partie basse de la robe se terminait en une explosion exquise de voiles transparents, un peu à l’image de ceux qu’arboraient son hôte. La jupe, large et volumineuse, ressemblait presque au ballon d’une montgolfière, et la jeune fille se fit violence pour n’en faire aucune remarque. Elle se demanda même si, comme dans Alice au Pays des Merveilles, la robe était capable d’agir comme un parachute si elle sautait avec depuis le dernier étage du château…
Plissant finalement des paupières suspicieuses, toute envie de rire s’échappa de l’esprit d’Astrid tels des oiseaux enfin libérés de leur cage d’or. Pourquoi Iakyndy lui dévoilait cette robe de mariée ? Tout cela n’avait aucun sens ; qu’était-elle censée en faire ?
En réalité, elle avait peur de comprendre la terrible et humiliante situation dans laquelle elle venait d’être entraînée contre son gré. Elle se rappela avec crainte des paroles qu’avaient prononcées les Gardiens de Cristal en la voyant aux côtés de Yume et Khomas dans la forêt : ils l’avaient appelée “Femelle”, comme si elle ne représentait rien d’autre qu’une sorte d’animal qu’ils devaient impérativement apprivoiser. Puis, Astrid se remémora également la façon dont elle avait été traitée jusqu’à présent : les habitants du Village de Cristal s’étaient montrés particulièrement respectueux envers elle, jusqu’à l’assaillir d’humbles courbettes. Puis, enfin, Iakyndy, la Princesse de ce petit village fantaisiste, qui lui faisait office de guide dans ce château immense sortit tout droit d’un conte de Fées qui lui paraissait de plus en plus sordide.
Les habitants de Cristal convoitaient réellement ses pouvoirs d’Enfants aux Yeux Rouges, ou bien… Existait-il une autre raison derrière son enlèvement et sa présence en ces lieux ?
– Une… robe ? releva Astrid, croisant les bras sur sa poitrine, de plus en plus méfiante. Et qu’est-ce que je dois en faire ?
Elle fixa de nouveau le vêtement merveilleux, réfléchissant sérieusement à une raison rationnelle de se trouver face à celle-ci. Si Iakyndy avait besoin de ses talents d’héroïne, elle ne lui montrait pas cette robe juste pour le plaisir de lui dévoiler cette pièce particulièrement hors du commun. Qu’aurait fait un véritable héros dans cette situation ?
– Ah, je sais, pensa-t-elle à voix haute. Elle est maudite, c’est ça ? Et vous attendez de moi que je vous débarrasse du mauvais sort ? Désolée, mais vous avez parié sur le mauvais cheval, là!
– Oh, oh oh ! rigola drôlement Iakyndy en posant une main de cristal délicate sur sa bouche pulpeuse, tandis que ses yeux de chat s’étaient davantage plissés. Tu n’y es pas du tout…
La Princesse de Cristal entra à son tour dans la pièce aux centaines de miroirs, puis referma doucement les doubles battants derrière elle. Lorsqu’elle entendit le rouage de la porte rouler deux fois dans ses gonds, Astrid comprit que Iakyndy les avait toutes deux enfermées dans le dressing. La brune sentit son cœur battre plus vite dans sa cage thoracique, tandis que son front fut rapidement inondé de sueur. Son visage se mit à chauffer drôlement, et Astrid comprit qu’elle était tout bonnement assaillie par la peur : elle était seule, dans cette pièce d’une fausse clarté, sans aucun moyen de se défendre face à cette demoiselle constituée de cristal, qui était loin de lui paraître amicale. Astrid était à moitié noyée dans la panade, prise jusqu'au cou, et elle ne tarderait pas à en être complètement submergée ; ce n’était plus qu’une question de ridicules petites minutes…
– Vois-tu, c’est moi qui ai envoyé les Gardiens de Cristal dans la Forêt, expliqua subitement Iakyndy sur un ton froid et calculateur qui n’augurait certainement rien de bon.
La jeune fille ne prit même pas la peine de se tourner en direction d’Astrid pour converser, comme si elle ne valait guère mieux à ses yeux que les meubles de ce château. Elle préférait s’adresser à la porte de cristal plutôt qu’à sa véritable interlocutrice humaine. Cette Iakyndy avait décidément une case en moins!
– Feu la Reine de Cristal, poursuivit-elle de cette même voix doucereuse, ma très chère mère adorée et épouse du Roi, est morte il y a peu. Père s’est donc mis en quête de trouver une nouvelle épouse, et j’ai donc chargé notre peuple si dévoué pour accomplir cette tâche ardue. Et ils t’ont trouvé…
Iakyndy effectua enfin un volte-face sur elle-même, mais Astrid aurait préféré qu’elle continue à s’adresser à la porte. Elle n’aimait pas la façon dont son regard de vipère la dévisagea de bas en haut comme on évaluait un meuble pour déceler ses qualités et ses défauts.
– ... toi.
Profondément ahurie par de telles révélations qui tombaient comme un cheveux sur la soupe, Astrid fit tout son possible pour effacer le malaise intérieur qu’elle ressentait. Iakyndy venait-elle réellement de lui annoncer qu’elle avait envoyé les Gardiens de Cristal sillonner la Forêt à la recherche d’une potentielle femme pour son père, à savoir le Chef du village ? Mais c’était tout bonnement insensé, voire irréel ! On ne kidnappait pas des femmes pour ensuite les modeler pour qu’elles deviennent de parfaites épouses ! Pire qu’un rêve, ce monde se transformait en véritable cauchemar ! N’y avait-il donc aucun moyen pour se réveiller et échapper définitivement à ce destin inattendu qu’elle rejetait de toutes ses forces ? Hors de question qu’elle serve de parfaite petite épouse pour un roi aigrie et sans aucun doute tout vieux dont elle ne connaissait rien, pas même le nom !
Avec un ravalement de salive, Astrid posa ses mains sur ses hanches, avant de soupirer bruyamment, tâchant de ne surtout pas penser aux conséquences qu’impliquaient un mariage d’une telle envergure. Elle sentait sa tête vaciller drôlement, comme cette fois où elle s’était retrouvée au bord du malaise chez elle, avant l’apparition des premiers rêves, les acouphènes en moins, fort heureusement. Malgré tout, ses pensées étaient toutes dirigées en un seul endroit : ses amis. La jeune fille priait en son for intérieur pour qu’ils parviennent à la trouver rapidement pour la sortir de ce guêpier !
– Mais vous êtes complètement malade, ma parole ! s’égosilla-t-elle finalement, n’y tenant plus ; tout son corps fulminait de rage. Enlever une jeune fille pour qu’elle puisse épouser un vieux gâteux dont elle ignore tout, c’est un crime qui se punit très sévèrement dans mon mond… !
Réalisant l’erreur qu’elle était sur le point de commettre sous l’effet de la rage brûlant dans le fond de son cœur, Astrid s’empressa de porter deux mains à sa bouche pour s’empêcher de déblatérer tous ses petits secrets. Personne à Onyrik, mis à part ses amis, n’étaient au courant de sa condition d’étrangère à ce monde merveilleux, et elle se devait de garder ce secret jusqu’au bout. Car les rumeurs allaient vite, avec le bouche à oreille. Et, si comme le redoutait fortement Yume, Seven venait à être mis au courant de son existence, elle ne donnait pas chère de sa peau. D’autant plus que cette Iakyndy, qui n’était manifestement pas au fait de son rôle d’Enfant aux Yeux Rouges, ne lui inspirait pas confiance. Astrid ne pouvait pas affirmer avec certitude qu’elle était liée à l'Élite de quelque manière que cela soit, mais elle cela n’entachait en rien son sentiment d’inconfort en sa présence : la jeune fille à la peau aussi fragile que la glace ne devait, sous aucun prétexte, savoir qui elle était réellement.
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