Chapitre 11.5 : Yume
Déjà fortement irrité par le comportement de Iakyndy qui ne cessait de le déranger de plus en plus, Yume serra la mâchoire et les poings, curieusement irrité. Il n’aimait tout bonnement pas la façon dont la Princesse de Cristal parlait de son amie.
– Allez, bouge, laisse-nous entrer, ordonna-t-il, prenant sur lui pour ne pas forcer le passage par lui-même. On règle ton problème, quel qu’il soit, et on s’en va. On est attendu ailleurs, je te signale.
– À ce propos : j’ai comme l’impression que tu nous caches quelque chose, depuis qu’on a quitté Fikternand, amorça à son tour Fileya, sa voix teintée de suspicion. Tu sembles nous guider vers une destination que toi seul connais, c’est étrange…
– On en rediscutera plus tard, loin des oreilles indiscrètes, si tu vois ce que je veux dire… répliqua le jeune homme, à voix basse entre ses dents serrées, ayant noté le regard subitement très intéressé de Iakyndy.
– Mais non, mais non, ne vous gênez pas pour moi, voyons ! insista cette dernière, balayant l’air de sa main comme chassant un moucheron trop dérangeant. Je ne suis qu’une simple fille de Chef, ou plutôt devrais-je dire une Princesse, en quête d’aventures. Ne me prenez pas pour votre ennemie, je vous prie.
Touchée par la méfiance dont Yume faisait preuve à son égard, la jeune femme aposa deux mains fines et délicates sur son buste, à l’endroit du coeur. Mais son visage bien trop décomposé par une tristesse exagérée ne suffit pas à tromper le jeune homme, qui ne lui portait pour l’instant aucune confiance. Elle retenait Astrid prisonnière dans le palais de son père pour une bonne raison, après tout, et elle ne devait très certainement pas être très seine ! La Princesse de Cristal ne les avait sans doute pas attiré dans cette enceinte de glace juste pour prendre le thé et se reposer, après les dures épreuves qu’ils avaient eu à endurer !
– Elle a l’air sincère… compatit Thandon, qui ne dissimulait même plus les rougeurs sur ses joues.
– On n’a clairement pas la même définition du mot “sincère”, si tu veux mon avis, renchérit Yume, les yeux plissés de désespoir.
Finalement, l’ancien Epéiste était bien content que Fileya n’ait pas succombé à ses charmes lorsqu’ils s’étaient retrouvés en tête à tête dans la Forêt de Cristal ! Thandon pouvait tomber sous le joug des belles femmes sans aucune résistance ; Fileya n’en aurait été que trop malheureuse.
– Enfin, poursuivit le blondinet en posant deux mains sur ses hanches tout en se tournant vers Iakyndy pour lui lancer un regard de braise, qui ne suffit malheureusement pas à faire fondre sa peau de cristal, quoi qu’il en soit, ouvre-nous cette porte, qu’on en finisse.
– Ooooh, Monsieur monte sur ces grands cheveux, on dirait ! releva la Princesse du Village de Cristal en posant une main près de sa bouche pour étouffer un rire, mais ses yeux plissés suffirent pour témoigner de son hilarité. Aurais-je dit quelque chose qui t’ait vexé ?
Ses paupières de chat se plissèrent davantage, tandis que la mâchoire de Yume se serra à son tour. Il n’aimait vraiment pas la façon dont Iakyndy aimait leur faire perdre du temps. Essayait-elle réellement de retarder leurs retrouvailles avec Astrid, ou bien s’amusait-elle seulement avec leurs nerfs ? Dans les deux cas, le jeune homme la trouvait incroyablement agaçante, et il ne saurait dire lequel de Teki ou de cette femme de glace était des plus erreintant pour son santé mental.
– Ooooh, je sais, roucoula-t-elle de plus belle, ce qui agaça tout son auditoire à l’exception de Thandon, qui buvait ses paroles comme s’il se trouvait face à une divinité de glace qu’il ne fallait certainement pas contrarier au risque de s’attirer ses foudres, c’est à propos d’Astrid, n’est-ce pas ? C’est ta petite amie ?
Un ange passa, où Yume ne fit rien d’autre que dévisager Iakyndy en silence, dont la situation semblait l’amuser au plus au point. Les flammes bleutées qui encadraient les portes de cristal se reflétaient dans les yeux de l'ancien Épéiste déjà fortement turquoise, eux aussi, ce qui les rendit curieusement froids.
– Stop ! s’écria Fileya, brassant l’air du plat de sa main comme s’il s’agissait d’une épée ; elle était, de tous, la plus surprise du mutisme soudain de son meilleur ami, et avait ainsi décidé d’arranger les choses à sa manière, puisque personne d’autre ne semblait vouloir le faire. On arrête là les bavardages, et on entre, maintenant ! Astrid doit être morte d’inquiétude, on ferait mieux de venir la rassurer au plus vite. Et puis…
Fileya jeta un rapide coup d'œil aux parois, comme si elle s’attendait à les voir s’effondrer d’une minute à l’autre. Elle reprit, d’une voix plus basse :
– ... les murs ne semblent pas très épais, je suis presque certaine qu’elle nous entend depuis le début…
Décroissant finalement les bras, Iakyndy quitta le contact des poignées de portes pour venir serrer ses poings le long de son corps. Elle lança subitement un regard suspicieux en direction de Fileya, qui frissonna devant ces yeux délirants. Yume avait bien remarqué la façon dont la Princesse de Cristal dévisageait sa meilleure amie à chaque fois qu’elles avaient toutes les deux le malheur de croiser leurs regards, mais jamais leur échange silencieux n’avait paru aussi… meurtrier. L’ancien Épéiste avait rarement vu une telle flamme de haine flotter dans les iris de sa meilleure amie, si ce n’était cette fois où Thandon avait été gravement atrophié par la balle perdue d’un Milicien. Le jeune homme craignait plus que tout devoir intervenir dans un combat entre les deux jeunes femmes qui se dévisageaient en silence. Léterno aussi sembla capter l’animosité entre les deux demoiselles, puisqu’il avait quitté brièvement sa position stoïque pour se préparer à intervenir au moindre signe d’animosité.
Finalement, Iakyndy ne fit et ne dit rien. Elle se contenta de tourner les talons, faisant voler tout autour de sa silhouette ses fins voiles iridescents, pour se tenir bien droite face à la porte. Lorsqu’elle la vit s'emparer enfin des poignées et qu’elle les tourna sans difficultés, Yume retint son souffle. Enfin ! Ce moment tant attendu, tant anodin, lui avait paru durer une éternité avant d’enfin se réaliser ! Les portes ne grincèrent même pas lorsqu’elles coulissèrent sur leurs gonds.
– C’est moiiiiii ! s’annonça Iakayndy, son faux sourire radieux collé à nouveau sur son visage altier, et levant les bras théâtralement au-dessus de sa tête comme une star vedette effectuant enfin son entrée tant attendue sur scène. Et je t’ai ramené un peu de compagnie ! Entrez donc, ne soyez pas si timides…
Iakyndy eut à peine le temps d’effectuer un ridicule pas de côté en toute lascivité, faisant résonner ostentatoirement ses talons sur le sol cristallin du palais de glace, qu’un véritable boulet de canon manqua de peu de la renverser. Tous virent sa parfaite stature chanceler, tandis qu’un rictus à la fois effrayé et irascible étira moment les traits de son visage, avant de reprendre une mine plus sereine, se rappelant sans doute qu’elle n’était pas seule.
Yume ne se souvenait pas quand Khomas s’était réveillé, ou plutôt n’y avait-il pas fait attention, mais c’était bel et bien le petit garçon qui avait manqué de respect à leur hôte. Le jeune homme ne pouvait que l’en féliciter que mentalement, lui qui rêvait de remettre cette Princesse de Cristal à sa place depuis qu’elle avait posé des yeux glaçants sur Fileya. Le petit Buxihen se jeta dans les bras d’Astrid, debout à côté d’un des nombreux divans turquoise de l’immense boudoir, qui écarquilla des yeux ronds de surprise. Ne sachant que faire pour consoler Khomas qui sanglotait à chaudes larmes tout contre son estomac, la jeune fille ne trouva d’autre solution que de refermer maladroitement ses bras dans le dos du petit frère de Thandon, tout en lui répétant que tout allait bien, maintenant qu’ils étaient ici.
Gênée d’être ainsi le centre d’attention, Astrid releva des yeux absents en direction de ses autres amis restés sur le pas de la porte, et fut ravie de constater qu’ils ne semblaient pas être dans un pire état que lorsqu’elle les avait vu pour la dernière fois. Yume sentit son coeur battre la chamade quand ses yeux croisèrent ceux, rouges sang, de son amie, mais leur échange visuel ne dura que quelques secondes, puisque les iris rubis de la jeune fille se posèrent rapidement sur la silhouette stoïque de Léterno. Une brume d’étonnement passa, l’espace de quelques instants, dans ses yeux couleur de sang.
– Je… Je suis… désolé, sanglota de plus belle Khomas, resserrant avec davantage de poigne ses petits bras autour des hanches d’Astrid. Tout ça c’est… tout ça c’est… ma fau… aute…
Les joues en flammes, baissant la tête en direction de Khomas qui pleurait de plus en plus et sentant les regards attendris de ses amis et celui dégoûté de Iakyndy sur eux, Astrid comprit qu’elle devait calmer immédiatement le petit garçon, et qu’elle seule en était capable. Cachant ses rougeurs derrière sa frange brune, elle finit par lui caresser doucement le haut de sa chevelure en bataille, espérant que ce mouvement oscillatoire suffirait pour adoucir sa peine.
– T’en fais pas, je vais bien, tenta-t-elle de le rassurer avec un sourire penché, mais Yume nota une claire hésitation dans le son de sa voix, comme si elle leur cachait à tous une vérité qu’elle devrait révéler tôt ou tard. Tu vois ?
Avec une douceur qui l’étonna elle-même, Astrid parvint à relâcher l’emprise de Khomas pour le forcer à la regarder dans son entièreté. Là, une fois qu’ils furent définitivement séparés, elle écarta les bras de part et d’autre de son corps, comme un artiste fier de montrer son chef-d'œuvre.
– Je vais bien : pas une seule égratignure, reprit-elle, mais sa voix manquait clairement de confiance en elle. Et, à ma grande surprise, pas d’empoisonnement non plus…
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