Chapitre 13.5 : Astrid
Une première flèche vola. Bien qu’elle savait qu’elle avait visé totalement à côté, le projectile magique se rua pourtant droit comme une lance en direction de la Princesse de Cristal, qui la laissa venir à elle, une main apposée sur sa cuisse. Mais, lorsque le bout de bois enflammée s’approcha de trop près, la jeune femme effectua un pas léger sur le côté, les voiles souples de sa robe la suivant dans ce mouvement gracieux. Astrid tenta une nouvelle percée, envoyant toujours plus de flèches autant que ses bras le pouvaient, mais Iakyndy les esquivait constamment en dansant d’un pied à l’autre.
Passablement énervée, Astrid regagna sa cachette lorsqu’elle constata qu’il ne lui restait plus beaucoup de projectiles. Elle devait les conserver au maximum pour se défendre jusqu’au retour de ses amis, et non les dépenser inutilement !
– Je connais bien mieux Fileya que toi ! s’écria Astrid, qui ne pouvait faire guère mieux que rétorquer pour gagner du temps. Et elle est bien plus forte que tu ne le prétends !
– Tout de même, lança Iakyndy à la cantonade, tout en soupirant doucement de lassitude, passant une main dans ses longs cheveux aussi bleus que la surface d’un lac sous le clair de lune, je n’aurai jamais cru que ce soit toi qui me résiste le plus. Si j’avais su plus tôt, je t’aurai arraché ton énergie vitale dès le début, ça m’aurait évité tout un tas de tracas ennuyeux… !
– Mon énergie vitale ? s’étrangla la brune, les yeux écarquillés à leur paroxysme d’incompréhension. Mais qu’est-ce que tu racontes encore ?!
– Ça n’a plus d’importance, maintenant, de toute façon, décida la Princesse de Cristal en haussant les épaules avec indifférence, puisque tu vas bien gentiment mourir.
Même si elle en avait terriblement envie, Astrid ne trouva pas le temps de répliquer. Iakyndy avait déjà levé une nouvelle paume dans sa direction, les doigts écartés les uns des autres. Tout à coup, des bourrasques de vent se hissèrent de nulle part, et vinrent secouer les cheveux et les voiles de la robe de la jeune femme en tous sens. Puis, ces courants d’airs devinrent de plus en plus nets, tandis qu’ils se tintèrent de la couleur visiblement favorite de Iakyndy, à savoir de bleu marine, qui permit à Astrid de mieux les distinguer. Ces brises déchaînées ressemblaient à de véritables tentacules.
D’un geste dédaigneux de la main, comme on congédie un serviteur impertinent, Iakyndy commanda à ses bourrasques de se lancer en direction d’Astrid. Pétrifiée, cette dernière écarquilla les yeux. Esquiver des stalactites de glace, elle pouvait le faire, puisqu’ils étaient solides, mais comment pouvait-elle se défendre face à des courants d’air invisibles ?! La jeune fille eut à peine le temps d’entourer ses bras de part et d’autre du petit muret qui lui servait de protection, qu’elle sentit tout à coup ses vêtements ainsi que sa queue de cheval virevolter en tous sens. Serrant les dents, elle manqua de régurgiter son repas de la veille lorsque le lustre se mit dangereusement à osciller d’avant en arrière, comme un balancier.
Tremblant de terreur, Astrid osa à peine baisser les yeux pour estimer les dégâts qu’elle s’endommagerait si elle tombait d’aussi haut, avant de finalement les reporter sur le centre du lustre. Elle se ferait définitivement très mal si elle sautait d’aussi haut. Dans le meilleur des cas, elle finirait paralysée pour un certain moment, dans le pire… Elle n’osait même pas y songer !
Sa peur s’intensifia alors que du lustre tombaient mollement son arc ainsi que son carquois et son précieux contenu. Fermant les paupières tout en priant que ses amis ne soient plus très loin pour la sortir de ce terrible cauchemar, Astrid tenta de s’agripper encore plus fermement au muret… mais celui-ci, comme commandé par Iakyndy, se mit subitement à lui fuir entre les bras, et à devenir curieusement glissant. Finalement, la jeune fille se retrouva soufflée par une bourrasque de vents glacés encore plus sauvages que les précédents, qui eurent raison d’elle.
Astrid lâcha prise.
Elle crut tomber définitivement dans le vide lorsque la partie inférieure de son corps passa par-dessus la limite du lustre. Mais, par elle ne savait quelle forme de réflexe, la jeune fille était parvenue à agripper dans la précipitation le rebord de la surface glacée qui l’avait maintenue éloignée de Iakyndy un moment. Serrant les dents par l’effort, une paupière fermée de douleur, Astrid posa son regard sur le vestibule loin sous ses pieds. En dessous, la Princesse de Cristal l’observait attentivement, un sourire pervers creusé sur son visage altier, sans doute ravie par le spectacle pitoyable que son ennemie lui offrait.
Cependant, Iakyndy finit par se lasser. Sans un mot, mais soupirant doucement avec une tristesse lourdement exagérée, la jeune femme leva à nouveau la paume. Croisant un bras sous sa poitrine, elle mouva ses doigts dans l’air avec délicatesse, comme on dirait au revoir à une chère connaissance, son regard cristallin plissé posé dans la direction totalement opposée où se débattait Astrid avec le vide. La Princesse de Cristal créa de nouvelles salves de vents, bien plus légers que les précédentes, mais qui suffirent pour chatouiller les doigts brûlés par la glace du lustre auquel elle était encore accrochée.
Ballottée par les courants d’air de la Sorcière des Glaces, Astrid n’y tint plus : elle tomba. Elle poussa un cri minable lorsque son dernier doigt lâcha prise, ses yeux écarquillés d’horreur, et le cœur battant à tout rompre jusque dans ses tempes, masquant à la perfection le rire mesquin de Iakyndy juste en dessous.
Au même instant, un fracas assourdissant en provenance du vestibule retentit et, presque aussitôt, une voix hurla par-dessus le vacarme :
– ASTRID !!
La suite se passa tellement vite qu’Astrid mit un certain temps à comprendre ce qu’il lui était arrivé. Elle s’était sentie clairement tomber du lustre. Cependant, et même si sa chute lui avait paru quasi instantanée, elle était parvenue à distinguer le claquement bruyant des deux portes de cristal par-dessus son cri. Puis, la jeune fille avait juré avoir entendu quelqu’un prononcer son nom, et avant même qu’elle ne puisse se mouvoir dans les airs pour tenter de discerner à qui appartenait cette voix, elle se trouvait déjà fermement blottie dans les bras de quelqu’un. La brune avait tenu à garder les yeux clos tout le long, et les garda ainsi résolument fermés même lorsqu’elle sentit que son mystérieux sauveur impromptu s’était réceptionné sur le sol. Finalement, lorsqu’elle n’entendit plus un seul bruit mis à part la respiration chaude tout près de sa joue, Astrid s’autorisa finalement à rouvrir lentement les paupières… avant de les écarquiller aussitôt.
Au-dessus de son propre visage était penché celui de Yume, qui la fixait avec insistance, sans doute pour s'enquérir de son état. Ahurie et le rouge aux joues, Astrid se vit incapable de prononcer le moindre mot. Ses amis étaient enfin arrivés, et ils avaient même réussi à la sauver à temps d’une mort certaine ! Mais… elle aurait préféré que son sauvetage se passât dans d’autres circonstances. Gênée de se trouver ainsi blottie dans les bras de son ami, la jeune fille bafouilla des excuses mélangées à des remerciements maladroits tout en roulant telle une larve pour se défaire de son emprise. Le jeune homme la laissa faire sans rien dire.
Ils se remirent tous deux sur pieds. Yume dévisagea Iakyndy de son regard turquoise perçant tandis qu’Astrid, qui peinait à se remettre correctement sur ses jambes tant celles-ci tremblaient encore de peur, chercha son arc et ses flèches de regard, avant de se résoudre à penser qu’ils se trouvaient probablement sous le lustre en cristal qui s’était décroché du plafond, sans doute à cause de la magie dévastatrice de la Sorcière des Glaces.
Les deux amis furent rapidement rejoints par Fileya et Léterno qui, armes à la main, se placèrent devant eux comme des boucliers protecteurs.
– C’est terminé, maintenant, menaça Fileya, qui avait dirigé l’embout de son bâton d’Invoquation en direction de Iakyndy, qui les fixait tous les quatre avec les poings serrés le long de son corps. Rend-toi sagement, et nous te promettons que nous ne te ferons aucun mal.
– Bien entendu… minauda la Princesse de Cristal, un rictus déformant ses lèvres généreuses. Je serai prête à croire naïvement les paroles d’une Élue des Dieux à l’humeur changeante sans rien dire…
Sans se départir une seule seconde de son sourire pervers qui la caractérisait tant, Iakyndy s’abaissa lentement, un bras passé sous son abdomen et l’autre perdu dans son dos, et effectua une gracieuse révérence. Puis, alors qu’elle redressa des yeux emplis de haine derrière ses mèches bleues qui lui tombaient sur la figure telles les serpents de la chevelure à Méduse, son corps se transforma progressivement en vapeur d’eau couleur marine.
– Au revoir, héros ! chantonna la voix exécrable de la jeune femme qui résonna dans la pièce comme si elle provenait de partout à la fois. Au plaisir de vous retrouver pour l’affrontement final, où je vous retirerai vos énergies vitales sur vos corps morts de fatigue !
Une fois que la brume fut totalement dissipée, les quatre compagnons d’infortune relâchèrent tous leur souffle dans un soupir commun de soulagement, ne s’étant pas rendu compte qu’ils l’avaient bloqué jusqu’à présent. Tout à coup, l’ambiance dans la demeure toute de cristal changea drastiquement. L’air froid qu’il s’y était imprégné depuis le début de journée se réchauffa subitement, et l’endroit parut nettement plus chaleureux.
Yume et Astrid furent les deux premiers à se lancer un regard et, lorsque leurs deux pupilles couleur d’eau et couleur de sang se croisèrent, ils ne purent empêcher un fou-rire nerveux de poindre. Interloquée, Fileya effectua un volte-face dans la direction de ses amis, avant de se retrouver malgré elle emportée par la crise de rire. Seul Léterno demeura impassible, admirant les trois jeunes gens de son unique œil améthyste, les bras croisés sur son torse. Cependant, l’ombre d’une sourire trouva sa place sur ses lèvres d’ordinaires si fermées.
– Je crois… qu’elle est partie, hypothésa Astrid en tentant de retrouver son sérieux, mais entendre Yume s'esclaffer sur sa droite suffit à la conduire de nouveau vers la route du rire incontrôlé.
Ils rirent encore de bon cœur, avant de souffler finalement pour reprendre contenance. Soupirant de bien être, Fileya apposa une main au niveau de son cœur, tout en faisant disparaître son bâton d’Invoquation d’un geste fluide du poignet. Elle affirma :
– Oui. Je ne sens plus son aura.
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