Chapitre 14.2 : Astrid
Ce ne fut qu’en pénétrant sur la place principale qu’Astrid remarqua que le Village de Cristal n’était plus que composé d’hommes et de femmes ordinaires. Enfin, si l’on omettait leur peau plus dure et foncée que des êtres humains banals. Même les plus petits Gardiens de Cristal avaient recouvré leur taille d’origine, ce qui permit de confirmer les théories de Fileya un peu plus tôt : les Gardiens de Cristal avaient effectivement été les victimes d’un sortilège de Iakyndy. Décidément… Plus elle en apprenait sur cette princesse de malheur, plus la jeune archère avait envie de la défaire de ses propres mains. S’ils venaient effectivement à se retrouver sur “le champ de bataille final” comme l’avait mentionné la jeune femme à la peau de cristal, pour sûr qu’Astrid se jetterait en premier sur elle pour lui régler son compte !
– Bien ! s’exclama subitement Yume en claquant ses mains entre elles, ce qui lui attira le regard des deux jeunes filles qui l'accompagnaient, comme il l’avait manifestement prévu. Maintenant qu’on est là, laissez-moi vous attribuer votre mission…
– Tu te prends pour le chef, maintenant ? releva Astrid, deux mains sur les hanches, un sourire goguenard sur les lèvres, bien décidée à taquiner son ami.
– Je l’ai toujours été, répondit ce dernier avec un naturel déconcertant.
Un rictus crispé aux lèvres, le jeune homme détacha la petite bourse qui pendait à la ceinture de son short. Là, il l’ouvrit sans un mot, et vint y enfouir sa main toute entière sans hésiter. Astrid reconnut immédiatement le sac sans fond offert par les Falkies. Bien qu’il ressemblât à une bourse en toile tout ce qu’il y avait d’ordinaire, la jeune fille savait que ce dernier était en réalité magique, d’autant plus lorsqu’elle vit Yume enfoncer encore plus profondément son bras dans le sac, visiblement à la recherche de quelque chose. Les sourcils du blondinet se détendirent enfin lorsqu’il mit la main sur ce qu’il recherchait. Quand il retira son avant bras de la précieuse bourse magique, il dévoila une bonne liasse de billets turquoise totalement écrasée entre ses doigts.
Toujours sans un mot, Yume compta méticuleusement le nombre de Néos qu’il avait retiré du sac sans fond, avant de faire un rapide calcul mental. Enfin, il partagea la liasse en trois parties plus ou moins égales, puis donna leur part à ses amies. Dans d’autres circonstances, on aurait presque dit que le jeune homme avait partagé son argent de poche avec ses sœurs pour les autoriser à acheter ce qu’elles souhaitaient, dans la limite du raisonnable.
– Fileya, je te laisse te charger des ressources alimentaires, dit-il en plantant son regard dans les yeux bicolores de sa meilleure amie. On aura besoin de…
Yume se stoppa brutalement dans sa phrase, tandis qu’il compta méticuleusement sur ses doigts, ses sourcils froncés de concentration, avant de reprendre, après un soupir dépité :
– ... six portions. Pour minimum trois jours.
– Trois jours ? releva Fileya, qui plia bien soigneusement la liasse de billets avant de les cacher dans l’une des poches de sa toute nouvelle veste. Le voyage durera-t-il si longtemps ?
– Simples prévisions, répondit Yume en haussant les sourcils. Je te fais entièrement confiance. Je t’ai donné la plus grosse part, ça devrait être suffisant. Au pire des cas… prévoit pour deux jours seulement. Ou au pire, on privera Thandon d’une portion.
– Yume… gronda Fileya, deux poings sévères sur les hanches et les sourcils froncés de mécontentement.
En l’observant, Astrid se rendit brutalement compte d’une chose : Fileya avait nettement mûri. Elle ne savait pas si c’était dû à sa nouvelle tenue qui lui assombrissait le visage, ou bien si c’était à cause des nombreux événements qu’elle avait traversé, mais la jeune fille qui se tenait à ses côtés n’avait plus rien de comparable avec celle affublée d’un kimono rose et blanc qu’elle avait rencontrée pour la première dois à Fikternand.
Fileya était… changée… Mais la jeune fille n’aurait su dire si c’était en bien ou en mal. La jeune Invoqueur avait l’air bien plus sage et mature qu’elle ne l’était elle-même, et la brune sentit presque une pointe de jalousie poindre le bout de son nez.
Sans s'occuper une seule seconde de la réprimande de sa meilleure amie de toujours, Yume se tourna tout en direction d’Astrid. Sentant le regard de son ami sur elle, l'Enfant aux Yeux Rouges détourna à son tour les yeux de Fileya, qu’elle vit partir du coin de l'œil, sans doute en quête d’une épicerie où elle pourrait acheter des denrées en quantité suffisante pour le reste de leur voyage.
Quand elle croisa finalement les iris curieusement brillants de Yume, Astrid détourna immédiatement le regard, comme gênée. Elle n’aimait pas regarder les gens trop longtemps dans les yeux, chose qu’on lui avait bien souvent reproché, par ailleurs, malgré ses nombreux efforts pour corriger ce drôle de problème. Cependant, avec Yume, c’était encore autre chose… Encore cette drôle de sensation, cette même qui l’avait assaillie dans le château du Roi de Cristal, un peu plus tôt… Pourquoi avait-elle la désagréable impression que quelque chose avait changé chez le blondinet ? La jeune fille espérait grandement qu’il ne s’agissait-là que de son humble impression, et que rien de tel ne s’était véritablement produit, parce que sinon…
Non. Elle devait se faire de fausses idées. Comment Yume pourrait-il être…
– Encore dans la lune, fit remarquer celui-ci, bras croisés sur son torse, et un sourire de travers déformant ses lèvres.
– Hein… ? Heu… Quoi… ? bafouilla Astrid, le rouge aux joues à l’idée que son ami ait en réalité capté tout le sens des pensées qui la submergeait tout à coup.
– Tiens, c’est ta part, déclara Yume en prenant le poignet d’Astrid pour y glisser une bonne grosse liasse de billets bleutés.
Astrid fixa ses doigts gantés noirs qui lui retenaient doucement le poignet, le regard dans le vague. La poigne de Yume n’était même pas ferme, comme elle aurait pu s’y attendre d’un jeune homme qui avait passé une majeure partie de sa vie à courir l’épée à la main. Les doigts de Yume sur son poignet étaient curieusement doux, ce qui n’était pas sans lui rappeler ce moment où leurs regards s’étaient croisés pour la première fois à Fikternand. Astrid avait l’impression que cela s’était passé il y a des jours, voire des années, et pourtant… Leur rencontre datait d’il y a trois jours minimum. Elle qui n’aimait pas faire de nouvelles connaissances, elle était parvenue à se forger de nouveaux liens d’amitié avec Yume et Fileya bien rapidement. C’étaient comme s’ils… se connaissaient depuis toujours.
Notant que cela faisait déjà de bonnes grosses secondes qu’ils n’avaient pas quitté le contact l'un de l’autre, Astrid se décida à le briser la première. Légèrement empruntée par ce moment d’égarement dans ses pensées, elle retira brusquement sa main pour venir la cacher dans la poche de son pantalon de toile, où elle serra les billets entre ses doigts aussi fort qu’elle le pût. Levant les yeux en direction de son ami, elle remarqua que la lueur dans ses iris lagon s’était légèrement ternie, comme si un voile de tristesse les avait subitement recouvert. Mais Yume récupéra bien vite de son sérieux. Fermant brièvement les paupières, il posa finalement une main ferme sur sa hanche, et ses sourcils se froncèrent progressivement de sérieux sur ses yeux.
– Je te charge des Sphères de Magie, lui expliqua-t-il d’une voix dure, presque froissée, et Astrid se demanda si c’était parce qu’elle avait retiré son poignet sans le prévenir. On commence à en manquer.
– O.K… approuva la jeune fille, se mordant légèrement la lèvre inférieure, passablement inquiète. Mais je vais les trouver où, ces Sphères ?
– Tous les villages d’Onyrik possèdent au moins un stand de Sphères, tu devrais les trouver facilement. Je te fais entièrement confiance sur le choix des magies. On n'a qu’à se retrouver ici quand on aura tous fait ce qu’on a à faire.
– Et toi ? lança la brune à la cantonade lorsqu’elle le vit effectuer un volte-face pour s’enfoncer à son tour dans les ruelles du Village de Cristal. Où tu vas ?
– Chercher du matériel de survie, dit-il, sans même prendre la peine de se retourner. Les alentours de la Flèche de Cristal sont froids, ce serait dommage de finir congelés sur place avant de l’atteindre, non ?
– Oui, c’est sûr…
Sans un mot de plus, Yume effectua un pas déterminé en direction d’une ruelle, comme s’il savait précisément la direction précise qu’il devait emprunter, laissant une Astrid totalement coite derrière lui. Triturant les billets dans sa poche, la jeune fille balaya la zone autour d’elle d’un regard circulaire. Trouver une échoppe de Sphères de Magie… D’accord ! Mais comment parviendrait-elle à la reconnaître ?
Soupirant de désespoir, Astrid se décida finalement à emprunter une rue au hasard. Qui savait ? Peut-être la chance lui sourirait-elle, aujourd’hui ?
****
Le petit groupe de fugitifs ne tarda pas à reprendre la route lorsque le trio chargé des provisions sortit enfin du Village de Cristal. Personne n’avait rien dit quant au temps démesurément important qu’ils avaient pris dans la bourgade pour effectuer leurs achats, mais Léterno leur avait envoyé un regard de braise. Visiblement, le grand homme avait désapprouvé leur retard, mais n’avait rien fait savoir à ses compagnons, et Astrid trouva qu’il n’avait de toute façon pas son mot à dire. La jeune fille ne pouvait toujours pas accepter de lui faire entièrement confiance, bien que, de tous ses amis, elle était la seule à nourrir cette défiance. Elle ne comprenait pas pourquoi personne ne bronchait à sa présence, lui qui était sorti littéralement de nulle part pour leur venir en aide. Personne n’avait pensé qu’il pourrait s’agir d’un des espions de Seven ? Mais Astrid avait-elle véritablement matière à s’inquiéter ? Yume et Fileya, qui faisaient autrefois partie de l'Élite, devaient être bien plus renseignés à ce sujet. Si Léterno avait réellement été un espion, ils le sauraient, n’est-ce pas ? À moins qu’eux-mêmes n’étaient pas au fait de tous les membres agissant dans leur l'ombre de leur ancien Supérieur… ?
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