La Toison Dort
Sous la longueur un peu lourde de mon peignoir duveteux, ma main posée sur mon genou quitte sa place. Elle glisse pensivement sur ma jambe, avec le plaisir tranquille de caresser le pelage d'un chat paresseux qui s'étire.
Finie l'angoisse du travail mal fini, mal fichu. Finies les grimaces dès que la pulpe d'un doigt passe sur mon tibia, jamais assez lisse, assez pur, assez stérile pour les goûts robotiques. Fini le carnage éternellement renouvelé des rasages, des épilations à la cire. Fini le champ de bataille des petits boutons blancs, poils incarnés et repousses drues qui apparaissent, comme piques et épieux, en terrain miné.
Non, malgré mes efforts de guerre, je n'ai jamais eu les jambes de plastique sur papier glacé des publicités mensongères. Il a pourtant fallu un choc, un énième traumatisme pour enclencher le déclic, l'abandon bénéfique, la désertion salutaire.
Je me sens arbre, et j'ai cessé de scier les bourgeons de mes feuilles aussitôt qu'elle éclosent au bout de mes branches toutes nues. Depuis huit mois, je laisse librement ma nature faire son œuvre.
Trop occupée jadis à scruter ses dites imperfections à sa vue, je souris à mon enveloppe, je souris à moi-même, comme je ne l'ai jamais fait auparavant. Je lève les bras sur ma nudité qui a cessé d'être agressée.
J'aime les petites flammes noires qui me crépitent aux aisselles, sans jamais les brûler. J'aime les broussailles protectrices aux frisures charmantes, qui bouffent en un grand triangle ombreux aux angles doux, sous le petit rebond de mon ventre. J'aime cette toison, gardienne d'une intimité sacrée, qui, comme la fleur vainqueresse et fragile sur les ruines d'un palais antique ou les craquelures du béton, reprend enfin ses droits sur les profanations criminelles.
Mes yeux se ferment du simple bonheur d'être – de ne pas me nier. En paix. Bienveillante, je me caresse dans la gloire, l'estime, le respect et l'amour de mon corps animal.
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