Pauvre François!
Il entrait dans le bâtiment immense et fabuleux, et décidait de faire durer le plaisir en suivant le guide et le petit groupe de visiteurs qui en apprenaient plus sur les œuvres exposées. Il les connaissait bien évidemment. C’était un professeur d’art non mais !
Il passait devant la statue de la Maternité exalté, admirait les détails prenants du « Dos couché » de Garache, se perdait dans « le Regard rouge Bleu » de Duvillier et s’extasiait devant l’ « Hymen » de Joseph Ebstein.
Il faisait l’amateur en gros.
Et quand il passa devant la collection de Modigliani il ralentit le pas échappant au groupe qui disparaissait vers d’autres tableaux.
C’était ici qu’il continuerait. Rappelez-vous il avait un rêve.
Ce fut « La femme à l’éventail qui l’accueillit » dans sa position nonchalante, son regard indiquait presque à notre cher François qu’il devait se dépêcher de rejoindre sa bien aimée. Il ne fit pas le capricieux, se déplaçant vers le tableau précieux.
Et enfin il la vit. Et il pensa que toutes ses études acharnées avaient fini par payer à juste titre.
Belle. Juvénile. Si incroyable qu’il en perdit un moment l’usage de la parole. C’était un grand enfant à ce moment.
Il s’approcha plus que possible le souffle coupé, le cœur à cent à l’heure. Il l’avait vue pourtant c’était une première fois pour lui. Jeanne semblait amusée de le voir derrière son manteau noir, elle lui disait presque « Salut » pour un peu.
Le regard bleu si doux qui le transperçait le rendait encore plus fou qu’il ne l’était déjà. Les cheveux bruns du modèle semblaient resplendir pour lui. Modigliani était un génie fini.
Les gestes chastes des doigts empressés contre le manteau, empruntés à Vénus dans sa naissance, l’allure du cou de La Madone de Parmesan, et la singularité des masques africains ne faisaient qu’un dans ce tableau. Et François… bah François crut qu’il était sur le point de s’évanouir, de sauter, de crier, de pleurer, d’aller au Paradis, au ciel, en enfer là tout de suite. S’appelait-il même encore François ?
Les bonnes manières pensa-t-il un peu nerveux.
Il toussota, remit son col en place et sourit, ce qui sembla plaire au tableau.
Il cherchait ses mots, il ne fallait pas dire n’importe quoi non plus. C’était un honneur qu’il n’aurait peut-être plus.
« Vous êtes la plus belle chose qu’il m’ait jamais été permis de voir de toute ma vie Madame et Dieu sait que je ne saurai être plus honnête. »
« Votre sincérité me touche mais votre admiration m’émeut »
Encore une fois François avait une vraie âme d’enfant malgré son très grand âge. À un point tel qu’entendre parler un tableau ne l’ébranla pas plus que ça. Au contraire, il sourit de toutes ses dents comme si tout cela était normal. Il tendit le bouquet de magnolias qu’il avait apporté, car oui c’était un véritable gentleman également.
La femme les saisit un peu timidement presqu’avec charme alors que son regard bleuté restait inchangé.
« Vous souhaitez me rejoindre François ? »
« Comment vous dire non Madame ? J’ai un peu attendu ça toute ma vie »
Et sur ce il saisit la main que le portrait lui tendait tendrement et il disparu dans le tableau sans que qui ce soit ne le remarque jamais.
Quelques jours plus tard, un homme fut retrouvé mort dans son appartement à Chartres, mort la gorge à l’air, dans son lit, l’arme du crime près de sa tête. Et dans ses bras une seule chose.
Un tableau. Une femme aux yeux bleus mélancoliques, au manteau noir, aux gestes gracieux un bouquet de magnolias dans les bras.
Pauvre François !
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