50 – 9 janvier 2023 – J'ai lu ça dans Midi Libre (3).

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J'entame le texte du jour par une parenthèse, par amour du terme autant que du concept, mais surtout pour rappeler à l'éventuel.le lecteur.trice de ce faux journal en perpétuelle évolution que la démarche qui préside à l'élaboration de ces écrits relève avant tout du principe littéraire. Il s'agit d'une mise en bouche instable, destinée bien entendu à attirer l'attention de ces lecteurs du net qui aiment à picorer en ligne, et, pour ma part, d'un exercice de pratique quotidienne destinée à me dérouiller à la fois les doigts et les neurones. J'écris plus vite et plus efficacement qu'il y a trois semaines mais je ne suis pas encore satisfait du résultat esthétique. Je retravaille mes connexions synaptiques, en quelque sorte, me force à raccourcir des phrases, réactive le compteur des répétitions. Mes meilleurs textes, d'un point de vue strictement littéraire, datent à mon avis du confinement. Et j'ai rédigé des pages plutôt bien torchées en avril-mai dernier. Mon objectif reste ici de poursuivre ces dernières jusqu'à leur coller un point final et d'entamer d'autres chantiers. Je n'y suis pas encore mais je m'en rapproche chaque jour.

La matière première du « Journal qui s'achève en traînant la patte », pour douloureuse qu'elle soit selon les jours, les péripéties, ou l'humeur changeante de votre humble narrateur, m'apparaît malléable : c'est de la pâte à modeler. Je retranscris des pensées, des souvenirs, diverses émotions. Si j'emprunte le plus beau des raccourcis, se raconter à l'écrit n'engage qu'une créativité moindre, ce qui me permet de me centrer sur les articulations du texte. Les mots, les tournures de phrases, les limites du paragraphe, les transitions.

Le fond importe peu, d'une certaine manière, et pourtant il me brûle les lèvres lorsque j'écris à voix haute comme j'ai tendance à le faire. J'y brasse nombre de ces pensées lugubres qui nourrissent les mauvais rêves et attisent l'insomnie. L'on acceptera ce revers de médaille en se fichant comme d'une guigne de passer pour le roi des nombrilistes parce que ceci correspond rarement à plus d'une heure de temps volé au quotidien. Et celui-ci se soumet non sans mal à celui des autres depuis si longtemps qu'il m'arrive de m'interroger sur les aspects de ma personnalité qui me poussent à tolérer un tel état de fait.

Sans aller plus loin, j'ajouterai que cette série de textes constitue également – et je l'ai déjà écrit à plusieurs reprises ici ou là dans ce journal qui n'a rien d'intime même si, je vous prie de me croire, je ne dis pas tout – un outil thérapeutique de premier ordre. Ca ne remplace pas un psy mais ça me coûte beaucoup moins cher, vous en conviendrez.

Et j'en viens au réel motif de cette parenthèse qui s'apparente de plus en plus à un hors-sujet. L'histoire que je m'apprête à conclure – mais ne nous avançons pas trop, nom d'une pipe à la Magritte – n'est pas le rapport circonstancié d'une querelle de voisinage ou de violences conjugales. Nous ne sommes pas dans un récit de témoignage à proprement parler. Je ne cherche pas non plus à ce qu'on me suggère l'une ou l'autre façon de faire. Je conçois que la violence des faits relatés scandalise toute personne pourvue de valeurs morales. Vous avez envie d'intervenir. Vous avez envie que ça s'arrange, que ça s'arrête, que le méchant soit puni et que la jeune femme se libère de son emprise. Peut-être vous dites-vous que le narrateur/observateur des faits aurait pu faire davantage ou différemment. Je vous rassure, il le pense aussi. Ceci étant posé, je vous raconte avant tout une histoire parce qu'elle me tient à cœur et qu'elle me poursuit encore de temps à autre. Ma compagne, sans parler de trauma, ne supporte plus ce quartier, sa maison, le temps passé entre ses murs. Elle rêve de sérénité dans un havre de paix. Je n'en suis pas loin mais ce sont d'autres démons qui me rongent.

Une partie de moi me répète en boucle que l'on ne se substitue pas à la police ou à la justice, et que balancer des torgnoles à des connards qui battent leur compagne m'aurait probablement valu plus d'emmerdes que de satisfactions (une plainte à mon égard de la part de la victime, ce qui serait un comble, mais se vérifie hélas dans de nombreux cas, sans parler de représailles de la part des familiers et la suite aura prouvé que j'ai eu le nez creux sur ce point). Mais il existe aussi chez tout individu une sorte de moi-rêvé, un idéal à atteindre, éthiquement parlant, qui me rappelle constamment qu'il m'aurait suffi d'étendre le bras, cette première nuit devant l'immeuble, pour lui saisir la nuque et le jeter à terre, lui casser deux, trois côtes, lui demander comment on se sent quand on se retrouve du mauvais côté de la semelle.

J'ai songé évidemment à l'intimider avec l'apport conséquent de diverses masses musculaires mais je vous rappelle que les premières manifestations de violence (chez ce couple précisément) ont éclaté dans le courant de l'été, dans le contexte d'une saison pour le moins inhabituelle au cours de laquelle compter sur ceux qui avaient été jusque là mes amis les plus proches devenait impossible. Je conserve le souvenir vivace d'une brève discussion à ce sujet au cours de laquelle j'ai relaté les événements vécus la première nuit (voir le texte du 7 janvier). On m'a répondu poliment mais sans manifester le moindre intérêt. Je n'ai pas cherché plus loin et j'ai béni l'arrivée de mon fils aîné au nom de Zappa le tout-puissant (je vous l'ai dit, Zappa c'est Dieu, ou alors c'est Bob Dylan, mais aujourd'hui c'est Zappa).

Sur ce, j'aimerais achever ce récit aujourd'hui et il est déjà neuf heures passées. Et tu connais mes emplois du temps de con : linge à plier, caca trop longtemps, pompes/abdos/vélo d'appartement/re-caca trop longtemps/coup de fil intempestif/pipi/linge à étendre/exercices de basse/re-caca/exercices de guitare/café/chant/miam-miam très très vite/hygiène corporelle/hygiène dentaire/re-re-re caca trop longtemps/Jam/bouchons/etc dans un ordre aléatoire. Ah merde, faut que je case les courses. Putain mais comment vous faites, vous autres ? Je n'accomplis absolument rien d'exceptionnel.

Revenons à nos moutons et à cet été chaud-chaud-chaud.
(Je t'avoue qu'il me faut un temps de latence, tout n'est plus si clair dans ma tête.)

Revoyons un peu le thermomètre de l'été. Il est descendu d'un coup. Je ne sais plus quand précisément, et il y a eu ces pluies torrentielles qui nous ont d'ailleurs annulé un concert à la fin du mois d'août. Ca explique les fenêtres closes du jour au lendemain. Moins de bruits. On partage moins l'espace sonore et on ne va pas s'en plaindre mais à aucun moment je n'oublie ce qui se déroule derrière certaines vitrages.

Ces pensées s'installent toutefois en périphérie. J'ai d'autres inquiétudes, une anxiété croissante qui s'enracine de plus en plus profond à chaque concert. A la maison, mon stress contamine femme et enfants. Je fais au mieux mais si j'en crois le diction, ce serait l'ennemi du bien. Je croyais que c'était Dark Vador, Thanos ou Garmadon, mais je crois surtout que je manque de sommeil, de temps, d'air. Une constante.

Parfois, un vague murmure traverse les murs brutalement. Comme si l'on hurlait à la mort dans une cabine matelassée. Comme si Bon Scott enregistrait ses vocalises dans une boîte d'allumettes. Je jette un œil dehors. La porte de l'immeuble qui claque et la jeune femme quitte les lieux dans la nuit à peine fraîche de ce mois de septembre humide. Sur sa trottinette électrique, elle file comme le vent. Mais un vent poussif. Elle irait plus vite dans une voiture de flics.

Parfois, je rentre de concert – et là, je parle de fin août essentiellement même si nous avons un peu joué également le mois suivant – et ma compagne me dit quelque chose comme « ils ont recommencé. » Elle ne rentre jamais vraiment dans les détails, se contente de souffler, de manifester son dégoût, de répéter qu'elle en a marre.

Moi aussi, mais différemment. L'herbe n'est pas plus verte ailleurs. Je l'ai trop souvent vérifié. Mais surtout, reconnaissons-le, elle en a vu davantage. Je m'échappe certaines nuits et loupe de nombreux épisodes. Et là, mes chers amis, il n'y a ni résumé en ligne ni replay. Les coups laissent des marques, les souvenirs laissent des rêves, mais je ne suis pas le même témoin.

En revanche, j'ai développé un blindage moins solide, plus friable dans sa conception, plus miteux dans son endurance.

La preuve en technicolor dans les lignes qui suivent.

« Dans la nuit du 23 au 24 novembre », je travaille des lignes de basse dans le bureau. Le temps a passé et je suis en train de changer de vie. Transition qui s'éternise à ce jour et qui n'achève pas de me causer migraines et incertitudes, mais le fait est que. Etudes musicales, pratique de la basse, de la guitare, du chant. Théorie musicale, etc. A côté de ça, je me tourne pleinement vers ma famille, et notamment ma compagne, tâche de modifier mes comportements les plus autistiques. Compliqué, ardu, parfois vécu comme impossible, mais je me force et me contrains, et il me plaît de démontrer à cet accablant moi intérieur que se changer soi-même reste une option viable. Alors il est minuit et, une fois n'est plus coutume, je bosse mes lignes de basse jusqu'à pas d'heure dans le bureau du bas.

Les guillemets ouvrant ce paragraphe signalent une citation, récupérée sur le site de Midi Libre que vous irez lire si vous en éprouvez le besoin.

Ca sent le déjà-vu, sans doute, mais je pose mes écouteurs et dehors, ça hurle sauvagement. Je me rends compte sur le champ que les cris de cet été n'étaient que du pipi de chat à côté de ce que j'entends. La force de l'habitude me précipite à l'extérieur à la vitesse d'une tortue neurasthénique. J'en ai un peu marre, souvenez-vous. La puissance des éclats m'inquiète toutefois. Je rappelle que les fenêtres sont fermées. Les volets sont clos. On n'entend rien de rien dans cette impasse. Il n'est pas encore une heure du matin mais on s'en approche, et, à cette heure-là dans cette rue-ci, un mercredi soir, autant vous dire qu'il ne passe rien ni personne.

J'entre dans la maison. Déjà-vu encore. Ma compagne à la fenêtre, scrutant la nuit. Pas d'image pourtant. Volets clos. C'est une façade comme un autre pour les sourdingues.

On discute. Aucun de nous ne reconnaît la voix de la jeune femme. Incompréhension totale. Mais nous percevons tous deux l'urgence. Et de fait, la voix monte encore d'un cran. De criard gémissant, la voix passe à strident, implorant, terrorisée. On l'entend parler de couteau. L'horreur s'impose comme un truisme de la vie en paliers.

« Appelle les flics » je dis. Et j'empoigne le premier objet contondant qui passe – en l'occurrence, ne riez pas, un tube d'aspirateur, le modèle rigide, en inox dur. Ca peut faire mal mais ce n'est pas une batte ou une machette et je ne risque pas de tuer quelqu'un. Le temps de déverrouiller la porte d'entrée et de remettre le nez dehors, j'ai le temps de penser au merlin que je garde dans le bureau pour éviter que les enfants ne jouent avec, au katana de pacotille hérité d'un frangin de ma belle, à une hachette utilisée jadis pour achever un arbre mort qui nous mangeait le jardin, à un pied-de-biche qui a toujours plu à mon aîné...

A l'extérieur.

Un couple s'agite à l'entrée de l'immeuble. Porte vitrée, lumière des parties communes allumée, on distingue à peu près ce qui se passe mais je ne reconnais pas tous les protagonistes. La femme qui hurle n'est pas celle que nous connaissons. Elle a empoigné son portable et appelle au secours, à l'aide, c'est pour ça d'ailleurs que je suis sorti avec mon tuyau ridicule. Mais là, elle répète ces mêmes mots dans un téléphone et ma compagne me dit : « N'y va pas, elle appelle la police ».

Je lui répète qu'il faut qu'on les appelle aussi, je tourne en boucle. J'ai beau avoir vécu à la Paillade, avoir subi des tonnes d'agressions, des vols à la sauvette, des coups de pieds dans la tronche, je n'ai jamais ressenti un tel sentiment d'insuffisance. Ma compagne me dit qu'on ne sait pas ce qui se passe, qu'ils sont peut-être armés, que si la femme qui téléphone aux flics parle d'un coup de lame, je risque des perforations dont on se passerait bien, je vois qu'elle tremble et je repense à son vécu à elle, son passé à elle, sa vie d'avant moi et à toutes ces putains d'enfances brisées.

Je lui dis que je ne peux pas ne rien faire, que je refuse de lire un article dans deux jours dans lequel on détaillera la mort d'un voisin ou d'une voisine dont je n'ai fondamentalement rien à foutre mais c'est des êtres humains et je n'aime pas la mort, c'est mal de mourir et tuer ne se justifie que si on parle de Macron et consorts, bordel de merde.

(Tu la sens la panique qui monte ? Je la revis en tapant ceci et je sais que je ne me relirai que pour les coquilles. Je n'ai pas aimé ces moments et j'aimerai les effacer de ma mémoire)

Pendant qu'on cause, elle et moi, sur le parvis de la maison – situé en hauteur par rapport à la rue – il y a du mouvement dans mon dos. Attends, non. Ca me revient. Je suis en bas, à la grille, avec mon tube dérisoire et ma compagne se tient derrière la rambarde de la terrasse, à l'étage donc. On discute, comme je te disais, et là d'un coup, dans mon dos, ça bouge. Elle me décrit ce qu'elle voit, je n'en perçois qu'une partie. Un type qui part en courant. Grand, élancé, l'air plus âgé que les autres. Ceux-là sont au moins quatre ou cinq et c'est comme si on les avait tirés du lit.

« Alors là, je comprends pas, y en a même en caleçon, torse nu, pieds nus... »

L'amour de ma vie peine à assimiler les événements. Je ne peux pas l'aider. J'hésite encore à me jeter dans l'arène.

Les dépenaillés reviennent. Visiblement, ils poursuivaient le grand type, le foutaient dehors, veuille me passer l'expression. Ils retournent dans l'immeuble et l'autre revient à la charge. J'aperçois son profil. Il fulmine. Il essaie de défoncer la porte de l'immeuble.

Je ne comprends pas qui agresse qui.

Je sais que j'ai oublié des détails. A un moment, mon voisin immédiat est rentré chez lui à vélo, me décrivant des « jets de pierre » à l'entrée de la rue. Il me dit « c'est n'importe quoi ». Je ris nerveusement et lui demande s'il a été blessé. Il dit que non, qu'il en a juste ras-le-bol. D'autres voisins, plus âgés, me répéteront ces mêmes mots les semaines d'après.

Ma compagne est revenue dans le salon. Je l'y retrouve prostrée, se tenant la tête entre les mains en position foetale. Elle a les yeux clos, les lèvres serrées, les bras et les jambes tendus, contractés, ce n'est plus de la chair et des os mais du béton, du métal, du kevlar.

Je l'entoure de mes bras gauches et lui promets de ne pas aller trouver ces fous. Je lui dis que ça va aller, que les flics vont venir, puis rapidement je me tais parce que je sens que ça l'emmerde, qu'elle a juste besoin de ce contact et de se murer je ne sais où le temps de se reprendre et de cesser de trembler.

Les flics débarquent peu de temps après. La blague voudrait qu'ils arrivent avec trois mois de retard mais s'ils sont venus, c'est évidemment à cause du coup de couteau.

Je vois mon voisin qui fouille son jardin avec une lampe de poche. Je vois des voitures de flics. Trois. Des flics de toutes sortes. En uniforme, sans uniforme, en bleu foncé, en bleu clair, avec radio sur l'épaule, sans radio sur l'épaule, tous portent le flingue réglementaire dans le holster, les doigts de la main droite posé sur la crosse. Je vois le grand type de tantôt les genoux à terre et les mains sur la tête, à deux mètres devant l'entrée de l'immeuble. Je souffle de soulagement.

Mon voisin m'explique qu'ils ne retrouvent pas le couteau. En effet, ça cherche de tous les côtés dans l'impasse. Sous les voitures garées un peu partout, dans les jardins. Je me munis d'une frontale pour fouiner dans nos allées. J'entends du ramdam. Manifestement, les flics embarquent à peu près tout le monde. Tout est dans l'à peu près, j'imagine.

Lorsque nous nous couchons, une heure plus tard, nous ne savons toujours pas ce qui a fait quoi, qui a volé dans les plumes de qui, qui a poignardé qui.

Les jours suivants s'avèrent tranquilles. Les nuits surtout.

Je croise la victime de cet été sur sa trottinette électrique. Elle est seule et elle semble contrariée. Précisons : davantage et différemment.

Je comprendrai en lisant l'article que nous aura envoyé une voisine, celui du titre de ces textes. La victime de cette été, cette jeune femme à la trottinette et à la tronche fréquemment éclatée, sous-louait. Le gars qui s'est pris le coup de couteau venait chercher des loyers impayés avec sa femme et tous deux ont été agressés par la victime de cet été et toute une bande de types qui, manifestement, savent cogner puisque l'un d'entre eux s'est entraîné sur elle pendant six mois. Ils se sont jetés sur le couple – qui, on est d'accord, aura mal choisi son moment pour régler un souci financier – à coups de beignes et de couteaux de cuisine.

Il n'y a pas de morale à cette histoire. Les agresseurs – dont le cogneur de cet été – sont passés par la case garde à vue et je ne les ai pas revus dans le quartier. La jeune femme qui prenait des coups mais qui semblait capable d'en donner également a disparu des radars et le couple aux bonnes idées nocturnes s'en est tiré avec des points de suture.

La prochaine fois que j'entends quelqu'un hurler, je ne sais toujours pas ce que je ferai.

Passe une bonne journée dans ce monde étrange et garde le sourire tant que ça ne te ronge pas les commissures.

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