110 – 25 avril 2024 – Quand j'entends le mot culture, j'encule un labrador
C'est insensé, ridicule, à mon image sans doute, mais j'aime cette formule. Oiseuse, pourtant, puisque calquée sur un vilain mot de Goebbels, celui qui aimait les livres parce que c'est joli quand ça brûle. Le principe de brûler un bouquin ne me gène pas dans l'absolu. J'ai jadis possédé un machin signé VGE avec lequel j'ai alimenté un barbeuk qui tardait à démarrer et je ne me suis pas senti subitement intolérant, moustachu, harponné par cette crampe soudaine du bras droit qui s'empare volontiers du Dr Folamour.
Idiot, modestement ordurier, j'aurais pu fait pire – bigre, j'ai écrit et dit bien pire, y compris sur radio Campus il y a une éternité !
D'autant que le labrador n'a rien demandé, lui.
J'avais envie d'un titre imbécile et percutant, facilement oubliable avec le temps, le genre de phrase qui se range entre deux feuilles de brouillon. La phrase qui se cherche, qui plaît un peu et qui, peut-être, prépare la suite ou, ma foi, n'achève rien. Une phrase qui exprime toutefois un désarroi profond, le sentiment désabusé de ne correspondre à rien et de ne jamais rencontrer celui que je suis censé devenir. Tu le connais, ce sentiment ? Oh, je gage qu'il te traverse parfois. J'espère juste qu'il ne t'envahit pas comme il l'ose à mes dépens. L'enfoiré s'est installé, il prend ses aises, tout confit de sa tranquille démesure et de son éclat verdoyant. J'ai l'habitude maintenant : il débarque au réveil avec ses pantoufles en peau de granite et dévaste les marches du grand escalier, renverse mes quatre expresso, me prive de la bulle d'air et j'éprouve un vertige constant.
La culture, dans tout ça ? Pffff, une formule, une provocation. J'aime ça, provoquer. Même chichement, avec les quenottes trafiquées d'un jouet sans substance. Les faux débats sur Aya Nakamura m'ont usé. Quelle importance ? L'enjeu des JO me semble dépasser de très haut ce genre de bisbilles – et je n'aborde même pas la question du racisme. On a le droit de détester sa musique. On a aussi le droit de remettre les choses en perspective : en quoi Taylor Swift, Rihanna, Beyoncé et les starlettes de la pop américaine lui sont-elles si supérieures ? Qui d'autre auriez-vous préféré ? Orelsan ? Vianney ? Pitié.
Pour ma part, ma seule participation active aux Jeux Olympiques se limitera à acquérir une télécommande universelle et à me promener dans Montpellier pour éteindre tous les postes que nos bons cafetiers auront eu la bonté de poser sur leurs terrasses.
Mais sincèrement, entre les gens que l'on tue à Gaza, la démocratie qui recule, le service public qui se meurt, tout ce que je peux dire sur la culture, c'est qu'elle ne m'apporte plus grand réconfort. Elle ressemble de plus en plus à ces personnages de Bret Easton Ellis dans les Eclats, sont dernier bouquin : inconsistants, creux, interchangeables et pourtant tordus de fond en comble, à la fois lisses, sinistres et vaporeux – et toujours à fumer des cigarettes aux clous de girofle, curieux... Je n'ose même aborder la question du cinéma, ce sport de riches.
Je crois que je suis brisé à l'intérieur. Musicalement, peu de choses excitent ma curiosité. Je me suis exprimé assez vertement sur la notion de « reprise », mon refus de plus en plus viscéral de m'y coller. Disons que c'est une position de principe et que je ne peux complètement m'y tenir. L'épisode Punky Brewster touche au sublime tant c'est pathétique : à peine lancée, la page s'efface.
C'est moi, hein, cherchez pas. Et d'ailleurs, le labrador, c'est peut-être aussi moi.
Vous n'aurez ni le fin mot ni l'explicatif, ce serait trop simple. Le virtuel ne correspond à aucune sorte de réalité parallèle, n'en déplaise aux scénaristes en manque d'inspiration, mais le téléphone existe et vous aurez de nos nouvelles, je suppose.
Il n'en demeure pas moins que les places sont chères pour les créateurs – et je ne dis pas ça pour moi. Moi, je ne suis personne. Je dis ça parce que je regarde les programmations des lieux que je ne veux plus démarcher et ça me terrifie. Des cover-bands, des tributes à tout et n'importe quoi, et le pire, c'est qu'il y a de la qualité ! J'aurais préféré l'inverse. Une sorte d'évidence qui me permettrait de dire : « Vous voyez, hein ? Vous voyez ? » Mais non, il faut tendre l'oreille et je te le dis comme je le pense : je veux bien me taper l'intégrale d'Aya Nakamura en boucle plutôt que de voir un tribute aux Beatles, groupe que je place quasiment tout en haut mais pas tout à fait parce qu'il y a Zappa, merde, faut pas déconner. Et oui je vais voir les tribute de Zappa, oui je me contredis, mais admettez tout de même que c'est toute la différence entre la musique savante et mettons... les Sex Pistols ! (Que j'écoute religieusement comme n'importe quel labrador).
Alors oui, il y a le jazz, des musiques un brin plus aventureuses, l'afrocubain, l'afrobeat, cette fameuse étiquette « world » qui ressemble à un arbre qui voudrait cacher la forêt, mais sans vouloir cracher dans le bouillon-cubes, le principe même du jazz fonctionne sur une sorte d'auto-digestion permanente – et pis on y comprend rien, d'abord, et pis mon labrador il sait pas danser là-dessus non mais !
(Je blague. Si je n'avais rencontré Zappa, j'aurais apprécié le jazz sans les pincettes et le sourire narquois. L'enfoiré a tout déconstruit. Par sa faute, je n'écoute pratiquement plus que Coltrane, Monk, et l'album Bitches Brew de Miles Davis. Salaud de Zappa, tiens!)
J'ai eu des coups de cœur, ces derniers temps. Des coups de cœurs amicaux essentiellement, des élèves, des instrumentistes. Certains d'entre eux sont de belles âmes, la plupart. Un au moins me semble correspondre à ce que j'attends d'un auteur-compositeur-interprète. J'en causerai un autre jour, musique à l'appui. Mais je ne sais que dire de plus, je me vois perdu en leur sein, incapable de les saisir à bras-le-corps et de leur faire comprendre que je suis heureux de connaître des gens qui, au moins de loin, me ressemblent. Je ne suis pas sûr que ce soit important mais ma foi, puisqu'il est là, le labrador, autant lui foutre la paix, hein. Un peu de ouate dans ce monde d'acier, pas vrai ?
Ceci est le dernier texte du « Journal d'un monde qui s'achève en traînant la patte ». Il fallait bien qu'il s'arrête un jour et j'aurais mieux fait de le nourrir abondamment cette année qui vient de s'écouler. Je n'ai juste pas pu. Trop mal, trop usé, trop hagard, trop démonté par cette part de mélancolie qui nous mange tous de temps en temps et dont je ne me débarrasse toujours pas.
Je retourne à l'enseignement, à l'écriture j'espère aussi, mais ça hein, les histoires de temporalité, de logistique, tout le toutim, bah on verra bien. Je n'ai plus la foi. Je continuerai de composer. J'ai au moins acquis suffisamment de savoir-faire pour m'amuser et il y aura des collaborations triées sur le volet, n'en doutons point, mais soyons sérieux deux minutes : je n'ai jamais été si bon que ça à l'harmonica. Ce n'est pas comme si je privais le monde d'un talent inouï. Et pis bon, Geoff en profitera un brin, et Soul & Pepper, et deux ou trois olibrius si ça leur chante. Simplement, je n'y crois plus. Je suis l'ombre de mon ombre et il n'y a qu'avec la plume que j'acquiers de l'épaisseur.
Il y aura d'autres textes. Il seront différents.
La bise à toi qui passes.
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