Chapitre 7

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L'enterrement de la Reine eu lieu quelques semaines plus tard. La procession traversa lentement la ville en direction du cimetière. Tous y assistèrent : nobles, bourgeois ou ouvriers, enfants comme adultes, hommes, comme femmes, et tous retirèrent leur couvre-chef au passage du cortège. La Reine était très appréciée.

De toute la cérémonie, Lucille refusa catégoriquement de verser la moindre larme, bien que la bienséance l'exigeât, et cela ne passa pas inaperçu. Elle sentait les regards réprobateurs dans son dos, mais elle ne cèderait pas. Il en était même hors de question. Car au fond d'elle, la princesse bouillonnait de rage, et elle devait se faire violence pour ne pas exploser. Elle serrait si fort les poings qu'elle retrouverait certainement huit demi-lunes dans ses blanches paumes ce soir-là.

Pourquoi cette affreuse femme avait le droit à de tels obsèques, alors que le vieux Roland s'étaient fait froidement exécuter ? Pourquoi autant de gens pleuraient sa mort, alors qu'on se réjouissait de celle de l'homme qui l'avait élevée avec amour ?

Le regard aiguisé de Lucille croisa celui de son royal père. Lui non plus ne pleurait pas, mais son visage dévasté suffisait pour comprendre l'affliction qui le touchait. Elle le fixa tout le reste des funérailles. Il était plus que probable qu'il soit au courant de l'entièreté des évènements, mais n'avait rien fait pour protéger le vieil homme. Non pas qu'elle s'attendait à quelque chose de sa part. Il n'avait jamais rien fait pour améliorer la vie de Noël. Pire, il avait tellement honte de son existence qu'il avait toujours tout fait pour la cacher.

Elle le détestait. Elle le détestait autant qu'elle détestait cette femme. Et son regard le lui avait bien fait comprendre.

Deux mois plus tard, le Roi rejoignit son épouse au ciel après de longues semaines alités. Le chagrin apporté par le décès de cette dernière avait eu raison de lui selon les médecins. Et comme pour celui de la Reine, Lucille resta de marbre à l'enterrement de son père.

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Plusieurs années passèrent, le quatorzième anniversaire de Lucille et Noël approchait et leur train de vie n'avait pas vraiment changé depuis la mort de leurs parents. Elle commençait toujours sa journée avec ses habituels cours d'étiquettes, de littérature et d'histoire. Puis, elle déjeunait avec le reste de la famille royale, ainsi que quelques nobles hauts placés, avant de retrouver ses professeurs de danse et de musique pour les cours de l'après-midi. À seize heures tapantes, elle échappait à la surveillance des domestiques pour se faufiler jusqu'au jardin de Noël, où ce dernier, qui passait son temps à jardiner ou à lire, l'attendait pour prendre le goûter, pour ne réapparaître qu'à l'heure du dîner.

La seule différence était qu'aux places qu'occupaient autrefois ses parents à la table royale se trouvait à présent son oncle maternel, sa femme et leur fils Antoine, âgé de 17 ans. Le roi n'ayant laissé à sa mort aucun héritier, le Grand Conseil avait dû se tourner vers la famille du Premier Ministre, une puissante famille qui servait la couronne depuis la fondation du royaume. Ainsi, il avait été décidé qu'après la cérémonie de passage à l'âge adulte de Lucille, Antoine l'épouserait et serait couronné Roi. En attendant ce jour, son père, le duc d'Ulivo, assurerait la régence.

Et cela n'arrangeait pas du tout la jeune princesse...

« Au fait, qu'est-ce que tu voulais me dire ? »

La voix de Noël réveilla l'adolescente en sursaut.

« Pardon, tu disais !?

  • Je t'ai demandé ce que tu voulais me dire. Mais tu es sûre que ça va ? J'ai l'impression que tu manques de sommeil ces derniers temps, rajouta le garçon en fronçant les sourcils d'inquiétude.
  • Oui, oui, je vais bien, je vais bien.
  • Tu es sûre ? Tu ferais peut-être mieux de rentrer te coucher, je suis sûr que Cathy serait d'accord avec moi.
  • Mais puisque je te dis que je vais bien ! Et puis ce que j'ai à te dire est très important !
  • Si tu le dis, dit-il, peu convaincu. Alors ?
  • J'ai pratiquement terminé les préparatifs ! S'exclama-t-elle, triomphante.
  • Ça veut dire que...
  • Oui ! On va bientôt pouvoir partir d'ici ! »

L'incident de ce soir-là avait finalement fait prendre conscience à Lucille qu'elle et son frère ne pourrait jamais être s'ils continuaient à vivre ainsi. “Nous devons fuir !” Depuis ce jour, cette pensée n'avait jamais quitté son esprit. Mais elle n'était pas assez naïve pour croire que s'échapper du palais suffirait. Non, après avoir découvert sa disparition, son oncle mettrait tout en œuvre pour la retrouver, et la garde royale ne mettrait pas longtemps avant d'y parvenir. De plus, fuir le palais ne serait pas suffisant. Elle savait parfaitement que cette stupide croyance qui empêchait son frère de vivre normalement était présente dans tout le continent. Ils devaient donc le quitter.

Mais cela demandait de l'argent. Beaucoup d'argent. La traversée vers l'Empire de Shì coutait horriblement cher, du fait de sa durée et de sa dangerosité. Et il n'y avait pas que cela. Après le meurtre de la Reine, il avait été découvert que le vieux jardinier était marié à une femme Shinée, apparemment restée au pays. Certains avaient donc commencé à accuser l'Empire d'avoir fomenter cet assassinat. Depuis, les relations entre les deux pays étaient particulièrement tendues. De ce fait, les navires étaient scrupuleusement surveillés, et il en était de même des correspondances. La première mission de Lucille était donc de trouver un moyen de se rendre à Chitra, où elle et Noël pourrait embarquer sans encombre. Elle devait également prévoir leur vie après leur fuite afin de ne pas se retrouver à la rue. Tout ce travail était quasiment impossible pour une fillette de dix ans. Elle avait donc demandé l'aide de Cathy.

Cette dernière lui avait ainsi transmise un contact résident là-bas qui l'avait grandement assistée dans ses préparatifs. Non seulement il lui envoyait régulièrement de l'argent pour financer le voyage, mais en plus, il s'était assuré de leur trouver un toit sous lequel dormir à leur arrivée. Elle ne savait pas comment cette correspondance parvenait à échapper à la surveillance, mais grâce à de ce contact, et à celle de Cathy qui piochait également dans son salaire de temps en temps, elle avait finalement réussi à récolter la somme nécessaire au bout de trois ans, peu de temps avant que Lucille ne se retrouve définitivement enchaînée à cette cage dorée que représentait le palais.

« Notre départ est prévu dans une semaine, le temps de faire nos valises ! J'espère que tu n'as pas le mal de mer frérot parce que nous passerons un bout de temps à bord de ce bateau ! S'extasia Lucille, toute excitée.

  • Si tôt !?
  • Le plus tôt sera le mieux ! »

Face au manque de réaction de Noël, Lucille demanda :

« Qu'est-ce qu'il y a ? Tu n'es pas heureux de partir ?

  • Si, mais... Je ne sais pas... Je suis un peu triste à l'idée de quitter ce jardin...
  • Je comprends, répondit-elle après un petit silence. Cet endroit renferme tellement de souvenirs... Surtout que toi, tu y as vécu toute ta vie, ça va te faire bizarre.
  • Oui, c'est ça...
  • Mais tu sais... Là-bas on sera enfin libre ! Tu n'auras plus à te cacher ! Tu n'auras plus à rester enfermé toute la journée entre ces quatre murs de pierre ! Tu pourras enfin devenir jardiner, comme papa Roland ! Et moi... Moi, je ne sais pas encore ce que je veux faire plus tard, mais au moins je ne serai pas cantonnée à mon rôle de princesse ! On pourra enfin vivre comme on l'entend !
  • C'est vrai... »

Ils s'allongèrent tous les deux dans l'herbe, comme ce soir-là où ils avaient contemplé les étoiles, lors de leur huitième anniversaire.

« Lucille... Tu penses que les plantes sont différentes là-bas ? Demanda Noël

  • Sûrement, j'ai entendu dire que le climat était différent de chez nous. Apparemment, en hiver, il fait tellement froid que l'eau se gèle et les rues deviennent toutes blanches, alors que chez nous, il pleut juste beaucoup.
  • Oui ! Roland m'en avait parlé aussi ! Ils appellent ça la neige !
  • Là-bas, il n'y a pas de corset !
  • Et il paraît que les vêtements sont faits d'un tissu spécial qui ne te donne ni trop chaud en été, ni trop froid en hiver ! Et la nourriture !
  • Mais oui ! Un émissaire a ramené des spécialités locales une fois, c'était tellement bon !
  • Je m'en rappelle ! Tu m'en avais fait goûté ! »

Les deux adolescents éclatèrent de rire face à leur enthousiasme. Noël regarda longuement sa sœur, sourit, et murmura :

« Tu penses qu'on pourra enfin être heureux là-bas ?

  • Je l'espère ! En tout cas, ce sera forcément mieux que de vivre dans cette prison.
  • J'ai déjà hâte de pouvoir marcher dans les rues de l'Empire avec toi.
  • Moi aussi. »

Ainsi lové l'un contre l'autre, ils discutèrent longtemps de ce qu'ils souhaitaient tous les deux faire une fois qu'ils auraient enfin réussi à atteindre leur destination.

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