Chapitre 21
Figée dans son mutisme, Drya observait Hemrik tourner en rond comme un lion en cage. Et en cage, ils l’étaient.
Elle n’avait rien vu venir. Alam aussi avait été stupéfait de voir débarquer les gardes wonchi chez lui. Sa femme les avais tous bernés. Drya la comprenait, en un sens, elle voulait protéger son mari et ses enfants, et quoi de mieux pour prouver aux Wonchi leur obéissance que de livrer des criminels ? La guerrière ignorait ce qu’Olyama avait raconté aux soldats pour expliquer leur présence dans sa maison, mais elle avait dû être convaincante.
À présent, dans cette cellule glaciale à l’odeur pestilentielle, Drya ressentait de la tristesse, de l’amertume, mais aucune colère hormis celle de Louve. Sa némésis était furieuse, mais son humeur se transposait à peine aux sentiments de la jeune femme.
Elle regarda ses mains. Elle avait remarqué que quelque chose lui manquait lorsqu’elle avait quitté le village des pêcheurs. Au début, la guerrière avait pensé qu’aucune rancœur ne troublait son âme parce qu’elle méritait d’être chassée. Néanmoins, elle gardait l’impression qu’il y avait plus que cela. Et là, assise en tailleur sur la pierre froide et dure de la prison, entourée d’autres détenus, elle comprenait la raison. Elle avait perdu sa colère.
Lorsqu’elle s’était emportée sur Hemrik chez Alam, ce n’était pas la rage qui la portait. C’était la peur. Rien qu’en y repensant, ses mains commencèrent à trembler. Elle ferma les poings. Elle ne parvenait pas à expliquer ce qui lui arrivait. Tout ce qui la composait se désagrégeait, morceau par morceau. Cela avait sans doute un rapport avec les prises de contrôle de Louve, car elle s’affaiblissait à chaque fois par la suite. Néanmoins, appréhender ce qui lui arrivait n’empêcherait pas le phénomène d’exister. Elle ne pouvait qu’espérer se débarrasser de Louve avant que sa conscience ne soit réduite en miettes.
Un homme adossé contre le mur apostropha Hemrik.
— Dis mon gars, t’as pas envie d’arrêter de faire les cents pas ? Tu me donnes le tournis.
L’Erdrelien ignora la question et continua à marcher. Il restait concentré sur ses pas pour ne pas exploser.
Contrarié, le Mychérien quitta son appui et s’apprêtait à interrompre Hemrik lorsque Drya intervint sans quitter ses mains du regard.
— Je te le déconseille, l’ami, je ne l’ai jamais vu dans cet état et m’est avis qu’il vaut mieux le laisser tranquille.
— Je me fiche de ton opinion, femme, cracha-t-il. Ce gamin est trop agité, un bon coup sur la tête le calmera.
À peine ses mots franchirent-ils ses lèvres qu’elles éclatèrent sous un direct du droit. L’homme partit en arrière et un uppercut acheva de l’envoyer valser à terre. Sonné, il se redressa à moitié en se massant la mâchoire.
— Tu as raison, admit Hemrik qui frictionnait ses poings, un bon coup sur la tête, ça calme.
— Sale petit… commença le prisonnier.
Un bruit de pas dans le couloir l’interrompit. Deux soldats wonchi s’approchaient. Le plus petit ouvrit la grille dans un grincement et fit signe à Drya de les suivre.
— Ne fais pas de bêtises, avisa-t-elle Hemrik en passant devant lui.
Mais son compagnon détourna les yeux. Dépitée, la guerrière emboita le pas des deux geôliers en silence.
La salle dans laquelle Drya fut introduite était spacieuse, mais peu garnie. Les murs nus encadraient un vaste bureau et quelques chaises. Derrière le meuble était assis un petit homme revêche d’une quarantaine d’années. Sa fine moustache descendait jusqu’à son menton, encadrant des lèvres pincées peu propices aux sourires. Il griffonnait quelques mots sur une feuille grisâtre. Les gardes escortèrent la jeune femme jusqu’à un siège où elle s’installa. Ils restèrent derrière elle, légèrement en retrait.
— Bien, fit le Wonchu sans lever les yeux de ses écrits, mes hommes vous ont fouillé et confisqué vos effets. Vous n’aviez pas vos papiers sur vous, ce qui est déjà un délit. Les avez-vous oubliés chez vous ?
— Mes… papiers ? s’enquit Drya, interloquée.
Le fonctionnaire daigna la regarder. Il semblait surpris aussi.
— Oui, vos papiers, ceux qui attestent de votre identité. Vous n’êtes pas sans savoir que chaque Mychérien doit pouvoir prouver à tout instant qu’il est citoyen de l’Empire et non esclave en fuite, si ? Donc, où sont vos papiers ?
— Il y a méprise, je ne suis pas citoyenne de l’Empire, je n’ai donc pas de papiers. Je viens de Nenntela, de l’autre côté d’Heell.
La surprise s’accentua sur le visage de l’homme.
— Pourquoi ne pas être passée à l’Hôtel de Ville pour vous en procurer ?
— J’ignorais qu’il m’en fallait, vu que j’ignorais leur existence.
L’homme reprit sa plume et inscrivit quelques mots.
— D’accord… Pouvez-vous alors me décliner votre identité, me donner les raisons de votre présence à El’Benteli et de votre attaque sur ce marchand tant qu’on y est ? reprit-il.
— Je me nomme Drya Ment. Et les raisons… et bien elles se rejoignent. Je suis amnésique et cherche des informations sur mon passé. Le marchand a tenté de m’arnaquer avec de faux indices, je l’ai donc menacé pour qu’il me rende mon argent.
— Qui vous a donné l’autorisation de porter une arme en ville ?
— Personne. J’ignorai que s’était interdit, et personne ne me l’a signalé ces derniers jo
urs.
Cette fois, c’était vers les deux gardes que le regard de l’homme se dirigea. Un éclat de colère fusa dans ces yeux qu’il redéposa sur la jeune femme.
— Pourquoi avoir fuit lorsque vous avez aperçu les gardes ?
— C’est mon compagnon qui en a prit l’initiative, et je l’ai suivi. Sans doute a-t-il préféré fuir en espérant que les choses se tassent par la suite plutôt que de prendre le risque de se faire enfermer.
Drya ne mentait jamais, c’était dans sa nature d’être honnête. Néanmoins, il valait mieux se taire sur la présence de Louve et le fait que si les gardes l’avaient interpellée avant qu’elle ne reprenne le dessus, il y aurait eu de nombreux morts parmi la foule. Sa némésis aurait sentit le sang à venir et l’aurait balayée du devant de la scène.
— Ça n’aura pas été une grande réussite…
La guerrière préféra rester muette. Le fonctionnaire griffonna encore quelques phrases, puis reprit.
— Bien. En un sens, il n’y a pas eu de blessés – sauf peut-être ce gros homme et son nez – ni de dégâts. Quant à votre fuite, on va dire qu’un moment de panique peut arriver à tout le monde. Toutefois, vous avez fait tout ça sans papiers, en portant des armes, et vous et votre compagnon me semblez être de sacrés fauteurs de trouble. Vous comprendrez que je ne peux pas vous libérer comme ça.
— J’ai de l’argent, s’il faut payer une amende, intervint Drya. — Je sais, vu que je suis en possession de votre bourse. Non, le problème vient du fait que vous n’êtes ni l’un ni l’autre citoyens de l’Empire. Et qui n’est pas citoyen est moins que rien et doit être tenu en laisse. Vous avez de la chance, le marché a lieu dans deux jours, vous ne patienterez pas longtemps.
L’homme avait énoncé ces mots sans emphase, sur le ton de la conversation. Drya cilla.
— Quel marché ?
— Oh, celui aux esclaves bien sûr.
Le soleil se levait sur une imposante foule martelant de ses pieds les pavés ocre de la place de Telvyr, la plus étendue d’El’Benteli. Sous le regard figé du Cavalier, immense statue de pierre qui trônait au centre, plusieurs Mychériens finissaient de monter une estrade et des bancs, ainsi que des enclos dans lesquels des bêtes s’installaient peu à peu. Bêlements, meuglements et hennissements, entrecoupés d’aboiements furieux rythmaient le début du marché. Des chalands installaient leurs échoppes en périphérie de la place. Le ciel était dégagé, l’affluence forte, les profits allaient être substantiels.
— J’espère qu’ils la construisent correctement ce mois-ci, fit une jeune fille en désignant l’estrade. Je n’ai pas envie de me briser la cheville à cause d’une planche mal fixée…
Le commentaire lâché, elle s’appuya contre les barreaux de bois de la cage mobile. Ses cheveux coupés courts encadraient ses traits fins et mettaient en valeur son cou de cygne. Elle était jeune, moins de vingt ans, mais ses yeux s’ouvraient sur une âme vieillie avant l’heure.
— Tu es étrange comme femme, reprit-elle, s’adressant toujours à Drya. Tu ne quittes pas du regard l’installation du marché depuis qu’on est arrivée. C’est si intéressant que ça ?
Drya reste muette. Elle faisait à peine attention à la fille, ces babillages la gênaient. Quelques secondes s’écoulèrent encore avant que la Mychérienne ne se lasse et retourne s’asseoir ailleurs.
La cage dans laquelle Drya et une quinzaine d’autres femmes se trouvaient était montée sur une carriole. Les marchands d’esclaves les y avaient installées peu avant l’aube, après deux jours d’attente dans des cachots à la paille souillée.
Après sa rencontre avec le petit magistrat wonchii, la guerrière avait été amenée dans une salle, sans doute dans un des bâtiments mitoyen de la prison. Là, elle avait été enfermée un bon demi cadran avec douze autres femmes. Toutes savaient pourquoi elles patientaient. Elles prenaient leur mal en patience, taciturnes. El’Benteli était une ville frontalière, à la juridiction véreuse. Peu étaient ceux qui obtenaient un procès, et l’impartialité était encore plus rare.
L’attente passée, le petit groupe avait été présenté à un grand homme filiforme que Drya identifia assez vite comme étant un marchand d’esclave. Chose surprenante, il était Mychérien. Il les toisa quelques secondes avant de leur intimer de se déshabiller. L’une d’entre elles résista, mais une gifle fit rapidement taire ses protestations. Le coup résonna contre la voûte en pierre et plus personne n’osa se rebiffer, Drya y compris, elle avait trop à faire avec sa Louve déchaînée. Une fois nue, le marchand les avait examinées une par une, observant la bouche, tâtant les seins, les fesses, appréciant l’ensemble de chaque femme. Aucune lueur lubrique n’illumina son regard. Il les jaugeait comme n’importe quel commercial avec un cheval ou un meuble.
Arrivé à la hauteur de la guerrière, l’homme arracha son bandeau. Surprise et éblouie, Drya ferma les yeux et détourna la tête. Surmontant la douleur, la jeune femme vrilla son regard vairon sur le marchand. Son œil était injecté de sang, son iris bleuâtre, plus pâle qu’il n’était censé l’être. L’homme parut réfléchir un instant, puis il recoiffa la chevelure brune de telle sorte qu’une mèche vienne masquer le côté droit de son visage. Elle serra les poings lorsqu’il palpa son corps que seul Erik avait jamais touché. Louve hurlait dans son crâne, occultant tout autre bruit.
À la fin, alors que les femmes enfilaient chacune une longue tunique de lin grossier, Drya s’approcha du marchand pour lui demander s’il s’occupait aussi des hommes. Son regard inexpressif la perturba. La guerrière avait toujours considéré que les yeux reflétaient une partie de l’être. Un tel vide lui donnait des frissons rien que d’y resonger. Il avait ignoré la question, et à présent la guerrière guettait l’arrivée du charriot transportant les hommes. Elle n’avait plus de nouvelles d’Hemrik depuis trop longtemps. Enfermée dans cette cage, sans armes, sans effets, sans aucun libre arbitre, elle se sentait plus démunie que jamais.
— Tu n’es pas seule, ma jolie, laisse-moi nous sortir de là.
— Tu ne réussiras qu’à nous faire tuer, Louve, et tu sais que je préfère mourir plutôt que te voir gagner. Malheureusement pour nous deux…
Un chariot similaire au sien s’arrêta non loin. Des hommes cette fois, mais trop loin pour qu'elle les distingue tous. Dépitée, la jeune femme s’assit. Des pensées noires tourbillonnaient dans son esprit qu’elle ne parvint pas à chasser. En plus d’Hemrik, elle songea aux chevaux qu’ils avaient laissés à l'auberge. C’étaient de braves bêtes qui les avaient portés sur bien des lieues, et elle espérait qu’elles seraient bien traitées par leur nouveau propriétaire, qui qu’il soit. Elle rentra la tête dans les épaules. De toute manière, sur cela non plus elle n’avait aucune emprise…
Les nuages défilaient, le soleil monta de quelques degrés, mais il réchauffa à peine la place. Drya serra ses genoux dans ses bras. Le mois de Morter, deuxième de l’automne, débutait et l’air restait froid malgré le vent du sud. Les marchands avaient placés quelques couvertures dans la cage, mais les esclaves devaient se regrouper pour en profiter. Drya préférait rester seule.
La place se remplissait de plus en plus. Une dizaine de personnes aux habits plus riches que la moyenne s’assirent sur les bancs devant l’estrade. La guerrière se redressa. La vente allait bientôt commencer.
La cage tressauta sur les essieux du charriot lorsque le marchand filiforme en ouvrit la porte. Encadrées par quatre hommes aux regards de fer et aux fouets cinglants, les esclaves descendirent de la carriole et s’avancèrent vers l’estrade à travers la foule. Elles s’arrêtèrent juste devant les quelques marches qui y menaient. Des sanglots éclatèrent derrière Drya.
La première, une quarantenaire voûtée, fut emmenée sur les planches par le marchand. Un homme bedonnant les rejoignit, wonchii cette fois. Il s’inclina face aux potentiels acheteurs et commença la présentation de ses produits. Le mince Mychérien enleva la robe de l’esclave qui tressaillit sous l’air froid. Un rictus de dégoût releva les lèvres de la guerrière et elle sentit la colère de Louve enfler.
— Personne ne devrait être traité comme un bien, cracha-t-elle.
Et pour une fois, Drya était bien d’accord avec elle.
Ignorant les louanges du gros Wonchu pour sa marchandise, Drya embrassa la foule du regard. Les acheteurs étaient principalement des Wonchi, indifféremment hommes et femmes, mais quelques Mychériens étaient aussi présents. Ils observaient l’estrade, concentrés, se fendant parfois de commentaires.
La première enchère, d’une valeur de quatre sonas, fut lancée par une mychérienne richement vêtue. Deux autres offres s’enchaînèrent, mais ce fut la femme qui gagna la vente pour sept sonas. La quarantenaire changea de propriétaire pour le prix d’un mouton.
Un jeune garçon dont le collier de cuir indiquait son statut d’esclave vint chercher le nouveau bien de sa maîtresse, et une autre femme la remplaça sur l’estrade.
Les ventes se suivaient, toutes semblables. L’esclave était dénudée, le gros Wonchu vantait ses qualités, et elle était vendue au plus offrant. Au fil du temps, l’effervescence chez les acheteurs s’amplifia, les enchères montaient toujours plus hauts, toujours plus vite.
L’esclave suivante était une splendide noire des îles. Même nue dans le froid, face à tous ces regards, elle se tenait droite, digne représentante de ce peuple à la fierté farouche. Devant tant de prestance, la foule se calma. Les enchères allaient être élevées.
Un Wonchu au visage taillé à la serpe et aux cheveux filasse lança la première offre, trente sonas. Drya hoqueta. Près du double du prix d’un cheval de bataille ! La Mychérienne au carré ricana à côté d’elle.
— N’as-tu jamais assisté à un marché d’esclave ? murmura-t-elle. Une noire aussi belle, c’est rare, ils vont se l’arracher. Ce marchand manœuvre bien, il n’aurait pu choisir meilleur moment pour l’exhiber.
— Tu sembles t’y connaître…
— Exact, mon père était marchand aussi, il m’a tout appris. Note que je n’aurais jamais cru me retrouver de ce côté-ci de la vente. Observe les acheteurs, comme ils la dévorent du regard. Plus tôt, ils n’auraient pas été assez chauds pour monter dans les prix. Plus tard, les bourses auraient commencé à bien se vider.
— Et nous ? Nous sommes encore quatre après elle, les bourses ne seront pas trop vides ?
— Réfléchis voyons, nous ne valons pas autant, et la frustration de ceux qui échoueront à acheter la noire se reportera sur les enchères suivantes. Ils ne voudront pas perdre encore une fois et continuerons à enchérir, bourse allégée ou non.
Drya fronça les sourcils. Cette fille était plus intelligente qu’elle n’y paraissait au premier abord, et ces prédictions s’avérèrent exactes. La foule était en délire, les offres fusaient et étaient déjà de quarante-cinq sonas. Une petite fortune. Trois acheteurs bataillent encore, deux Wonchi, l’un entre deux âges et l’autre bien plus vieux, et une petite Mychérienne plus ridée qu’une pomme blette. Elle semblait indifférente à ses adversaires et fixait avec intensité la noire. Pour monter son prix, elle levait sa main aux doigts recourbés comme des serres avec un geste vif.
Le plus âgé des deux hommes abandonna à cinquante sonas. Le jeune darda un regard noir sur la petite vieille et proposa cinquante-cinq sonas. Un petit sourire en coin déforma ses lèvres. Il semblait certain qu’elle ne monterait pas plus haut. Ses traits se décomposèrent lorsqu’elle annonça d’une voix rauque soixante sonas. Elle avait gagné.
— Elle a de la chance, commenta Cheveux au Carré, la Vieille Mère est réputée pour prendre soin de ses filles, et vu les qualités de la noire, elle aura peut-être même la possibilité de choisir qui elle acceptera dans son lit.
Louve empoigna les poignées absentes de ses doubles lames. Drya inspira profondément pour l’empêcher d’étendre son contrôle à tout son corps et parvint à récupérer ses bras. La fille l’observait, intriguée, mais n’eut pas le temps de l’interroger, c’était son tour. Elle fut achetée vingt sonas par le vieux Wonchu qui avait perdu l’enchère de la noire. Un prix plus que respectable.
Drya était la suivante. Elle monta sur l’estrade et se laissa dénuder. À la voir ainsi, dans le plus simple appareil, nul ne pouvait deviner son statut de guerrière. Sa peau était aussi lisse que celle d’un bébé, aucune cicatrice ne zébraient son corps, ses guérisons ayant toujours été trop complète pour laisser des marques. Elle n’entendait pas les paroles du marchand ni ne remarquait le prix de l’enchère. Une goutte de sueur coula le long de sa tempe gauche. Ses muscles contractés commençaient à être douloureux et du sang perla là où ses ongles pénétraient dans ses paumes. Toute son attention focalisée sur Louve, elle sentit à peine la main du marchand relever la mèche de cheveux qui cachait son œil bleu. Un murmure d’indignation parcourut le public.
— Voleur ! Tu essaies de nous tromper ? Honte à toi de nous vendre pareille démone !
— Voyons, tenta d’amadouer le marchand. Nous sommes entre gens civilisés, oublions cette superstition et cet œil bleu. Regardez-là, c’est une superbe femme, solide et en bonne santé ! J’accepte même de réduire le prix, on commence les enchères à six sonas !
Peine perdue. Aucun acheteur ne leva la main. Certains même firent mine de partir. Un homme au bouc particulièrement bien taillé s’approcha de l’estrade.
— Je t’en donne trois sonas.
— Jamais ! Elle en vaut facilement douze !
— Pas avec ce regard. Seul mon employeur peut t’en débarrasser. Ici, personne ne l’acceptera, même si tu les payes pour la prendre. C’est ta seule chance.
Le gros Wonchu hésita quelques secondes avant d'acquiescer. Drya regarda son nouveau propriétaire se rasseoir, puis un jeune esclave l'emmena dans une autre cage mobile, où patientaient les autres achats.
Ce fut alors le tour des hommes. Louve se calmait peu à peu dans son esprit alors que Drya regardait d'un oeil distrait les enchères. Hemrik surgit soudain sur l'estrade.
— Hemrik !
Plusieurs visages se tournèrent vers elle, mais pas le sien, impassible. Il fut rapidement vendu à 12 sonas et quelqu'un vint le chercher. Il s'éloignait déjà.
— Je te retrouverai ! Je viendrai te chercher, je te le promets !
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