Chapitre 5 (1/3)

8 minutes de lecture

        Le feu rugissait sous la casserole de fonte. Des bulles d’huile commençaient à crever la surface du liquide. Plop. Plop. De plus en plus vite. Elle était prête.

        Sous le regard figé d’une vierge de fer, Drya, reprenant peu à peu ses esprits, était allongée nue sur une table de bois, poignets, chevilles et cou entravés. Elle finit par ouvrir les yeux sur la salle qui regorgeait d’instruments de torture. Un chevalet était posé non loin d’un écraseur de tête. Derrière se dressait tout le matériel pour un parfais empalement. Des chaînes de toutes tailles pendaient aux murs et aux plafonds, soutenues par un jeu de poulies. Sur la table à côté d’elle étaient disposés toutes sortes de pinces, couteaux et autres piques.

        Ses yeux s’écarquillèrent en même temps qu’elle appréhendait l’horreur de la situation dans laquelle elle se trouvait. D’instinct, la jeune femme força sur ses liens de fer, mais ils étaient bien trop solides, elle ne fit que s’entailler la peau. Sous les mouvements, son épaule disloquée se rappela à son bon souvenir, lancinante. Elle gémit.

        - Tu te réveilles à point nommé ma belle.

        La voix, emplie d’une fureur contenue, la fit frissonner. Un homme aux longs cheveux châtain clair se pencha sur elle, la tête à peine à un pied de son visage. Ses yeux verts perçants l’accusaient.

        - Alors, tu es moins fière maintenant, n’est-ce pas ? Si tant est qu’on puisse être fier de tuer un homme désarmé qui vous procure son aide...

        Les souvenirs de la bataille lui revenaient pêle-mêle. Erik. Gard. L’homme de la Compagnie Sanglante. Tous ces hommes, amis ou ennemis et ces jeunes cuisinières, tous massacrés par la folie d’une seule personne. Et enfin le regard se voilant d’un homme brun qui lui tendait la main…

        - Ce n’était pas moi…

        Sa voix était chevrotante, faible, sans grande conviction. Jerm la gifla. Une chaleur cuisante s’installa dans sa joue. Elle ne s’étonna pas de sa réaction. Qui croirait que c’était un autre être, à présent endormi, trop épuisé par la tuerie, qui avait agi ? C’était son corps que l’homme avait vu, sa main qui avait enfoncé la dague. Même si c’était la réalité, il était inconcevable que deux consciences vivent dans une même chair.

        Jerm se tourna vers les fourneaux et prit une louche. Avec une lenteur calculée, il touilla dans la casserole pleine d’huile. Il remplit ensuite son instrument et se retourna vers la Louve prisonnière.

        - Vois-tu, l’homme que tu as assassiné était mon frère. Helmit. Beaucoup pense que sa mort me réjouit. Après tout, l’aîné du roi mort, c’est à moi, le puîné, que revient la couronne. 

        Il s’approcha encore. L’huile fumait, répandant une odeur âcre. Malgré la douleur, Drya continua à forcer sur ces liens.

        - Néanmoins, ils se trompent complètement. Je n’ai jamais désiré m’asseoir sur le trône. Je vouais à mon frère une admiration sans limite. C’était un des derniers hommes véritablement bon de ce royaume corrompu. En tant que roi, il aurait fait des merveilles et sorti Erdrel de sa déchéance.

        En disant ses mots, les yeux du prince se perdirent dans le vague. Il semblait regarder un avenir qui ne serait jamais.

        La louche commença à pencher dangereusement au dessus du ventre de la mercenaire qu’elle rentra. Une goutte se détacha et tomba, brillance fugace, tel un petit soleil timide, pile à côté de son nombril. Drya serra les dents alors que sa chair grésillait.

        - Tu n’as pas fait que m’enlever mon frère bien-aimé, reprit Jerm, revenu au présent, tu as aussi privé tout un peuple de son sauveur.

        Une deuxième goutte chuta, puis une troisième, et ainsi de suite jusqu’à former un cercle parfait autour de l’ombilic. La terreur de la jeune femme augmentait en même tant que la douleur. Elle ne voyait aucune échappatoire à sa situation. Ne pas pouvoir contrôler les événements l’effrayait autant que lorsque sa deuxième conscience prenait le pas sur elle. L’homme qui la toisait était dérangé. Le chagrin et la colère le consumait. Et rien de ce qu’elle pourrait dire ou faire ne l’empêcherait de réaliser ses intentions nocives.

        - Tout ce que je voulais, c’était rester à ses côtés, fidèle, pour le soutenir du mieux que je pouvais. 

        Cette fois, sa voix tremblait de rage. Sa main aussi, et plusieurs grosses gouttes d’huile giclèrent sur le corps de la torturée. Elle ne pu cette fois retenir son râle. Il s’échappa d’entre ses lèvres et elle maudit sa faiblesse. Le bruit sembla néanmoins calmer quelque peu le nouveau successeur de la couronne du royaume de l’or.

        - Enfin, tu gémis… sourit-il. Mais profite de cet instant ma belle, car ce n’est que le prélude.

 

        Tous les jours, et ce de longs cadrans durant, Jerm usa de toute son imagination pour tourmenter la jeune femme. A chaque fois qu’une technique de torture lui plaisait, il en testait toute les variantes, cherchant sans relâche la plus douloureuse, jusqu’à ce qu’il ne se lasse et ne cherche un autre procédé. Il n’avait même pas daigné toucher aux grands instruments de torture telle l’arracheuse de poitrine ou la vierge de fer, qui tuaient trop rapidement leur victime en les vidant de leur sang. Il préférait de petits ustensiles, plus simples et qui ne blessaient que de manière superficielle. La douleur était bien présente, mais la mort restait éloignée plus facilement. Jerm avait tout son temps, et il ne comptait pas laisser s’échapper sa proie dans le trépas.

        Drya avait depuis longtemps cessé de résister et de se montrer forte. Ses hurlements emplissaient la pièce, enfiévrant toujours plus son bourreau. L’homme aimait ça. Il aimait sentir le poids des outils dans ses doigts, voir la chair crépiter sous la chaleur ou s’entailler sous la lame d’un couteau, entendre les phalanges se briser entre les branches d’une pince et les cris de douleur de la suppliciée. C’était la colère du deuil qui l’avait au départ poussé à ses gestes, mais il se découvrait à présent une vraie passion pour la torture. Elle qui ne servait au départ que pour questionner les espions, la pièce devint son terrain de jeu. Jerm laissait Drya se reposer la nuit dans une cellule glaciale. Elle récupérait ainsi assez de forces pour tenir une journée de supplices de plus. Le futur roi avait pu remarquer la vitesse stupéfiante de guérison de la guerrière, et en éprouvait une grande satisfaction. La vie s’accrochait à Drya, ce qui était parfait pour ses projets.

        Tous les jours se ressemblaient. A l’aurore, ou ce qui semblait l’être, Drya n’ayant plus vu le soleil depuis le début de sa captivité, deux soldats venaient la sortir de sa cellule sombre et humide et la traînaient jusqu’à la salle de torture. Elle attendait alors, toujours attachée à la même table, que son tortionnaire apparaisse. Quand il en avait fini, les fantassins la ramenaient en prison. Une gamine lui apportait alors un frugal repas. Et puis elle s’endormait, seul moyen pour elle de fuir cette réalité. Mais son sommeil était loin d’être réparateur et serein. Ses rêves étaient hantés par tant de morts. Ceux de la bataille au pied de Ragorna, que Jerm avait appelé le massacre de la Brume Rouge, se mélangeaient aux visages de tous les soldats qu’elle avait éliminés lors de la guerre, en tant que membre des Loups Ardents. Toutefois, d’autres scènes venaient compléter les premières. Des tueries dont elles ne se rappelaient pas, des corps inconnus étendus sur le sol couvert de sang. Des ombres drapées de cape pourpre qui fuyaient devant elle. Des meurtres qui ne pouvaient qu’appartenir à l’entité tapie au fond d’elle.

        L’être d’ailleurs restait tranquille depuis qu’il s’était réveillé. Malgré lui, il partageait la douleur de la jeune femme. Cela les rapprochait plus qu’ils ne l’auraient tous les deux voulu, la souffrance s’atténuant quelque peu lorsqu’ils étaient au plus proche l’un de l’autre. Leur corps était bien trop faible pour tenter de se soustraire à l’emprisonnement, alors leur combat était suspendu. Ils n’avaient plus la force de se faire la guerre. Leur seul conflit était dans l’abandon ou non de la vie. Drya avait tout perdu, et ne voyait plus que cette option pour s’en sortir. Toutefois, l’autre conscience ne l’entendait pas ainsi. Elle se refusait à se laisser mourir et obligeait chaque jour la jeune veuve à se nourrir. Cette dernière, bien que gardant le contrôle, n’avait pas la force de résister à la tueuse et avalait ses maigres repas sans résister.

        Les jours passèrent ainsi, sans qu’elles ne sachent réellement combien. Elles survivaient entre les séances de torture qui les laissaient meurtries et les nuits agitées. Malgré sa grande résistance, leur corps ne tiendrait plus très longtemps. Déjà ses blessures mettaient plus de temps à guérir. Elles savaient la fin proche toutes les deux, mais ne pouvaient rien y faire. Alors elles se soutenaient mutuellement en l’attendant, quelle qu’elle soit.

        Drya était brisée. La redoutable Louve n’était plus qu’une pauvre chienne famélique qui restait en vie elle ne savait trop comment. Cependant, Jerm n’en avait pas fini avec elle. La jeune femme se retrouva une fois de plus allongée sur la dure planche de bois qu’elle ne connaissait que trop bien. Elle ne sentait même plus les fers à ses poignets et à ses chevilles. Tout son corps n’était que douleur, et les deux seules à se distinguer étaient celle de son épaule droite, toujours en miette, et des orteils de son pied gauche, fracturés et gonflés.

        Lorsque son bourreau entra, Drya, la tête tournée vers le fond de la salle, ne réagit qu’en fermant les yeux. Elle essayait encore une fois d’éteindre son esprit, de fuir au milieu d’un monde imaginaire, de chasser la souffrance. Une main ferme lui attrapa les mâchoires et lui tourna sans ménagement la tête vers le haut.

        - Ouvre donc les yeux, sale garce, je veux les voir me supplier. 

        Sachant que désobéir n’aurait fait qu’énerver Jerm, elle obtempéra.

        - Tu as vraiment un regard de démon, je ne le supporte plus, cracha l’homme. Il va falloir faire quelque chose pour ça.

        Drya frémit.

        - En plus, vois-tu, une question me perturbe depuis un moment, continua-t-il en se tournant vers ses outils. Tu guéris anormalement vite et bien, c’est vrai, mais tes blessures sont de celles qui finissent toujours par se refermer tôt ou tard, pour tout le monde. Alors, je me suis demandé, et s’il y avait plus que cela ?

        - Seigneur ? 

        La porte de la salle était ouverte et l’ombre d’un soldat se découpait dans l’encadrement.

        - Je sais ! répondit Jerm avec colère. Je n’en ai pas pour longtemps, alors ne m’interrompt plus ! 

        Il se retourna vers Drya.

        - Où en étais-je ? Oui. En fait, petit, j’ai toujours adoré les lézards. J’étais fasciné par leur capacité à perdre leur queue, lorsqu’on les attrapait. Un jour, j’ai réussi à en capturer un qui, comme tous les autres, ôta sa queue lorsque je la pris. J’ai nourri cette petite chose, je m’en suis bien occupée, et j’ai remarqué – ah, tu ne vas pas me croire ! que sa queue repoussait.

        Un frisson parcouru le dos de Drya alors qu’elle commençait à comprendre où Jerm voulait en venir. Elle tira sur ses liens, alors que cela faisait bien des séances qu’elle avait arrêté. Un sourire sadique s’élargit sur le visage de Jerm lorsqu’il le remarqua.

        - Oui, tu as bien compris. Tu as gagné quelques jours de répits, car je n’arrivais pas à me décider. Allais-je couper une oreille, un doigt, voire une main ? Mais j’ai trouvé mieux, beaucoup mieux. 

        Jerm attrapa les cheveux sales et ternes de la jeune femme et calla sa tête. Drya s’agita, essaya de se dégager, l’entité l’aidant de toute ses forces, mais avec un corps si faible ainsi immobilisé, elle n’avait aucun moyen d’éviter ce qui allait arriver. De son autre main, le bourreau installa un écarteur de paupière sur l’œil bleu de sa prisonnière. Dans un ultime sursaut, elle essaya de le mordre, mais n’y parvint pas et ne reçut sur sa peine qu’un coup de poing sur son épaule démolie, ce qui lui enflamma tout le côté droit du torse.

        L’aiguille s’approcha alors. Le temps parut s’allonger. La jeune femme luttait toujours. L’adrénaline courait dans ses veines. Elle voulait retirer sa tête, mais la prise ferme l’empêchait de se soustraire. Lorsque la pointe de fer creva son œil, Drya hurla comme jamais elle ne serait cru capable de hurler.

Annotations

Vous aimez lire Valens ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0