1

17 minutes de lecture

 On est dans la chambre de la mamie de Léna, chez ses parents, les volets électriques fermés. Il fait chaud, d’une température moite, qui colle les semelles des chaussures au goudron ramolli. On est toutes les deux sur le lit, les jambes écartées, en short en jean et en débardeur trop large. Il y a un paquet de chips et une bouteille de coca entre nous. On fixe la télé qui braille de la télé-réalité, des disputes éclatent à tout les coins de chambre, ce qui nous fait sourire mollement. Les heures passent, je me lève, je mets les paquets de chips à la poubelle, embrasse les parents de Léna et part à vélo dans leur chemin mal bétonné, plein de graviers et de trous. Je cligne des yeux plusieurs fois pour m’habituer au soleil qui est encore trop lumineux, rentre chez moi, va dans ma chambre au bout du couloir, partagée avec ma petite sœur et met un CD.

 Je m’allonge sur le lit et ferme les yeux. Prend des grandes inspirations et expire au solo de guitare. Je me perds dans mes pensées, je revoie ce qu’il s’est passé hier, ma dispute avec Killie. Mes changements d’humeur sont devenus réguliers et de plus en plus brutaux. Maintenant, je regrette. Mais hier, pour rien, une remarque, un courant d’air qui m’a blessé comme un blizzard, je lui ai sauté à la gorge, j’ai sorti les pires horreurs. J’ai cette impression qu’il ne m’abandonnera jamais mais que ce n’est quand-même pas assez. Si les cris, suivis de larmes, suivis de menaces, suivis de SMS destinés à faire mal, puis les pauses, qui veulent dire: c’est trop, c’est tout pour aujourd’hui, réessaie demain, ne sont pas là, alors le vide en moi qui était minuscule, grandit. Avant c’était une fois par mois, ce qui a l’air d’être une fréquence raisonnable pour s’engueuler. A présent, c’est plusieurs fois par semaine, que je crie, je m’énerve, je le pousse à bout, il ne comprend plus rien. Au moins, je ne serai plus toute seule à me balader avec un point d’interrogation géant, comme un rictus dégueulasse qui me bave dessus. Ça coule partout, un parasite visqueux, que je sens grandir et grouiller dans mes entrailles, s’immiscer dans chacune de mes émotions et comme une MST je la recrache et contamine Killie, qui verra sûrement bientôt apparaître des tâches de moisissure quand il ferme les yeux. On n’a pas de maison que les murs sont déjà pourris.

La CD en est à sa moitié. Je le connais par cœur, mais je l’aime toujours autant.

Je laisse mon bras pendouiller sur le plancher, je tâtonne des habits, un maillot de bain, des crayons de couleur sans mine, un stylo. Je l’attrape et le pose sur mon torse; fouille pour trouver mon carnet.

J’essaie de me concentrer, d’enlever de mon esprit les mots de Killie, son bras qui me repousse, ses yeux humides qui se dédouanent et qui s’effacent. Demain. Aujourd’hui, du repos pour mes humeurs qui n’annoncent jamais beau, du repos pour lui surtout. Est-ce qu’il a encore la bague que j’ai acheté pour moi puis que j’ai mise à son index. Elle lui est trop petite, il ne peut plus la sortir, à moins de l’arracher avec ses dents ou de se couper le doigt. Peut-être qu’il me l’a envoyé par la poste, son doigt. Je pense au collier avec un cadenas sans clé de Sid, c’est plus ou moins le même système. C’est romantique ? J’espère que ça ne va pas se finir en bain de sang.

J’ouvre mon carnet et me laisse vagabonder à travers les notes du CD, les mots sulfureux qui s’aplatissent contre mes murs. Écrire en français, c’est la consigne que m’a donné Léna. Mais elle ne sait pas quoi faire de ce que j’écris. Pas encore. J’ai dit qu’on allait trouver. On a presque un été entier pour ça. Mes mots ne touchent pas les lignes du carnet et personne n’arrive à lire mon écriture de cochon:

Dans l’ensemble Y, il y a une loi, qui s’anime entre deux rêves

Si tu marches pieds nus, tu ne sais pas ce qui va t’arriver

Si tu marches sur les lasers, s’en ai senti la chloroquine s’en prend à ta mémoire,

Tu dégringoles au dernier étage, tu prends l’ascenseur du sous sol, il n’y a pas de portes tu es claustrophobe, tu ne respires plus; un oiseau qui passe par là te fait du bouche à bouche tu acceptes dans la dégringolade le béton est mouillé, contre ta mâchoire déchiquetée, la moquette est chaude; un à un les globules blancs l’imprègnent

Quand tu vois les lettres qui partent au combat tu te demandes quand ça va revenir, tu te demandes comment tu tombes sans cordes tu trébuches sur des racines qui tressautent, des croches-pieds meurtriers aux allures de Zorro fluorescent; se redresser avec une allure de terrain vague, tu as la gueule cassée aux bébés qui pleurent quand le soleil se lève, mais toi tu t’affaisses dans ce trou aux contours de barbelés

Tu te demandes où vont les chiens pour mourir, où vont leurs yeux pleins de larmes, où va la fidélité d’une griffe les guichets ne se rétractent pas, j’ai besoin de m’agenouiller ton gouvernail est cassé laisse moi le réparer laisse moi regarder

Si tout autour de moi des requins sauterelles, Je reviendrai leur lécher les canines quand les orbites ne se fixeront plus au bout de mon fusil des parias qui écrivent les règles, leur tordant le cou comme des fleurs en caoutchouc.

Je suis là pour t’offrir un choix

Choisis

Mange (x 10 ?)

J’ai senti quelque chose d’étrange, j’ai cru que c’était un payement mais c’était le sifflement qui se reflète dans la flaque teintée; ton visage j’aurai préféré ne jamais l’acheter, j’aimerai te cracher dans les crochets voir la narcisse sur ton venin bouffi voir tes ongles qui rentrent dans ma gélatine arrache moi à mon bonheur approche moi que j’appuie sur la détente encore et encore et encore jusqu’à ce qu’ils réapparaissent, du plancton phosphorique qui s’effrite et s’agite dans les linges oubliés, je plains les pales qui ne tournent plus je plains ce qui ne bouge que des ordres déglingués sous silencieux

Alors

S’il te plaît laisse allumé

Tout est terrible et tout se vaut

Je suis juste venue vous dire au revoir

J’arrête d’écrire. L’album est fini, le lecteur CD s’arrête, un bruit de mouche qui veut s’échapper. Léna va me dire que c’est inutilisable mais moi je la vois déjà le scander sur scène, avec une basse plein volumes qui ronronne, une guitare bien crade et saturée et une batterie qui fait POUCAPOUCAPOUCAPOUCA.

Une vibration. Un message de Léna.

Une note vocale avec l’intitulé: J’ai trouvé un nouveau riff ?!

De la guitare électrique avec le son crachat du téléphone.

“Pas mal.”

Je me lève de mon lit et ouvre ma fenêtre pour faire sortir la mouche.

***

 Je suis dans la piscine gonflable, dans le jardin de la mère de Killie. Elle est petite et verte par endroits. Je regarde mes pieds déformés par les ondulations de l’eau. Mon vernis rouge écaillé contre le plastique bleu criard. La piscine est en plein soleil, ce qui est une mauvaise idée pour un été aussi assassin. Killie revient avec des CandyUps à la vanille et deux joints plutôt mal roulés, des énormes lunettes de soleil motif drapeau des États-Unis sur le visage. Il se met dans l’eau en caleçon. Très vite, sa peau pâle de mec du nord devient rouge toiture. La veine sur son front apparaît.

— J’ai trop chaud.

Je ne réponds pas, j’aspire bruyamment tout le contenu de mon CandyUp, je me penche pour qu’il allume mon joint, je fais attention à ne pas en mettre dans la piscine.

Nos orteils s’agrippent dans l’eau chlorée de la piscine, comme une poignée de main vue d’en bas. C’est une image affreuse, le contact de nos ongles de pieds qui se griffent me fait un frisson.

— Avril, je crève de chaud.

Il plonge son corps entièrement sous l’eau, à l’exception de ses bras qu’il tend vers le ciel. Je remarque qu’il a encore la bague, son index est rouge et boursouflé. La bague doit lui couper un peu la sang. Quand il se relève, ses longs cheveux châtains sont collés à ses lunettes, ça lui rentre dans la bouche et dans les trous de nez. Il sort de l’eau, s’assoit sur une chaise de camping à l’ombre et rallume son joint.

Je reste dans la piscine, ma peau devient de plus en plus brune chaque jour, seules mes joues restent rouges tout l’été. Je l’entend se lever pour changer la musique qui sort de l’ordinateur. Il n’a pas l’air de revenir. Je prends deux taffes et me retourne. Il s’est allongé sur le carrelage blanc crade et froid. Je ne vois que ses pieds et de la fumée.

— Ta mère va te tuer si elle sent cette odeur, je remarque.

Il le sait et n’a pas envie de se prendre une baffe, alors il ressort, sur la chaise de camping. Mais avant, il vient jusqu’à moi, fait craquer les herbes jaunes sèches, m’entoure de son bras et m’embrasse sur la joue.

— J’ai vu qu’hier, ils ont trouvé une grange bizarre paumée dans un champ. Dans la forêt, dans une clairière après le champ de maïs qu’il y a à côté de l’école primaire. Il y avait plein de matos bizarre qu’on pourrait utiliser. J’y vais ce soir, tu veux venir avec moi? On t’aidera à passer par la fenêtre, si t’as besoin.

J’acquiesce. Je sors de la piscine et m’assoie dans l’herbe cramée, ça me pique les fesses, je pose ma tête sur ses cuisses luisantes de transpiration. Ces mains aux ongles trop courts pleines de cales caressent mes cheveux. La musique fait un bruit de pleurs de marteau-piqueur. Je donne la fin de mon joint à Killie, j’ai la tête qui tourne trop, je sens la migraine qui arrive, la chaleur suffocante.

***

— Avril! Par ici.

Je sors par un trou dans le grillage, court dans l’allée bétonnée. Je regarde l’heure: 1h01. Je me demande si c’est une heure miroir. Au cas où, j’effectue le rituel.

1 2 3 4 5 et 1

1 2 3 4 5 et 1

1 2 3 4 5 et 1

1 2 3 4 5 et 1

1 2 3 4 5 et 1

et 1 et 1 et 1 et 1 et 1, et 1 et 1

— Avril?

— Pardon Kill, c’était une heure miroir. Enfin, je crois.

— T’as réussi à sortir sans réveiller ta sœur?

— Elle n’est pas là ce soir, elle dort chez une amie. Désolée de t’avoir fait attendre, je ne trouvais plus mes chaussures.

Killie baisse la tête et voit une sandale à mon pied droit et une crocs à mon pied gauche. Il me regarde et on éclate de rire pendant que je marche en canard. Je monte sur le porte-bagage de son vélo et il démarre péniblement.

Jules, Sofiane et Léon nous font des signes dans le champ de maïs. Killie pose son vélo sur le trottoir de l’école primaire.

— On se demandait si vous alliez arriver.

— Avril ne trouvait pas ses chaussures.

Ils me voient arriver en traînant des pieds, décontenancée par la différence des semelles.

— Alors Avril, on ne sait plus reconnaître le jaune du bleu?

Tous rigolent, Sofiane m’imite, traîne la patte et s’effondre contre des plants de maïs.

— Vous savez qui allait dans cette grange avant? demande Killie.

— Non, mais ils ont amassés plein d’objets étranges, qui n’ont rien à voir les uns avec les autres.

— Jules pense que ce sont des extraterrestres qui font des recherches sur nous.

Killie pouffe.

— Vous vous êtes senti observés par douze yeux hier?

— T’es con, Kill. Non mais pensez-y, une ville paumée, une grange en plein milieu d’une clairière où personne ne va, c’est parfait pour faire des expériences, non?

On s’enfonce dans le champ de maïs, ça griffe nos sweats à capuche, les coupures se multiplient sur mes pieds, sur mes mains. Mes ongles s’enfoncent dans la paume de Killie. De l’autre côté du champ, on enjambe la clôture électrique, éclairés par les flashs de nos téléphones, à travers les arbres, les cailloux. La clairière est baignée des rayons de lune, les herbes pleines de reflets métalliques. On se suit à la queue leu leu, mon flash de téléphone est rivé sur le sol où je m’assure de ne pas marcher sur un serpent. La grange est un cube en bois, au toit recouvert de mousse. La porte a un énorme cadenas rouillé qui a été forcé.

— C’est vous qui avez fait ça? je demande.

Léon brandit une tenaille qui gisait dans l’herbe.

— C’était si usé que ça a craqué en deux secondes.

Jules pousse la porte. On s’engouffre dedans. Sofiane a ramené des lampes de randonnée qui marchent à l’énergie solaire, il les accroche aux crochets du plafond. Je m’approche avec mon flash des tas d’objets empilés contre les murs. Un tableau d’école à craie, des craies de couleurs encore sur le rebord du tableau, trois casques de scooter recouverts de dessins, une cible de fléchettes, une horloge à moitié démontée, les mécaniques sorties des entrailles, un poing américain, un déguisement de père noël avec une barbe noire, des BD en portugais tâchées, une mini boîte pour élever des fourmis, un aquarium avec un château sans poissons rouges, un rouge à lèvres écrasé, des fils en cuivre, des fils de couleurs différentes, des pièces de diverses machines, un masque à gaz, un serre-tête de chat, un xylophone, un boulier, une boîte de gants en latex fuchsia, un pichet en forme de sardine à l’anse brisée, un guide plastifié sur les plantes comestibles, un moule à cupcake têtes de cochon, un tas de charbon, un panneau EXIT, cinq boîtes d’allumettes encore emballées.

— Plus que des extraterrestres, j’ai l’impression que quelqu’un vivait là, je souffle.

Sofiane tapote les lampes qui diffusent une lumière crue sur les murs pourris de termites et de moisissure.

— Chargées au max, ces lampes ont une espérance de vie de quatre ou cinq heures je pense, dit Sofiane.

Killie et Jules ont pris les craies de couleur et commencent à dessiner sur le tableau, je m’assoie au centre avec Sofiane et Léon. De son sac, Léon sort des soucoupes acidulées, un paquet de cigarettes et six étoiles qui brillent comme des diamants parfaitement découpés. J’en prends une dans ma main, elle tient dans ma paume de main, elle est fragile, aérienne mais paraît croquante. Inédite.

— Mon oncle aime bien nous faire tester des bonbons, dit Léon avec un sourire.

— Vous avez vu des extraterrestres, avant ou après, je répond.

Léon roule des yeux, il fait un trou dans une soucoupe glisse l’étoile dans la poudre piquante et l’engloutit, ça râpe et ça croque. Sofiane en prend une, puis une deuxième. Je hausse les épaules, avale l’étoile qui a un goût de décoration en papier recouverte de sucre. Jules et Killie s’assoient dans le cercle, gobent une poignée de soucoupes, puis les étoiles, les craies dans leurs mains.

— Vous avez déjà fait une chasse au trésor de nuit? demande Jules.

Jules désigne le tableau à craie. Killie et lui ont tracé une carte de la clairière et des étapes à suivre. A l’arrivée, un énorme monstre à tuer pour récupérer les billes rouges dans sa bouche.

— Vous savez, il y a des serpents dans ces clairières. Des couleuvres, des vipères. Mais il y a une légende qui raconte qu’un serpent géant aux écailles blanches légèrement transparentes, entoure la clairière de son corps les nuits de pleine lune comme aujourd’hui et qu’il garde dans sa bouche un trésor.

Jules se penche.

— Des rubis, assez pour nous rendre tous riches et quitter cette ville de merde.

On rigole puis on pousse un long soupir rêveur. Combattre un serpent immortel à l’air moins compliqué que de jouer au loto tout les jours jusqu’à se noyer dans notre verre âcre d’ennui.

On s’allonge. Je ne sais pas combien de temps passe mais quand je rouvre les yeux, la quête a commencé.

***

— Killie ?

— Avril ?

— Jules ?

— Sofiane ?

— Léon ?

Mes pieds. Mes pieds sont dans.

Non.

Ils ne sont plus dans des chaussures. Mon visage au plus près du sol. Ça ondule. Des anémones translucides.

— Killie on est où ? je marmonne.

— Avril, dépêche-toi, la quête a commencé.

Et il part. Ses chaussures (pourquoi il a pu les garder ?), je les vois, elles sont crades, elles sont floues, puis nettes, puis floues à nouveau parce qu’elles bougent, elles s’éloignent de moi, les anémones essaient de les aspirer, de trouver une plaie où s’infiltrer mais les chaussures s’en vont vite, pourquoi est-ce qu’elles n’ont plus de reflets, où sont passées leurs rayures, pourquoi est-ce qu’elles s’en vont, pourquoi Killie s’en va, est-ce qu’il m’abandonne ou est-ce qu’il n’a pas le choix ?

— Killie…

Je sens les anémones me chatouiller, sous mes manches, dans mes narines, entre mes doigts de pieds. Ça devient de plus en plus désagréable.

(Je ne respire plus)

Je ferme les yeux encore un moment.

Ça devient franchement désagréable.

Je respire, l’air me semble plus frais qu’avant.

Je suis allongée?

Je me redresse, je ne suis pas sous la mer ou je ne suis plus sous la mer, je suis assise à nouveau dans la clairière argentée. La lune n’a pas de nuages, je trouve qu’elle prend trop de place dans le ciel, mais bientôt elle disparaîtra. Quelque chose sur mon visage, accroché avec un élastique sale, ça m’a fait des nœuds dans les cheveux, autour des doigts, devant mes yeux. Le masque à gaz, qui me l’a mis, peut-être pour que je respire car je ne respirais pas, ou alors c’est pour ça que je ne respirais pas ? Un extraterrestre ou Jules ?

Je suis debout.

— Avril ! Par ici.

Sofiane court devant moi, tournoie. Il a les bras en l’air. Qu’est-ce qu’il a dans ses mains, ce flash de couleurs, ces grilles qui découpent le ciel ?

— Sofiane, si on doit tuer un monstre géant et immortel, qu’est ce que tu fais avec un filet à papillon violet fluo ?

— Je cherche un avantage, tout le monde cherche par terre mais on n’est pas unidimensionnel.

— Je ne pige rien à ce que tu racontes.

— Viens, suis-moi. Enlève ce masque à gaz si t’as fini ta crise d’angoisse.

— C’est toi qui me l’as mis ?

Il ne répond pas et reprend sa course. Je ne veux pas rester seule donc je le suis, je me prend le filet fluo sur le visage toutes les trois foulées. Translucide, Translucide, Violet Néon, Translucide, Translucide, Violet Néon, Translucide, Translucide, Violet Néon. On arrive à la lisière de la clairière, Sofiane enjambe le corps du serpent immortel, je doute un instant, un éclat d’écailles, une respiration, je saute sans saturer un tressaillement sans scinder ses scintillements. Je suis de l’autre côté, je suis enfin dans la quête, je sens mes points de vie augmenter, je sens ma vue se régénérer. Je prends du plaisir à chercher ce que Sofiane cherche. A travers les arbres, d’autres silhouettes, un crâne rasé sans t-shirt- pourquoi Léon n’a plus son t-shirt, Jules et Killie rampent par terre, ils ont trouvé un indice, un pistolet à eau rempli de paillettes. Non il n’est pas rempli, si mais pas de paillettes, de cendres qui miroitent, facettes de ce qu’il n’y a plus. Killie pointe le pistolet en plastique vers mon cœur et tire. De la poussière dégueulasse, du bruit minuscule et mort qui aveugle et ne voit pas nos mains se rapprocher. Killie ouvre le pistolet en deux. Un fortune cookie nouvelle génération.

Un mot : “ Merci d’être venus jusqu’à moi, vous n’avez pas retiré l’épée, la prochaine fois n’oubliez pas vos armures.”

— Qui a écrit cette merde ? grommelle Jules.

— Excalibur ? propose Sofiane.

Killie se tourne vers lui, je soupire.

— On ne comprend rien à ce que tu dis, Sofiane.

Il hausse les épaules et s’éloigne.

— Pourquoi on a besoin de trouver des indices ? je demande.

— Parce que c’est le jeu.

— Avec quoi on va tuer le serpent, une fois que l’on aura tout les indices ?

— Je n’en sais rien, je ne sais même pas si l’on peut réussir.

— T’as raison, j’ai toujours été nulle aux jeux vidéos.

— Tu te perds dans Mario Kart et tu es obligée de te suicider pour échapper à la partie, dit Killie avec un sourire en coin.

Léon se sert de ses lunettes comme loupe pour que rien dans le cercle de la forêt ne lui échappe. Sofiane est parti de son côté.

— Quelle est la prochaine étape ?

Jules me montre la photo du tableau noir à craie sur son portable. Il zoome avec ses doigts.

— Tu vois, on a réussi à prendre cet indice, maintenant je pense qu’on devrait chercher celui-ci.

Léon et Killie acquiescent. Je fronce les sourcils.

— Et Sofiane? Si on sait ce que l’on doit chercher, pourquoi est-ce qu’il part comme ça ?

— Il scrute pour ceux qui sont invisibles, qui se cachent dans les parties immergées de nos esprits. Ceux auxquels on ne veut pas penser. Et quoi de plus fragile et sournois que ceux qui possèdent des ailes, aussi tard la nuit ?

Sur l’écran saturé, du bout de son doigt plein de terre, je vois la croix et le point d’interrogation. Il zoome un peu plus. Un dessin qui m’a tout l’air d’un gribouillis.

— Jules, je suis désolé mec, mais ma grand-mère avec Parkinson dessine mieux que toi, grimace Léon.

— Vous êtes relous, regardez, là c’est mieux ?

— Non, y a plus que des pixels.

— Bon, allez vous faire foutre. Du miel ! C’est ça qu’on doit récolter.

Jules sort un bocal en verre de la poche de sa veste. Les yeux rivés sur son téléphone, il démarre en zigzag.

— Je ne suis pas venu ici pour sauver les abeilles.

Killie et moi on se regarde, il tapote l’épaule de Léon et on part tout les trois derrière Jules qui a l’air de savoir où aller. Nous beaucoup moins, mais je commence à avoir faim.

Derrière nos pas, une traînée gluante transparente dorée.

***

Avril !

Eh oh !

Avril, réveille-toi !

Je grogne. Les cris et les secousses déchirent mon sommeil. Mes paupières se décollent difficilement, j’ai dû manger trop de sel, je les sens incrustées dans ma peau. Le ciel n’est plus noir ou bleu outremer, les étoiles ont disparu et la lune est en arrière-plan.

— Merde !

Killie est penché au dessus de moi.

— Le jour se lève, on doit se dépêcher.

— Ils sont où les autres ?

— Partis il y a moins de 5 min, on est ceux qui habitent le plus près. C’est plus facile pour nous de rentrer par les fenêtres de nos maisons que pas les portes de leurs appartements.

J’enfile mes chaussures dépareillées et je le suis à travers la clairière, la forêt, le champ de maïs.

Devant le trou dans le grillage gris rouille et le soleil qui se lève, je l’embrasse précipitamment avant de me glisser par ma fenêtre entrouverte.

Tout habillée dans mon lit je ne sais pas si je suis épuisée par cette nuit ou reposée de rêves inexplicables.

J’enlève ma veste qui tombe avec un bruit sourd contre le plancher. Intriguée, je glisse ma main dans les poches.

Du miel sombre dans un pot en verre.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire emmaabadie ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0