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Je tourne la tête vers mon réveil. Les chiffres rouges indiquent : quatre heures trente trois. Je n’arrive pas à dormir. La boule dans ma gorge est devenue immense, j’ai l’impression que l’on m’étrangle à l’intérieur de moi, à l’intérieur de ma peau. Les larmes coulent, les chiffres sont flous, ma sœur dort profondément. Je me sens comme une merde et je me sens en colère. Tellement en colère. J’ai envie de tout casser, de hurler, de foutre mes mains au fond de ma gorge, d’attraper mes cordes vocales et tirer dessus jusqu’à ce qu’elles s’arrachent. J’ai envie de prendre un objet tranchant, un couteau de cuisine ou un scalpel et de me l’appuyer contre ma peau. Je ne sais pas si il faut le faire rapidement ou lentement, si la douleur afflue au moment où la lame touche la peau ou après. Je n’ai encore rien fait mais je me sens humiliée et vraiment débile. Je suis une merde parce que je ne sais pas crier quand je suis seule, je ne veux pas faire une scène, je veux que personne soit au courant que je souhaite tout casser, que je veux me casser. Je suis ridicule, je fais genre tout va bien, je suis “cool” mais je ne suis rien, rien qu’une merde qui pense que rien ne va dans sa vie alors que tout va bien, y a pas de raison pour que ça n’aille pas alors pourquoi ça ne va pas ? Je me sens triste, vide, triste et surtout en colère. Contre moi-même, contre ma faiblesse, et, parce que je l’aime trop, que ça me bouffe tellement je l’aime, en colère contre Killie. J’ai envie de lui arracher le visage et de le lécher, j’ai envie de faire couler son sang pour pouvoir le boire pour pouvoir qu’il soit entièrement à moi, le mettre dans une seringue qui irait directement à mon cœur, qu’il ne puisse plus hausser la voix et tourner les talons. Putain mais pourquoi est-ce que je pense tout ça ? Y a pas de miroir mais je peux voir très clairement que je suis pathétique, “ouin ouin”, je m’apitoie sur mon sort, alors que j’ai tout. Il n’y a aucune raison pour moi de me sentir comme ça, cette après-midi je me sentais apaisée, contre le sable chaud, avec de la musique, avec un peu tout le monde, je rigolais, on allait se baigner, je faisais la sieste avec Killie, puis dans l’eau à nouveau. Dans le bus du retour, je serrais fort sa main et on se moquait de Laeticia qui essayait de draguer Sofiane qui lui ne pensait qu’à se rouler un joint. Mais maintenant. Maintenant je suis toute seule, il est quatre heures cinquante et un et j’ai envie d’être une momie rigide sous mes draps. Quand ça va, je ne réfléchis pas, je suis les mouvements, les moments. Là, ça ne va pas et je ne fais que réfléchir. Pire, je passe en boucle dans ma tête comment appuyer une lame sur ma peau, comment partir et ne jamais revenir, comment élever la voix, comment donner un coup de poing à un inconnu, donner un coup de poing dans le miroir, puis prendre un éclat, mon reflet morcelé, l’enfoncer d’un coup brusque dans mon ventre ou dans mon cou, dans ma cuisse, en fait je m’en fous si ça se voit, alors dans mon cou mais je n’oserai jamais alors je suis dans mon lit à pleurer comme une merde, la boule me rappelle à quelle point je suis nulle, à quel point je n’ose pas, et le vide partout qui laisse la colère ricocher comme un fou dans sa camisole qu’on ne laisse pas sortir parce qu’on en a peur, moi c’est parce que je suis trop faible. Je me lève pour pisser, je continue à pleurer en même temps, je pisse pendant trop longtemps, j’ai des crampes quand je me relève. Quand je me recouche, il est cinq heures. Je met mon oreiller sur ma tête.
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