Quelqu’un m’a fait un jour l’apologie des saveurs, qui sont au nombre de quatre grandes familles : le sucré, le salé, l’amer, l’acide. Toutes les sensations connues sont alors les bienvenues. Des plus humaines aux plus abstraites. De la plus suave à la plus brutale. Ou bien toutes celles qui sont le reflet de l’existence. Je me suis mise en transe devant mes sens gustatifs. Mais seraient-ils trop volubiles ? Quand aux contrastes des couleurs, sont-ils équivalent au toucher des textures ? Ou bien serait-il opposé à l’horizon des pigments gorgés d’épices? L’agrume tonique reste t’il abstrait ? J’ai eu alors l’idée d’associer les sens aux saveurs afin de conjuguer mes mots avec les maux. Puis j’ai appris par la suite qu’il y en avait une cinquième qui m’était complètement inconnue. Il s’agit de l’unami. Je n’ai eu alors envie que d’une seule chose, celle de la découvrir. Seulement cet exhausteur de goût me semble être à la porte d’une barrière que je me suis moi-même construite.


L’ouïe : l’amer

C’est avec les oreilles, qu’on entend les bruits. Même les plus petits bruits de souris. Et tout ce que l’on perçoit et qui n’est pas visible se trouve à l'intérieur. Je crains cette porte, derrière laquelle se cache le trouble. Je redoute de l’ouvrir, je veux éviter d’avoir à subir le regard méprisant et terrifiant de l’ennemi. Je m’adosse à elle et les minutes, voir les heures passent. L’amer aurait-il des vertus ? Il paraît qu’il permettrait de capter les ondes qui nous insuffleraient des vibrassions réconfortantes. Ce que je ne peux discerner, je peux l’entendre, jusqu’à l’imaginer. Mais qu’est-ce que j’attends ? Cette porte est là devant moi et je suis comme paralysée par la peur. Lorsque je m’apprêterai à la pousser, quand elle sera ouverte, qu’adviendra-t-il ? J’appréhende ce moment car je ne sais pas comment je vais agir. Vais-je me laisser emporter ? Vais-je perdre le contrôle de moi même comme à chaque fois ?

Mais qu’est-ce qu’il y a donc de si redoutable derrière cette porte blanche métallique ? Quelle est donc toute cette folie semblable à un tsunami mais qui n’est qu’un appel à l’unami ?

Serait-elle condamnée à n’être que ce doux bagage de ma sombre fortune ? Je reste alors pantoise devant elle à me demander si cet implacable mur d’inox ne doit pas rester clos.

Et il y aura toujours quelqu’un qui me suppliera et m’amendera de la sorte : « - Tu passes à côté de tellement de chose ! »

Qu’est-ce que j’y peux si j’ai le cœur explosé ! J’ai la tête complètement migraineuse et je me sens nauséeuse. Il n’y a pourtant aucune chose que l'on pourrait juger de sale, hideux ou difforme qui est dissimulé. J’écoute d’une oreille attentive et bienveillante le ronronnement de cet appareil. C’est dans une bienveillance totale que je cherche le sens radical de ma frayeur. Il ne supporte plus ce que je lui fais subir, notamment mes sautes d'humeurs lorsque je lui inflige des coups. Je brise son corps et je brise mon corps, encore et encore. Et j’entends la musique, des tam-tams qui battent la mesure accompagnant les trompettes d’une autre renommée. Je rêve ou quoi ? C’est la débâcle à l’intérieur ! Une fête à laquelle je voudrais y être convié. Un véritable bal de la décadence dont je ferais éclater tous mes remords à outrance. Dans tout appareil que ce soit celui du mental, c’est radical, une porte se ferme et une autre s’ouvre. Mais dans quelle direction ? Sur l’essentiel du bien-être ? Une ouverture vers le soleil  est-il identique à celui des quatre saisons ?

L’odorat : le salé

C’est avec le nez qu’on sent les odeurs, les bonnes odeurs comme les mauvaises odeurs.
Le côté rassurant des odeurs sait mettre en alerte tous mes autres sens en éveil. Je ne sais qu’imaginer les émotions celées. Mais que pourraient-elles bien me transmettre ? Le salé conserve la plate attitude des aliments. Dans chacune des bonnes odeurs il y a le regain du passé et l’innocence de l’enfance qui surgit. Je me plais alors à évoquer mon passé et des choses refont surface. Les tartines, les plats en sauces mijotés, les légumes du potager, les viandes grillées et les produits de la mer, les charcuteries, les plats typiques de ma région, la cuisson dans l’âtre, les soupes mixées et les gratins. Comment aurais-je pu oublier tout cela ?

Je cherche un verbe d’action qui pourrait me déloger de ma maison. Me redonner l’envie d’avoir une vraie vie. J’ai peur de la folie qui m’habite. Ce n’est pas ce qui est derrière la porte qui me fait le plus peur au fond. En fait c’est ce qui est à l’intérieur de moi. Ce sont ces déclencheurs de TOC qui tambourinent à la porte de mon subconscient, qui me font mal. Toc, toc, toc, y’aurait-il quelqu’un qui pourrait me répondre ? Mais je ne peux pas l’ouvrir. Quand j’aurai vu toutes ses choses, je me sentirai fondre. La force et la puissance entêtante du bien-être vont me monter à la tête. Les larmes transpireront sur mes joues et j’aurai ce goût de sel sur les lèvres. Je sais que chaque chose doit être à sa place. Oh quel enfer, tenace ! J’ai ce besoin de me vider. J’ai ce débordement d’angoisse et cette peur d’être. Comment peut-on avoir peur de la vie ? C’est tout simplement aberrant. La nourriture ce n’est pas la mort ! Cette redoutable peur de manger, de lutter contre la faim, de me restreindre mais pour quelles raisons ? Je ne sais même pas. J’ai cette espèce d’obsession de noter tout ce que je mange jour après jour et c’est inutile et je note même le nombre de calories aussi, tous ces papiers entassés à quoi cela me sert ? La tête c’est équilibre mental, le corps c’est vital. Ce corps tremblant décharné dont les hanches ne sont que des branches nues dans un jardin d’hiver. Alors j’aurai beau tout faire pour me dire qu’elle est douce amère cette douleur. Mais c’est une autre saveur qui attise ma rancœur.

La vue : le sucré

Avec les yeux, on peut voir les formes et les couleurs. Quelles sont donc ces choses dissimulées derrières qui m’obsèdent ? Lorsque je vais l’ouvrir, elles seront là, à m’observer et à me narguer. Mais elles ne m’auront pas. J’aurais beau les décrire et tout mettre en œuvre pour me les approprier, elles resteront dans l’ombre. Le regard c’est l’envie. Le sucré c’est la douceur et le plaisir. Le sucré est en poudre, cristal, brun ou en sirop. Il aspire à la gourmandise. Ce sont les confiseries, bonbons, les gâteaux faits maison ou non, en friture, moelleux, feuilleté, fourrées, aromatisés, en génoise, meringué, les viennoiseries, les boissons sodas. Je ne suis qu’un appât qu’il veut englober dans son ventre rutilant. Je voudrais bien vous montrer la porte, celle de l’entrée ou de la sortie, qui ne soit que l’instant de la délivrance ou d’un pur cauchemar. De quoi est donc fait cet univers dont tout nous sépare ? Face à cette exposition, j’ai les papilles en ébullition. Un tourbillon de noisettes, praliné et amandes survolent mon horizon. Mais qu’est-ce cela ? Serait-ce du chocolat ? Tout est si paradisiaque ! Seraient-ils aphrodisiaques tous ces éclats croquants, fondants, prêts à chanter à quatre voix ? J’en mangerais des tonnes et des tonnes, et de chaque variété car rien ne m’étonne. Je suis plongé dans une véritable poésie culinaire qui m’abreuve de jouissance.

J’imagine que je peux courir dans le ciel rose. Il n’est plus malade. Mon sommeil est en pure mode sans aucune parade. Mon goût pour l’unami sera mon réconfort comme le doux parfum de Noël. Alors avant que tout n’explose. Je m’imposerais et tous les souvenirs de mon temps ancien ressurgiront. J’ai encore le goût de l’enfance sur mes lèvres. L’enfance est un royaume où l’on ne meurt pas. Mais la vie est chaque jour un défi comme celle qui est là devant cette machine qui ronronne. Elle n’est pas dangereuse juste troublante pour celui qui ne peut le comprendre. Je commence mon délire et plus rien ne peut m’atteindre. J’énumère une à une, les choses qui se trouvent à l’intérieur. Mais pas seulement, je suis comme prise d’une folie : photographier, écrire, toucher, sentir. J’ai besoin de ce contact manuel, que tous mes sens se mettent en éveil pour me sentir vivante. «- Profites de ça et délectes-toi ! -Mais je n’y arrive pas ! »? La faim tiraille mon esprit qui n’est pas bien établit et le syndrome de cet appétit grandissant ne me rend pas bien. Je dois y mettre un frein. Je passe en revue de tout ce que je vois et je frappe cette porte que je voudrais oublier. Elle m’impose sans aucun tact toute ma démence. Cette machine vrombissante m’entraîne dans ses filets. Je l’approche doucement, l’effleure et la touche. Ma main est désormais posée. Sésame est-ce le bon mot pour le mot clé ? La porte de salut n’a pas plus de valeur pour moi que le manque de l’étreinte. Ce sont des mots tels que ceux-ci qui viennent à l’esprit. Alors j’ai réouvert mon cahier pour encore tout noter. De cette nourriture j’en fais des mélanges hallucinants mais c’est inconscient. Puisque ce n’est que ma tête qui égrène ces associations d’idées. L’aliment est devenu une vulgaire masse de calories et il n’est plus cet apport d’énergie essentiel à la survie. Mes yeux se posent sur ces phrases anciennes écrites de ma propre main : « J’ai 28 ans et je fais 28.6 kg. Je suis anorexique. Et j’ai peur de la nourriture. Pourquoi ? Pourquoi la nourriture m’aspire la peur ? »

Le toucher : l’acide

Avec la peau, on sent le chaud, le froid, le dur, le mou, le doux, le rugueux. L’acidité en restera inchangée comme l’impatience à tout déballer. Je me souviens de toutes ces années-là, à pleurer mais pourquoi ? C’est l’organe blessé d’un circuit qui me glace d’effroi. Mais je ne me laisse pas le choix. Il n’y a pas que cette porte là qui bloque et attire mon attention. S’il ne vivait seulement que dans mon imagination se serait formidable. Mais ce qui est insoutenable, c’est de vivre dans ce silence. Il est implacable et incommensurable. Il est vivace et il m’enlace dans la profondeur de mes émois. C’est dans un élan que je le touche à la va vite. Que dois-je faire ? Il ne faut pas que je reste devant ce que je qualifierai de dangereux. Il est mon pire cauchemar et je dois l’affronter. Il symbolise la peur dans toute sa subtilité.

La liste est étalée devant moi et des mots tels des flux d’inutilité explosent sur le papier. A passer de 29 à 36 voir 33. Puis remonter à 40 et même à 50. Je n’y croyais pas.

Le poids de la nourriture recommence à m’obséder. Je suis grave, je ne peux pas m’en, empêcher, pourquoi tout noter et tout consigner, c’est une drogue, c’est ma drogue. Le nombre de calories, le poids des aliments des produits, le nombre de chaque chose que je mange. Ces calculs je sais sont si ridicule. Chaque miette doit avoir son existence et sa présence. Chaque chose qui s’engouffre dans mon estomac doit avoir une Raison. Est-ce l’ultime récompense ? Je ne suis destinée qu’à accomplir des rites puérils qui vont durer des années. La faim est une boucle sans fin et j’oubli alors de vivre. Je me coupe moi-même les vives. Pourquoi il me faut sans arrêt une liste ? La liste de tout ce qui me freine à la vie ? Je n’ai pas d’équilibre. Je ne suis pas immobile. Le vent soufflera et je m’envolerai. Je ne serai qu’une petite pétale de fleur au nom méconnu. Et lorsque je m’approcherai de cette porte, il me suffira de l’ouvrir …et de découvrir toute la consistance du bonheur.

Voilà les premiers mots «Regarder et sentir »  et ceux qui suivront seront plus douloureux : « Déguster et goûter», parce qu’ils sont inconvenants et interdits ! Comment ses saveurs qui ne sont que des modèles de sensations pourraient-elles l’être ? Une porte est blindée tout comme mon mental de pauvre dégénérée. Tous ses agrumes agglutinés, à l’apparence gélifiée et liquéfiée. Du feuilleté bon marché. Encore et encore du sucré. Glacé, givré, léger. Ils sont sous toutes les formes. Redouterais-je l’unami ? Affamée, je veux me gaver sans m’arrêter et tout goûter. Est-ce malsain cette faim ? Sans Fin…

Le goût : l’unami

Avec la langue, on reconnaît le goût des aliments: le sucré, le salé, l'amer et l'acide.
Alors quand je parle de la cinquième saveur chère à mon cœur, elle est pour moi comme une sensation durable et appétissante. Mais c’est celle de l’inconnu. J’ai ce goût sur la langue et je me sens fondre et me voilà aux quatre coins du monde. Derrière la porte c’est la folie qui m’emporte et ça y’est j’en ai des palpitations. Quel est le goût dans ma bouche ? Est-celui de la douceur amère ou l’acide du colporteur des pleurs ? Le salé de mes larmes en deviendrait sucré dans le plus inattendu des entretiens. Je crois que c’est l’umami qui le remporte. Pourquoi j’ai peur…de…Vivre ? Je pense aussi à la beauté du monde. Et pour ça moi je souris. Et ce mot « Souris » me fait penser au magnet collé sur mon frigo et je me rends compte que ce mot ne s’apparente pas à ce petit animal. Qu’il y a donc des milliers de possibilités qu’avec un seul mot on peut dire, continuer par des phrases pour enchevêtrer des tas et des tas d’éventualités…un fil conducteur, on commence par une lettre, un mot une phrase, une strophe, un paragraphe, une page, des pages, un roman, un livre ouvrage d’une Vie . Alors on a envie. C’est cela la continuité. Ouvrir et découvrir ce qu’il y a derrière la porte. Une sonnerie me ramène à l’instant du présent. Assise sur le sol de ma cuisine et adossée à mon frigidaire, je me relève. Réveillée comme dans un sursaut de renouveau, j’enjambe tous les petits papiers étalés sur le carrelage froid. La sonnette de la porte retentit une nouvelle fois, bien plus insistante. La main posée sur la poignée, je souffle et l’ouvre à la volée. Un sourire est là devant moi. Je danse vers la lumière. Je me laisse aller à ce vocabulaire pour décrire ce qui s’offre à mon nez et mes papilles gustatives. Je note l’intensité, le niveau de sucré, de salé, d’amertume, d’acidité et même d’umami. Parce qu’écouter, sentir, voir, toucher ne sont pas suffisant, il faut y goûter. « Si j’ai faim à présent, c’est que j’ai goût à la vie. » Tant pis dans un élan surprenant, j’ouvre à la volée cette porte dérobée. Je touche et j’effleure. Je respire l’odeur. Je regarde et admire.

Est-ce que j’ai la certitude qu’un jour je m’en sortirai ? Je pense que j’aurai réussi mon combat contre moi-même lorsqu’une vie battra en moi. Je toucherai alors, à ce dernier goût subtil qui est l’unami de la vie.

Contemporain
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Table des matières

En réponse au défi

5 sens, voire plus

Lancé par Morien
Bonsoir à tous !

Ceci est le premier défi que je propose et j'espère qu'il vous plaira ! Il est plutôt basique, mais peut permettre d'aboutir à de belles choses.
Le principe est simple :

- vous choisissez une personne, une chose ou un lieu.
- vous, ou votre personnage, le ou la décrit à l'aide des cinq sens (vue, odorat, toucher, ouïe et goût).
- pour le toucher et le goût, vous avez le droit de simplement imaginer la sensation.
- si vous le souhaitez, vous pouvez ajouter un sixième sens de votre choix.
- essayez d'employer un vocabulaire recherché (remplacez le simple "je vois" par "je discerne", par exemple). Pour cela n'hésitez pas à chercher des synonymes !
- essayez d'obtenir un texte assez poétique qui fasse rêver... ou dégoûte.

Pas de genre, ni de longueur imposés !
Maintenant, à vous de jouer !

Commentaires & Discussions

UMAMIChapitre3 messages | 7 ans

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