Chambre double ?

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Crissements des draps. Froissements : le soi, froissé. Comme une orchidée fanée. Crissements : les pieds repoussent un pli, qu’ils ont formé. Elle ne dort pas. Elle ne sait pas s’il dort. Il dort sans doute. Ou il ne dort pas. Mais s’il ne dort pas, il préfère qu’elle croie qu’il dort. Il, sans doute, préférerait dormir. Ou qu’elle le croie. Elle préférerait qu’il ne dorme pas. Qu’il la prenne dans ses bras. Qu’il se tourne. Qu’il la prenne dans ses bras. Crissements. Son pied froisse le drap, ne se défait pas du pli. Pas plus que sa conscience ne se défait de l’impression qu’il ne dort pas. Elle écoute sa respiration. Elle écoute sa respiration dans le noir qui, bien qu’étant une respiration calme et lente et profonde, et régulière, ne la convainc pas. Ne la persuade pas : il ne dort pas entièrement. Elle ne sait si c’est l’espoir, ou le désespoir. Espoir qu’il ne dorme pas. Ou désespoir qu’il le cache, s’il ne dort pas. Elle trouve de plus en plus impossible de dormir. Se retourne. Au risque de le réveiller s’il dort. Mais elle pense qu’il ne dort pas. Et qu’il lui cache qu’il ne dort pas. Alors qu’elle non plus.

Mais peut-être dort-il. Elle s’embrouille et s’enferme dans ses questions. Comme elle s’emmêle dans la texture des draps. Et dans celle de ses questions. Elle se retourne. Sur elle. Sur leur histoire. Si tant est que leur histoire soit commune. Qu’ils aient l’un et l’autre vécu la même histoire. Elle se retourne. Sur elle. Sur lui. Il ne bouge pas. Elle se retourne sur lui qui ne bouge pas. Elle le regarde. Dans l’obscurité. Elle a les yeux grands ouverts. Sur l’obscurité. Et même dans l’obscurité la plus complète, elle en est sûre. Elle devine son profil. Elle connaît la ligne de son profil et la manière qu’il a de se découper sur la nuit. Elle a passé des nuits à se réveiller à côté de lui. À attendre, à côté de lui. Lui respirant ne bougeant pas, bougeant si peu qu’elle pense qu’il feint. Il doit feindre. À ce point, ce n’est pas possible. Il doit feindre de dormir. C’est à cause de cette immobilité contrainte dans laquelle il la tient, toute la nuit, qu’elle en est venue à se demander s’il dormait, s’il ne la tenait pas ainsi à distance de lui. Et soudain la chemise de nuit qui souligne son corps et le dévoile en le voilant et le voile en le dévoilant lui paraît. Soudain elle lui paraît. Dénuée de signification. Il est tard et au creux de la nuit, elle se retourne, elle s’agace des draps froissés autant qu’elle s’agace de sa respiration régulière, de dormeur si parfait, et de la perfection à laquelle elle non plus ne renonce pas, même la nuit. Elle aimerait. Elle aimerait ne pas être agacée par le drap qui s’est froissé. Elle aimerait dormir contre lui. Ou ne pas dormir contre lui. Mais ne pas soulever des questions. Ne pas avoir envie de retourner son oreiller. Elle voudrait ne pas penser. N’avoir jamais pensé qu’il ne dort pas. C’est absurde et elle lui en veut. Ça a beau être absurde, elle lui en veut et elle s’en veut de lui en vouloir, alors qu’après tout il dort peut-être, ça n’aurait rien d’inconcevable à cette heure de la nuit, et après le voyage qu’ils ont fait, et après tout, après toutes choses de cette vie, ça n’aurait rien d’absurde qu’il dorme. Qu’il soit fatigué et qu’il dorme. Et qu’il ne feigne pas de dormir. Mais elle voudrait dormir elle aussi. Elle voudrait qu’il lui suffise d’être contre lui, de sentir son souffle, d’écouter la respiration qui est la sienne, pour qu’elle dorme, et ça ne suffit plus. Elle ne dort pas. Et rien que cela, c’est un pli dans sa conscience, un froissement, un crissement qui accompagne et recoupe et recroise la ligne mélodique de toutes les pensées qu’elle a de lui. Elle ne dort pas et ne dormira pas de cette pensée qu’elle a, inconfortable et triste. Aussi triste que la pensée que, peut-être, il ne dort pas mais feint de dormir pour éviter de lui parler. Elle se retourne. Sur cette pensée. Elle écoute les bruits de la nuit. Elle aimerait le vent ou la pluie. Ou les pas d’une femme et d’un homme dans la rue, en contrepoint l’un de l’autre. Elle n’entend que sa respiration de dormeur indifférent. Et elle est indiciblement triste.

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