Chaque couleur a sa place
Le choix m’avait semblé évident. Le rouge m’avait marquée lors de ma cérémonie, je l’avais choisi en mon âme et conscience. Nous ne faisions qu’un. Je ne pouvais plus vivre sans ces fruits écarlates délicats : j’adorais les fraises raffinées du verger de mes voisins, je raffolais des tomates de mon jardin et me régalais de toutes les baies vermeilles possibles et imaginables que j’arrivais à m’octroyer au supermarché ou au hasard des chemins.
Mes parents avaient eu du mal à accepter cette situation. Violets, ils m’avaient pressentie comme l’une des leurs. Ils prenaient cela pour une défaite. Nous nous étions éloignés, perdus de vue, mais je restais leur fille adorée, celle qu’ils gâtaient toujours, maintenant avec des cerises ou des framboises, plutôt qu’avec leurs éternelles prunes répugnantes.
Notre société constituait certainement la plus fantasque de tout le royaume. On nous surnommait les Arcs-en-ciel. Peu imaginatifs, les étrangers nous appelaient ainsi à cause de notre grain de peau qui variait du rouge au violet, en passant par de nombreuses autres couleurs fantaisistes. Cela dépendait de ce que nous décidions de manger lors de notre passage à l’âge adulte, après six années de découverte des aliments et de leurs bienfaits. La magie opérait alors et nous n’avions plus besoin que de certains ingrédients pour vivre. Notre corps se métamorphosait, il prenait petit à petit sa couleur définitive.
Le rouge représentait ma vie, mes repas, mes plaisirs et qui j’étais. Je ne jurais que par cela et pourtant, cela ne me comblait pas. Au plus profond de moi, je ressentais un vide effrayant. J’avais besoin de goûter à d’autres saveurs. Le seul moyen d’y parvenir restait le sexe. Je l’avais compris bien tard, après avoir essayé à de multiples reprises de dévorer de drôles de légumes verts ou jaunes, qui m’avaient rendue malade et avaient fini leur vie à la poubelle.
Je n’avais jamais parlé à personne de ce malaise ; mes parents ne savaient rien de mes déprimes coutumières. J’avais pris mon envol et vivais mes propres aventures. Je me sentais à part, je ne comprenais pas pourquoi je ne pouvais être heureuse, comme tous les autres.
Je me rendais régulièrement au bar de l’Angle pour y découvrir les nouveaux spécimens de la région, ce soir-là ne fit pas exception. Tous les nouveaux venus et les touristes y passaient obligatoirement pour y goûter les spécialités du coin. Mon soda fraise à la main, je parcourus la salle du regard et le vis qui me fixait. Sa peau noire m’attira inexorablement, tout comme ses magnifiques yeux verts et son parfum chocolaté. Le désir monta. Je m’approchai avec subtilité, me déhanchant de manière qu’il admirât ma féminité. Le pourpre que j’arborais scintillait et attisait sa propre faim. Je pouvais le lire dans ses gestes, dans son regard. Comme moi, il semblait curieux ; rechercher l’âme sœur, une personne de sa couleur, ne faisait pas partie de ses priorités.
Je m’assis près de lui. Nous comprîmes sans nous épancher que seul le plaisir nous appelait l’un à l’autre. Alors, je le menai chez moi. Je le déshabillai avec fougue, le léchant avec envie et goûtant chaque parcelle de son corps mis à nu. Il fit pareil avec moi, je me sentis voler. Ses mains étaient douces quand elles passaient sur ma peau avec délicatesse. Le rouge lui monta à la tête. Il devint plus sauvage, déchirant mes derniers vêtements et me faisant tomber sur mon lit sans ménagement. Ses doigts continuèrent leur danse autour de mon cou, ma taille, mes hanches, mes jambes, alors que sa langue me brûlait la peau. Il me mordit les bras et les cuisses, avide de sentir mon parfum fruité sur ses lèvres. Je massai tranquillement ses muscles saillants tandis qu’il se délectait de moi.
— Je n’aurais jamais pensé que ton goût me conviendrait, lâcha mon bel étalon dans un souffle saccadé. Cela ne m’était jamais arrivé d’apprécier autant une Rouge. J’ai si faim de toi !
Je le fixai intensément, puis me penchai pour lui mordre l’oreille. La saveur du chocolat m’envahit de nouveau, mais ne me combla nullement. Contrairement à ce qu’il venait de me dire, je n’étais pas spécialement adulatrice de sa saveur. Je m’en contenterai, comme à chaque fois. J’avais surtout besoin de physique, de danses érotiques pour m’évader.
À suivre...
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