La proposition
Nous vivons entre campagne et forêt. Notre maison forestière se situe à la lisière de bois privés et communaux.
Dans la vie de tous les jours, après sa douche et son petit-déjeuner, longuement, mon homme brosse ses longs cheveux bruns qu’il lie en catogan, puis entre dans une brume d’eau de Cologne. Sa vêture est simple : un boxer, un tee-shirt à manches courtes ou longues selon la saison, un pantalon et une veste de treillis, parfois une écharpe et toujours son chapeau tyrolien emplumé. Comme tous les véritables élégants, il n’a aucune idée de sa beauté qui est aussi sauvage que sophistiquée.
Après avoir enfilé ses "caterpillars", il ne manque jamais de m’embrasser avant d'aller travailler, et cela même les jours où nous nous sommes querellés pour des broutilles ou à cause de ma mauvaise humeur. Malgrè mes attaques puériles, il reste stoïque et affectueux. Depuis que nous sommes jeunes, il prend toujours l’initiative de nos réconciliations. Il est plus mûr et plus gentil que moi. Mon caractère têtu et enfantin l’amuse encore. J’exècre son sourire affable lorsque je me comporte comme un sale con indécrottable. Pourquoi et comment peut-il me supporter ? Je ne crois pas le mériter. Sa patience et sa tendresse sans faille m’enveloppent, alors que je tente de le pousser à bout et que je laisse ma violence me submerger. Il me serre dans ses bras et me berce :
« Tout va bien, ça va aller. Je t’aime. Je ne te quitterai jamais. Tout va bien, mon amour. Tout va bien. »
Au fur et à mesure du temps qui passe, mes insécurités disparaissent. Il lit en moi comme dans un livre ouvert. Il pressent mes crises avant même que j’en ai conscience. J’ai longtemps cru être un poids dans sa vie et une entrave à sa liberté. Il a dû batailler pour m’empêcher de le quitter. Je croyais que loin de moi, il pourrait être plus heureux :
« Ne présume pas de mes sentiments et de ce qui peut être bon pour moi ! » Me répète-il souvent, avant de comprendre que je lui suis indispensable et précieux, plus encore que son propre cœur.
Il ne prend jamais pour acquis mon affection pour lui. Il a des attentions qui chaque jour me prouvent son amour : au printemps, il arrange de petits bouquets de muguets et de jacinthes qu’il installe sur mon bureau ; à l’été, des brassées de fleurs des champs embellissent notre intérieur ; à l’automne, il cuisine pour nous des châtaignes et des champignons ; à l’hiver, il fend des bûches pour notre confort. Il ne manque pas une occasion de m’embrasser ou de me proposer une promenade accompagnés de nos trois chiens de chasse.
Un soir au souper, après une profonde inspiration, il s’est lancé :
« Cela fait des décennies que nous nous aimons et vivons ensemble : Mon amour, veux-tu m’épouser ? » Me propose-t-il avec son accent rocailleux et chantant du Béarn.
Je n’ai pas su quoi répondre. Le mariage n’est pas un concept qui me touche ou que je comprends. Je suis un ancien enfant perdu qui n’a pas le cœur assez grand pour être sûr de ses sentiments :
« La mariage cimente l’amour, me dit-il pour dissiper mes hésitations. Je serais l’homme le plus heureux du monde si tu acceptais de t’unir à moi.
― Me laisseras-tu prendre ton nom de famille ? Car s’appeler comme le mois où l'on m'a trouvé, me pèse encore.
― Bien sûr. Mon nom est ton nom. Mon cœur est ton cœur. Ma vie est ta vie.
― Je vais penser à ta proposition.
― Prends tout ton temps. »
Régulièrement, il appuyait son propos :
« Nous pourrions inviter nos amis et ma famille, et faire une grande fête à l’été. Je m’occuperai de tout, tu n’auras juste qu’à te mettre un coup de peigne. Tu n'as pas besoin de plus pour être le plus séduisant. »
Plus tard, lors d’une de nos promenades bras dessus bras dessous, je lui réponds :
« Je crois que tu as raison, alors OUI !
― De quoi parles-tu ? Oui à quoi, mon chéri ?
― Marions-nous ! »
Mon homme des bois m’a aimé et protégé comme ses arbres, ses écureuils, ses chevreuils, ses sangliers, ses oiseaux et nos chiens. Jusque-là, ça m’a suffi. Mais si nous marier le rend heureux, je vais le faire avec le plus merveilleux des hommes.
Le 21 juin est là. C’est officiel, nous sommes mariés.
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