Californian Life
"Destruction leads to a very rough road
But it also breeds creation
And earthquakes are to a girl's guitar
They're just another good vibration"
Red Hot Chili Pepper - Californication
Chapter 2
2 ans plus tôt
Je quittais la chambre, laissant le blond au milieu du lit. Un peignoir de satin blanc vint couvrir mon corps nu.
J'allumais une clope et m'avançais dans la grande pièce à vivre, face à la baie vitrée dominant le paysage californien.
La vue était apaisante. Le soleil printanier peinait à pointer le bout de son nez, laissant pour l'instant le ciel étoilé vivre ses dernières heures.
J'expirais un peu de fumée dans l'air. La nicotine dansait en volutes gris sombres, dans la pièce faiblement éclairée. Je voulu sortir sur le balcon mais le froid matinal, malgré l'arrivée d'avril, restait mordant.
Je laissais alors mon front se poser contre la vitre glacée, les yeux rivés sur la rue encore calme, quand deux bras virent entourer ma taille.
Hunter arracha ma clope des mains en susurrant :
- Il est à peine six heures du matin et t'as déjà une clope à la bouche, beauté, avant de la porter à ses lèvres.
- C'est toi qui me fait la leçon, Bradford ? Toi qui t'enfilais des bouteilles entières de whisky au petit dej', ironisais-je.
- Je l'ai fait qu'une seule fois, se défendit-il en riant, se détachant de moi pour se diriger vers la cuisine. Une seule et plus jamais !
- Petite nature ! Tu étais saoul toute la journée, rappellais-je, hilare.
- J'avais quinze ans, justifia-t-il, consterné.
Je lui repris la cigarette des mains, amusée, m'asseyant sur la table pour mieux le contempler.
Il était grand, le teint pâle, ses cheveux blonds constellés de mèches rousses en bataille, et les muscles saillants. Il n'avait pris le temps d'enfiler qu'un caleçon. Je me plaisais à regarder les dizaines de tatouages qui parsemaient sa peau diaphane.
- Qu'est-ce que tu regardes comme ça, demanda-t-il en soutenant mon regard.
Son accent irlandais, bien que plus léger aujourd'hui, était encore présent. Les mots semblaient chanter entre ses lèvres.
Je lui soufflais la fumée au visage avant de répondre :
- Oh, rien de très intéressant, figure toi. Juste une grosse masse corporelle informe, qui se mouve au milieu de mon grand salon...
Il se mit à rire, m'enlevant de nouveau la clope avant de l'écraser dans le cendrier, avant de se coller contre moi et dire au creux de mon cou : " Une grosse masse informe ? C'est pas très gentil."
J'enroulais mes jambes autour de ses hanches et posais mes bras sur ses épaules tandis qu'il défesait le noeud de ma robe de chambre.
Ses mains glissaient le long de mes côtes, avant de se loger au creux de mes reins, me laissant lâcher un soupir de contentement dans son cou.
Il fit glisser le fin tissus le long de mes bras, collant son torse à ma poitrine, déposant quelques baisers mouillés sur mon épaule, promesse silencieuse d'instants futurs doux et langoureux.
Mais, d'un coup, il s'arrêta et se recula légèrement. Je regardais incrédule et passablement agacée, un grand sourire apparaître sur son visage et l'entendis dire :
- Tu pourrais t'excuser au moins.
- Ne comptes pas trop la dessus, dis-je en riant.
Il fit la moue et me lança un "comme c'est dommage" avant de tenter de se dégager. C'était un jeu entre nous, un jeu de séduction constant. C'était à qui céderait le premier. Or je n'étais pas décidée à le laisser partir, et surtout je comptais bien lui faire ravaller sa fierté.
Je le retins par le bras, et après lui avoir volé un baiser, je lui sussurais :
- Si tu veux des excuses, viens les chercher toi même.
Les jeux venaient tout juste de débuter, et je n'avais pas encore abattu toutes mes cartes. Ca promettait d'être intérressant. Une douce symphonie de mots qui claquent et de sentences qui apaisent.
Il me souleva et, me serrant contre lui, il me glissa quelques mots à l'oreille tout en me portant vers l'escalier menant à la chambre :
- Que la partie commence, beauty.
*****
Nous roulions à toute allure dans les rues de L.A., hurlant les paroles de Hotel California, dont l'air résonnait dans les hauts parleurs de la Chevrolet El Camino de Hunter.
Le moteur ronflait sous la carrosserie noire.
A seulement 20 ans nous avions fait nos preuves depuis longtemps et étions déjà haut placés dans la hiérarchie du gang. Et bien que j'étais destinée à en être la future chef, je ne me dérogeais pas aux devoirs et obligations de chaque membre, comme me l'avaient bien fait comprendre mes parents.
Je me devais d'avoir trois coup d'avance sur tout, d'être aussi impartiale qu'impitoyable, aussi juste que protectrice.
Nous nous engagions sur Ocean Avenue, le temps de commander un café au Starbucks et de garer la voiture.
On se dirigea finalement vers la jetée de Santa Monica pour boire nos boissons chaudes au-dessus de l'eau, en regardant les dernières lueurs obscures s'évanouir dans le ciel matinal. Pacific Park était encore fermé et peu de badauds se promenaient sur la plage, donnant ainsi au lieu un calme et une sérénité quasi inexistants en journée.
Nous commençâmes à parler et rire de rien, face à l'océan Pacifique, paisible en ce fin mois de mars quand Hunter entoura mes épaules d'un bras, et déposant un baiser sur ma joue, il questionna langoureusement :
- Tu ne veux pas passer une journée au lit avec ton chevalier servant plutôt que de t'ennuyer à ces réunions pompeuses. Après tout ils se passeront très bien de nous... Et j'ai encore quelques autres petites choses à te faire voir sous les draps.
Une vieille dame qui passait par la pris un air offusqué en entendant notre conversation. Je ris avant de lui répondre :
- C'est important Hunter et tu sais très bien qu'on compte sur nous. En plus ça va t'intéresser, ajoutais-je, d'un ton plus et en baissant la voix. Ils veulent faire importer une nouvelle drogue d'Asie que lequel ils auront tout le monopole.
Il redevint sérieux d'un coup. Ce n'était pas son genre de vouloir fuir les réunions du conseil, pourtant, je me gardais de faire un commentaire. Les sourcils froncés, il me dévisageait. Il attendait de savoir d'où je tenais mes sources.
- J'ai surpris une conversation entre papa et Jamie, avouais-je.
- Ce n'est pas bien d'écouter aux portes Thal ! Surtout quand ce sont les discutions privées de nos pères !
- La ferme Bradford, ce n'est pas toi qui va me faire la morale, dis-je en lui tapant le bras. Faut qu'on y aille, on est en retard. Ça fait presque une heure qu'on est ici.
Vingt minutes de route plus tard nous arrivions à Downtown L.A. Le quartier d'affaires transpirait le fric et la mièvrerie. Les sociétés que nous y possédions nous permettaient de légitimer nos transfers de capitaux et ainsi cacher nos activités. Pour le monde entier les Clare étaient les dirigeants de Clare Corporation, une entreprise qui s'occupaient de plusieurs sociétés allant de l'hôtelerie à des réseaux de camionneurs et transports de marchandises. Les sociétés que nous possédions nous permettaient de légitimer nos transfers de capitaux et ainsi cacher nos activités et surtout, vendre nos marchandises et en tirer nos bénéfices.
Après avoir repris le flambeau, papa avait réussi la prouesse d'étendre le réseau bien plus que n'importe quel gang ou cartel, en s'alliant avec des patrons de grosses boîtes.
Ils s'associaient aux membres du gang, adoptaient ses règles et ses lois et ainsi profitaient de placements juteux, de protection, drogues, armes et escorts, où s'ils refusaient, soit ils se taisaient sous la menace, soit on retrouvait leurs corps dans leurs bureaux, une balle dans la tête ou mort d'une overdose.
Nous étions couverts juridiquement et grâce à ces manœuvres, nous couvrions une panoplie de profils de clients, allant de richissimes fêtards à des jeunes des bas quartiers en passant par les junkies.
Jusqu'à présent, les seuls que la police avait réussi à arrêter étaient quelques dealers ou autres jeunes gens qui bossaient pour nous, les "pions" que l'on pouvait se permettre de sacrifier pour nous protéger nous, les dirigeants. Nous étions les rois de l'échiquier, et nos troupes mourraient au combat en notre nom.
De plus, nous avions des alliés partout : flics corrompus, avocats, procureurs, sénateurs, et ainsi de suite. Tout n'était qu'une question de pognon.
Nous savions cependant que les flics flairaient certaines pistes, mais elles s'arrêtaient qu'à certains membres intermédiaires qui se chargeaient d'éliminer les gêneurs, novices ou flics. Ils ne savaient toujours pas qu'ils étaient rattachés à nous et encore moins qui étaient leur chef. Ils ne connaissaient pas notre nombre.
Beaucoup souhaitaient s'engager chez nous. Beaucoup mourraient en essayant. Souvent, ils ne dépassaient pas le stade de novices, ou d'intermédiaires : ils dealaient dans les rues, rackettaient les touristes, volaient des voitures, intimidaient des personnes ciblées, faisaient du trafic d'armes, des cambriolages et ainsi de suite. Ils concentraient la plupart de nos effectifs et étaient dispersés un peu partout, dans différentes planques et maisons. On leurs transmettaient des infos via des membres supérieurs qui géraient chaque groupe. Chaque grade avait son initiation. Et chaque initiation comportait son lot de victimes.
Ce n'était pas un monde pour les faibles. Car même les forts, parfois, s'inclinaient avant de tirer leur révérence. Chaque initiation comportait un serment et une partie du tatouage du gang : plus il était complet, plus tu étais haut gradé.
Usque ad mortem, en dessous de deux pistolets croisés sur une silhouette d'un grand oiseau aux ailes déployées.
Jusqu'à la mort.
On n'échappait pas au gang. On lui appartenait jusqu'à son dernier souffle. Les conséquences pour avoir tenté de fuir étaient terribles. Mais même moi, la fille du chef, ne savais pas toujours de quoi il en ressortait, mais cela rimait souvent avec membres broyés et mort douloureuse.
Dans la salle de réunion, au sein d'une belle tour de verre, des hommes et femmes importants réunis autour de la table ovale nous fixèrent, dès qu'on ouvrit la porte.
Mon père présidait les membres présents : Jamie Bradford et Amaya Young, le "Grand Trio" (où "Trio infernal", ça dépendait des versions), comme on les surnommait, deux autres membres les accompagnaient, ainsi qu'un procureur, le PDG d'une société de transport affiliée, et nos actionnaires.
Bien que la panoplie de profils membres ne soit pas représentée aujourd'hui, tous, corrompus jusqu'à la moelle, avaient reniés leurs principes, leurs valeurs et leurs serments contre les pots de vin et l'appât du gain.
Pathétiques. Ils étaient tous pathétiques.
Mais nous avions besoin d'eux. Tant que nous leurs apportions ce qu'ils voulaient, tant que nous faisions en sorte qu'ils se sentent important, qu'ils pensent nous avoir dans la poche, nous étions les maîtres du jeu. Nous les controlions. Ils nous servaient d'alibi, nous livraient nos commandes, nous facilitaient la comercialisation de nos produits, et les échanges internationnaux. Nous, nous nous occupions de leurs apporter protection, argent et "distractions". Et nous faisions couler le sang en leur nom.
Nos "clients" n'étaient que de vulgaires toutous dressés pour obéir en échange de friandises.
Je reportais mon attention sur l'assemblée. Nos tenues, qui se composaient de jeans, boots et vestes en cuir, faisaient tâche parmi les tailleurs et costumes, ce dont mon père me fit comprendre d'un simple coup d'œil. Je haussais les épaules, indifférente. Au moins nous avions fait l'effort de mettre des chemises.
Je remarquais aussi deux hommes et une femme que je ne connaissais pas, surement de nouveaux actionnaires.
Les trois têtes du gang nous fixaient. Jamie Bradford semblait faire à son fils les mêmes reproches que le mien.
Amaya, Jamie et Sam. Le Trio Infernal. Amis depuis l'enfance. Forts, intelligents et surtout, dangereux.
- Bien puisque les retardataires daignent enfin se présenter, annonça mon père en nous fusillant du regard, tandis que nous prenions place, nous pouvons commencer.
Je lançais un regard entendu à Hunter. C'était son idée d'aller boire nos cafés sur la jetée, ce qui nous avaient mis en retard et je n'hésiterai pas à le dénoncer. Et il le savait. D'ailleurs le regard noir qu'il me lança me fit bien comprendre que je le lui paierai très cher. Nouvelle partie, les dés étaient lancés.
- Vous avez fini ?
Je toussotai.
Mon père interrompit brutalement notre échange muet. Il n'était pas du genre à mâcher ses mots et Hunter en avait un peu subi les frais au début de notre relation. Le fait qu'il soit le fils de son meilleur ami ne l'avait pas empêché de le menacer quant à moi et ma sécurité.J'en riais presque.
Pendant deux heures nous parlâmes ainsi d'un nouveau marché trans-pacifique. Une drogue inédite, mélange d'herbes hallucinogènes et de composés chimiques, nommée Bloody Eyes.
Apparemment, cette drogue de synthèse concentrée dans une petite pilule rouge plongerait le consommateur dans une phase de transe, où des hallucinations lui faisait perdre le contrôle de lui même. Ce qui la différencie des autres drogues du genre, c'est que dès qu'elle commence à faire effet, elle dilate les vaisseaux sanguins et gorge les yeux de sang. D'où son nom.
Je me demandais pourquoi les gens voulaient perdre l'ascendant sur leurs capacités. Par besoin ou par caprice ? Enfin, leurs états d'âmes alimantaient notre trafic alors je ne m'en plaignais pas. J'étais suffisament consciente des risques pour tenir ces merdes loin de moi.
De ce que je comprenais, c'était une drogue redoutable dont les effets étaient plus forts, bien plus forts que les autres déjà sur le marché. Et de plus, argument non négligeable, elle créait une dépendance accrue quasi instantanément. Les junkies tueraient pour en avoir.
Elle devait être livrée dans trois semaines, à Long Beach, par une société de transport chinoise. Les trois personnes présentes autour de la tables que je ne connaissais pas, étaient bel et bien des actionnaires chinois qui se chargeaient de nous livrer la drogue, en échange de capitaux et de services.
On agirait sous les yeux de tous, sans qu'aucun ne remarque ce qu'il se passe. Voilà où résidait la force de ce gang. L'ombre était mêlée à la lumière.
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