Chapitre 2 (première partie)
Quand Mickaël rentra ce midi-là, il eut plusieurs surprises : tout d'abord, aucune bonne odeur de repas ne parvenait à ses narines quand il franchit le seuil de la maison, ensuite, tout était étonnamment calme alors que les enfants étaient en week-end. Il entendait cependant un léger bruit de conversation provenant du salon et il se dirigea aussitôt vers la grande pièce.
Là, assises autour de la grande table en bois, entourées par les trois enfants, Maureen et Mummy étaient penchées sur des papiers dont il ne comprit pas au premier coup d'œil de quoi il pouvait s'agir et, surtout, pourquoi cela semblait tous les absorber autant. Les trois enfants étaient assis face à elles, penchés au-dessus de la table, et écoutaient religieusement. Mummy, les lunettes sur le nez, tenait dans les mains ce qu'il prit pour un livre et le déchiffrait avec quelques difficultés. Il releva cependant aussitôt qu'elle lisait en français, puis comprit qu'elle était en train de traduire quelque chose à Maureen, celle-ci le retranscrivant dans un fichier sur l'ordinateur portable ouvert devant elle. Sur le dossier d'une chaise était posé un grand pan de tissu, un tartan, dont Mickaël ne reconnut pas les couleurs, mais il y avait beaucoup de variétés de tartans dans la région et s'il connaissait les plus courants, il n'était pas capable de tous les identifier au premier coup d'œil.
La voix de Mummy le porta à se concentrer sur ce que sa grand-mère lisait et il resta un moment, silencieux, à les écouter et à les regarder, debout au seuil de la porte.
- Alors... J'aimerais écrire à mon frère, François, mais… c'est… impossible. Manfred craint que les courriers ne soient… interceptés par les Anglais. J'aimerais… J'aimerais pourtant… tant rassurer mon frère… sur notre sort à tous ! Lui dire que nous… sommes tous en vie…
Killian leva la tête et regarda Mummy en face de laquelle il était assis :
- Ca a l'air grave. Elle a vécu des choses graves, non ?
Mummy abandonna un instant le livre et regarda l'enfant :
- Oui. De ce que nous pouvons déjà replacer, ces pages ont été écrites après la défaite de Culloden.
Ce nom résonna étrangement dans l'esprit de Mickaël et il vit les visages de ses enfants devenir encore plus sérieux. Même s'ils étaient encore bien jeunes, et notamment Erin, ils avaient déjà tous les trois entendu parler de la terrible bataille de Culloden, mais aussi du massacre de Glencoe. En vivant à Fort William, il était difficile d'ignorer ce fait historique, un peu comme les petits-enfants d'Eric ne pouvaient ignorer, en Normandie, l'épisode du Débarquement de juin 1944.
Mickaël fit quelques pas et entra vraiment dans la pièce. Erin fut la première à le voir et sauta de sa chaise pour courir vers lui. Il la prit dans ses bras et l'embrassa sur ses deux joues, mais déjà la fillette s'écriait :
- Papa ! Maman a trouvé un trésor dans le grenier !
- Un trésor ? Un trésor de pirates ? Avec plein de pièces d'or ? demanda-t-il d'un ton amusé.
- Mais non ! Un trésor de rebelles ! protesta la petite fille.
- Il y a même un pistolet ! s'exclama Killian comme pour appuyer les dires de sa sœur.
- Un quoi ? s'étonna franchement Mickaël.
Maureen abandonna son clavier, Mummy se tourna vers son petit-fils qui venait de reposer sa fille à terre :
- Ah, Mickaël ! Déjà là ?
- Oh, si j'arrive trop tôt, je retourne au restaurant… sourit-il en s'approchant de Maureen pour déposer un léger baiser sur ses lèvres.
- Il est déjà cette heure ! s'exclama la vieille dame en regardant cette fois la grande horloge contre le mur. Mon Dieu, mais rien n'est prêt pour ce midi !
- Nous n'avons pas vu le temps passer, reconnut Maureen. Et ta fille n'a pas tort en disant que nous avons mis la main sur un vrai trésor.
- Bon, je vous propose d'abandonner tout cela pour le moment, fit-il. Les garçons, hop, vous mettez la table dans la cuisine, vu le bazar qu'il y a ici, pas la peine de ranger, on va manger là-bas. Et heureusement que je suis passé aux halles ce matin et que je vous ai ramené quelque chose… Je pensais que vous auriez mangé cela ce soir, mais je vais le préparer ce midi.
- Qu'est-ce que c'est ? demanda Killian, curieux.
- Du crabe ! répondit son père. Je l'ai cuit au restaurant, en rangeant mes courses.
- Super ! s'exclama Ewan. Tu nous fais une mayo avec ?
- Question stupide, mon fils. Bien sûr que je vais faire une mayonnaise…
Les enfants se précipitèrent vers la cuisine et, très vite, tous prirent place à table. Mais Mickaël était vraiment curieux d'entendre le récit de leur matinée à tous et, surtout, de comprendre ce qu'était ce fameux "trésor"…
**
Il fut cependant un peu difficile, au début, pour Mickaël de démêler tout ce que les enfants racontaient. Ils se coupaient régulièrement la parole, voulant chacun en dire plus que son frère ou sa sœur. De temps en temps, il échangeait un regard amusé ou surpris avec Maureen ou avec sa grand-mère. Mais à la fin du repas, il avait déjà une bonne idée de ce qu'ils avaient découvert dans le grenier.
- Ainsi donc, Mummy, tu penses qu'il s'agit d'un journal ? fit-il en regardant sa grand-mère.
- Oui, répondit-elle. Car Maureen a descendu tous les cahiers et le récit court sur de nombreuses années.
- C'est donc une certaine Héloïse qui l'a écrit ?
- Oui, intervint Maureen. Et de ce que nous savons déjà, elle était française. De ce que Mummy a parcouru et du peu qu'elle m'ait traduit, c'est un témoignage poignant sur les années qui ont suivi la défaite de Culloden. Mais elle m'apparaît comme ayant été une personne de fort caractère et de grande noblesse.
- Et j'ajoute qu'elle écrivait très bien, dit Mummy, même si c'est un peu de l'ancien français, j'arrive à la comprendre sans difficulté. Et ce qui est amusant, c'est qu'elle utilise souvent des mots en gaëlique.
- Tu as l'intention de tout lire et de tout traduire ? s'étonna Mickaël.
- Nous en avons l'intention, oui, répondit Mummy avec assurance.
- On pourrait confier cela à un historien local… suggéra-t-il.
- On pourra toujours le faire après, mais je crois qu'Héloïse a des choses à nous apprendre, à nous transmettre, dit Maureen.
A son ton sérieux, Mickaël la regarda avec intensité et ses yeux devinrent un peu plus sombres. Maureen soutint son regard et dit :
- J'en suis persuadée. Nous nous posons beaucoup de questions, déjà, sur la malle elle-même, comment elle est arrivée jusqu'ici alors que le récit se déroule à Dunvegan, et qu'Héloïse parle aussi d'Inverie. Ce n'est pas loin d'ici, certes, mais il y a plus de deux siècles, ce n'était pas non plus la porte à côté.
- Pour les tartans, maman a une idée, intervint Killian. Elle va envoyer une photo à un chercheur spécialiste des tartans. Il pourra peut-être nous dire à quel clan ils ont appartenu.
- Ils sont beaux, en tout cas, fit Ewan.
- Ils n'ont pas été abîmés et je pense qu'ils ont été peu portés, dit Mummy. Mais ils ont grandement besoin d'être lavés !
Mickaël sourit et, déjà, il imaginait les couleurs séchant sur le long fil à linge, flottant au vent léger, comme des étendards. Puis il demanda :
- Et la bague, Mummy ? Elle te dit quelque chose ?
- Pas du tout, répondit la vieille dame. Finella n'avait pas les moyens de posséder des bijoux et le seul qu'elle ait jamais porté était son alliance. C'est Mary qui l'a gardée, de même que celle de Donan. Et je peux t'assurer que c'était un simple anneau.
Mickaël hocha la tête. Ce trésor découvert dans le grenier possédait vraiment bien des mystères… Mais il ne se doutait pas encore de tout ce que cela allait leur révéler, ni de toutes les découvertes surprenantes que Maureen et Mummy, aidées par les enfants, allaient faire au fil des semaines…
Annotations
Versions