Chapitre 5 (première partie)
Avant toute chose, je tiens à vous souhaiter à toutes et tous une belle année 2024 ! Qu'elle soit emplie de joies, grandes et petites, de bons moments en famille et entre amis, de découvertes, de plaisirs petits et grands ! Prenez soin de vous aussi !
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C'était un bel après-midi dominical. Mickaël avait profité de sa matinée pour se reposer plus longuement et il savourait ces quelques heures qu'il pouvait passer en famille. Assise dans son confortable fauteuil de jardin, offert par toute la famille deux ans plus tôt pour son anniversaire, Mummy tricotait. Mickaël se fit la remarque que, ces derniers temps, il n'avait pas beaucoup entendu le petit bruit caractéristique des aiguilles qui s'entrechoquent : elle avait été trop occupée à traduire le journal d'Héloïse.
Dans le bas du jardin, les enfants jouaient dans la cabane qu'ils avaient construite l'été passé. Elle avait résisté aux assauts enfantins comme hivernaux, même si elle avait besoin de quelques menus travaux : ils étaient d'ailleurs fort occupés à réparer le toit et à parfaire la décoration intérieure.
Non loin de lui, un sécateur à la main, Maureen s'employait à couper les fleurs fanées des bordures de la terrasse. Le soleil réchauffait l'air et ces heures étaient des plus plaisantes.
Il s'était allongé dans l'herbe redevenue verte : Maureen avait pu tondre la pelouse dans la semaine et il trouvait agréable d'être ainsi, regardant les nuages blancs courir dans le ciel bleu, de ce bleu qu'apportent le printemps et le temps doux. Malgré tout, la neige demeurait encore sur les sommets du massif derrière la maison, elle ne disparaîtrait pas avant plusieurs semaines encore.
Si son ouïe captait tout autant le bruit des aiguilles que les mots des enfants ou le claquement régulier du sécateur, son esprit était tourné vers sa lecture : Maureen lui avait confié son dernier fichier, la traduction des dernières pages du premier cahier d'Héloïse qui s'arrêtait à l'été 1747. Elle ne lui avait rien livré, ces derniers jours, de l'avancée de leur travail, et il était curieux de découvrir la suite. Il aurait aussi bien pu lire le journal en français, mais l'écriture fine et cursive d'Héloïse ne rendait pas la chose très facile, et, de plus, il ne voulait pas risquer d'abîmer le journal en lisant au-dehors. Sur la tablette, c'était bien plus aisé.
Avril 1747
J'ai dû m'y résoudre. Sur les conseils de Manfred et de Craig, et après avoir parlé avec Jennie et Kyle. J'ai signé aujourd'hui la reddition du clan des MacLeod d'Inverie et je reconnais ainsi l'autorité de la Couronne et du roi George. Notre clan est désormais soumis. Ce soir, je n'ai pas eu le coeur à rester auprès des enfants, ni même dans la grande salle du château de Dunvegan. J'avais besoin de me retrouver seule et Clarisse n'est pas demeurée longtemps auprès de moi. Je regarde mes bagues et je pleure. Je regarde mon alliance gravée de fleurs de chardons et je pleure mon cher amour perdu, mort et disparu. Je regarde la bague ancienne de Soa et je pleure notre clan en cendres et tous les nôtres qui vont devoir subir l'autorité de la Couronne. Je pleure nos couleurs que nous n'avons plus le droit de porter. Je pleure notre langue que nous n'avons plus le droit de parler. Et je pleure Inverie que j'ai perdue, il me semble à jamais.
Mickaël abandonna un instant sa lecture, se redressa et regarda vers le lointain, au-delà de la ligne des massifs de noisetiers qui délimitaient le bas du jardin, au-delà de la pente douce qui descendait vers les rives du Loch Linnhe, au-delà des eaux bleues et calmes du loch, au-delà même des monts d'Ardgour. Il regardait un des monts en particulier, le Sgurr Coire Choinnichean. La montagne qui veille sur Inverie, depuis l'aube des temps et jusqu'à la fin des siècles.
"Pas étonnant qu'on aime autant regarder dans cette direction, depuis toujours, depuis des générations et des générations : si c'est de là que nous venons", songea-t-il.
Qu'elle était triste et dure, l'histoire d'Héloïse, en ces jours sombres qui suivirent la défaite de Culloden. Mais pas une fois, elle ne s'était plainte de son sort : ses pensées étaient toujours tournées vers les siens, vers les gens de son clan, elle avait totalement intégré cette notion de devoir vis-à-vis de la population qui vivait sur les terres du clan, elle se sentait vraiment redevable d'eux. Son cœur, lui, était toujours tourné vers Kyrian, et Mickaël se disait qu'elle ne pourrait aimer un autre homme que lui. La fidélité était une valeur ancrée au cœur des MacLeod d'Inverie et de leurs descendants, et il songeait au couple formé par Finella et Donan, même s'il n'avait que peu connu ce dernier, et surtout, plus près de lui, à Steven et Mummy, à ce que Mummy avait confié une fois à Maureen, que malgré l'abstinence dont ils avaient dû user durant de longs mois, pour qu'elle puisse se remettre de ses fausses couches, Steven n'avait pas cessé de lui être fidèle. Lui-même ne pourrait tromper Maureen, c'était inconcevable pour lui. Et il savait ses parents encore suffisamment amoureux et complices.
"C'est une valeur que nous portons en nous et qui nous vient de loin", se dit-il avant de reprendre sa lecture.
Mai 1747
Les jours passent et se ressemblent tous. Le printemps est revenu fleurir les collines et la lande, autour du château. Les ajoncs embaument et la bruyère égaie de ses couleurs mauves jusqu'aux bords de la grève. Mais qui peut dire quand refleurira la fleur de chardon ? Bien que beau et soutenu, le mauve de la bruyère ne peut égaler pour moi le doux velours du chardon...
Je suis toujours sans nouvelles de Kyrian et de Hugues. Chaque jour qui passe m'oblige à croire qu'ils ne sont plus, qu'ils sont tombés eux aussi aux côtés de Caleb et Dougal, aux côté des derniers hommes d'Inverie que Kyrian avait gardés avec lui et qui ne sont pas revenus eux non plus.
Mais nous avons pris une décision, Jennie, Kyle et moi-même, en accord avec Manfred. Celui-ci a renvoyé quelques-uns de ses hommes sur le continent et ils sont revenus porteurs de nouvelles nous permettant d'envisager un retour à Inverie, prochainement. Si nos terres sont sillonnées régulièrement par des patrouilles anglaises, le calme y est revenu. Et Manfred a su me rappeler qu'ayant signé la reddition, j'avais également obtenu ma liberté et que je pouvais regagner ma maison. Je tiens à retourner à Inverie avant l'été, si possible. Je veux que tous les nôtres puissent apprendre que nous sommes de retour, qu'il y a à nouveau quelqu'un à Inverie. Même si le clan va disparaître. Je pense pouvoir encore veiller à notre destinée, Kyrian n'en attendrait pas moins de moi. J'ignore ce qui sera exactement en mon pouvoir, mais je sais que c'est là-bas que je dois être, que je peux agir. Ici, à Dunvegan, je ne suis rien.
Juillet 1747
Inverie. Nous voici de retour à Inverie. En ces heures où le soir s'étire longuement, où la nuit tarde à tomber comme pour nous offrir encore et encore de la clarté, je regarde par la fenêtre de notre chambre et j'admire les couleurs somptueuses du couchant. La presqu'île se dessine en contre-jour, masse un peu sombre qui ferme le loch, comme une protection. Les eaux sont mauves, rosées, reprenant les reflets du ciel. Quelques nuages plus sombres le marquent en pointillé. Au-delà des terres, je devine encore les lueurs orangées du soleil qui doit disparaître désormais derrière les monts de Skye.
Il me reste Inverie, et l'Ecosse. A jamais.
Juillet 1747
Kyrian est vivant.
Mickaël resta un long moment à fixer les trois mots écrits ce jour-là par Héloïse. Kyrian MacLeod était vivant. Il avait survécu à la bataille de Culloden, aux traques et aux massacres, à la répression sanglante et aux emprisonnements arbitraires. Quelle fée s'était donc penchée sur son destin pour lui permettre d'être un des rares survivants de la défaite ?
Il reposa la tablette et fixa à nouveau le ciel. Il n'avait pas encore achevé sa lecture, ignorait ce qui lui permettrait de répondre à ces questions.
- Maureen ?
Elle cessa de couper les fleurs fanées et se tourna vers lui. Elle le fixa alors qu'il gardait le silence et comprit qu'il savait.
- Oui ?
- Pourquoi ne me l'avais-tu pas dit ?
Elle s'approcha de lui et sourit, puis s'assit en tailleur à ses côtés. Mummy avait cessé de tricoter et les regardait. Les enfants jouaient toujours, ignorant les discussions des adultes.
- Je voulais te laisser la surprise. Comme elle nous l'avait laissée.
Mickaël se redressa et s'assit à son tour, face à elle. Il lui prit les mains, la regarda et dans ses yeux verts s'alluma un éclat bleuté. Il dit simplement :
- Je me sens... très heureux.
- Moi aussi, répondit Maureen avec une émotion similaire dans la voix. Et Mummy l'était tout autant, n'est-ce pas ? Quand nous avons achevé ce passage ce matin...
- Nous voulions finir le premier journal, répondit la vieille dame. Et il se termine avec trois mots... et pas n'importe lesquels.
- Mais vous avez aussi commencé le suivant, non ? demanda Mickaël avec espièglerie.
- Oui, oui... répondit sa grand-mère en faisant un vague geste avec une de ses aiguilles. On voulait connaître un peu la suite... Pas toi ?
- Si ! rit-il et il reprit sa lecture.
Juillet 1747
J'ai dû attendre que Kyrian soit parti pour Skye avec Lorn et Roy pour avoir un peu de temps pour écrire. Mes soirées et mes nuits ont toutes été accaparées par mon cher amour et c'est seulement ce soir que je retrouve ma plume. Il me semble étrange d'écrire encore, mais quelque chose m'y pousse cependant. J'ai confié à ces pages des heures douloureuses et difficiles, des souvenirs heureux et enchanteurs. Dire le présent importe aussi, il me semble.
Kyrian et Hugues ont survécu à la bataille de Culloden, grâce à leur force, leur courage, leur volonté. Grâce aussi à la chance, et à la volonté de Bethany, ma chère petite amie d'Inverness. Car c'est la chance, Kyrian me dit que c'est une fée qui l'a guidé, soutenant Hugues gravement blessé, qui les a menés jusqu'aux portes du château de Dalcross. Ils y sont demeurés plus d'une année, cachés, soignés, protégés. Et sont revenus jusqu'ici en se faisant passer pour les serviteurs de Bethany.
Après des mois de pleurs et de malheurs, peut-être connaîtrons-nous enfin des jours plus heureux.
Kyrian s'est donc mis en chemin pour revoir son cousin, Manfred, et son oncle Craig, pour parler avec eux de la situation que nous connaissons désormais. Il ne m'a pas reproché d'avoir signé l'acte de reddition du clan, il a compris que c'était le mieux à faire.
Que dire de nos retrouvailles ? Inimaginables, heureuses, vibrantes ? J'ai retrouvé mon cher amour et le lien qui nous unit est plus fort que jamais. Deux nuits et un jour ont tout juste été suffisants pour rattraper ces longs mois de solitude et de peur, de pleurs et d'inquiétude. Deux nuits et un jour n'ont pas été suffisants pour partager à nouveau tout notre amour. Mais Dieu qu'il était bon d'être à nouveau dans ses bras, sentir sa force m'enlacer, m'entourer, goûter encore et encore à ses caresses et ses baisers, et pouvoir lui en donner tant et tant en retour. Mon corps se languissait de lui et s'en languit encore. Je l'aime et ne suis entière qu'en sa présence.
Mickaël acheva sa lecture sur ces derniers mots. Il regarda à nouveau Maureen qui avait repris ses activités. "Je l'aime et ne suis entier qu'en sa présence".
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