Chapitre 7 (troisième partie)
Maureen prenait toujours plaisir à retourner à Edimbourg, même si elle savait que, cette fois, ils n'auraient sans doute pas le temps de monter à Arthurs' Seat, ni de flâner dans les rues animées. De même, Mickaël ne pourrait pas s'offrir un petit passage au musée du whisky. Mais ils profitèrent quand même de leur début de soirée pour se promener dans le centre-ville et pour trouver un pub où ils dînèrent avec plaisir.
Le lendemain matin, levés tôt, ils furent parmi les premiers visiteurs des Archives Nationales Ecossaises, là même où Ingrid et Henry avaient entamé les recherches généalogiques. Grâce aux données déjà collectées et à l'aide d'un archiviste, ils purent accéder aux derniers registres qui leur manquaient et passèrent la matinée à remonter l'arbre familial du début du 19ème siècle et de la fin du 18ème. Tout leur indiquait également que les terres s'étaient transmises de père en fils, comme cela avait été le cas au siècle suivant et jusqu'à Donan, ce dernier ayant réalisé un partage entre Matthew et Steven, puisque son fils aîné, James, s'était installé à Glasgow et était devenu ouvrier.
Ils n'étaient cependant pas encore parvenus à remonter jusqu'à Kyrian et Héloïse quand vint l'heure du déjeuner. Ils quittèrent les Archives pour rejoindre le professeur MacGuiness dans un pub près de l'université où il leur avait donné rendez-vous. Ils se saluèrent avec plaisir et Mickaël apprécia beaucoup la façon dont leur interlocuteur leur parla, avec simplicité et curiosité. Il avait craint, un peu, de se retrouver face à quelqu'un de très érudit et peu facile d'accès, même si les quelques échanges par courriel que Maureen avait pu avoir avec lui donnaient plutôt une bonne impression. Le professeur avait une petite quarantaine d'années, il était grand, aux cheveux bruns, au regard pétillant d'intelligence.
- Je suis très heureux de vous rencontrer, c'est vraiment une chance que vous ayez pu venir jusqu'à Edimbourg, dit-il d'emblée une fois qu'ils furent attablés. J'ai beaucoup de questions à vous poser, vous vous en doutez.
- Oui, et nous aussi, répondit Maureen. Je voulais déjà vous remercier pour toute l'aide que vous nous avez apportée et, notamment, en nous fournissant la copie de l'acte de cession des terres d'Inverie. Nous aurions peut-être perdu du temps à le chercher, alors que nous en connaissions l'existence grâce à M. MacKenzie.
- Ce n'était pas très difficile pour moi d'avoir pu le retrouver, j'ai l'habitude de naviguer dans les vieux documents, si on peut dire, répondit-il avec un sourire. Vous étiez au service des Archives ce matin, n'est-ce pas ?
- Oui, répondit Mickaël, et nous allons y retourner cet après-midi. Si notre estimation est bonne, nous n'avons plus que deux générations à identifier avant de pouvoir déterminer si nous sommes de la famille d'Héloïse et Kyrian MacLeod d'Inverie.
- Grâce au journal d'Héloïse, nous espérons ainsi pouvoir déterminer si notre lointain aïeul fut son petit-fils, Leathan, le fils aîné de leur aîné, ou un autre enfant, ajouta Maureen.
- Ce n'est jamais simple de remonter ainsi la filiation, car les enfants étaient nombreux... dit le professeur. Vous pouvez aussi être issus d'une branche secondaire, d'un deuxième enfant, par exemple.
- Oui, tout à fait, dit Mickaël. Néanmoins, je pense qu'on doit avoir des liens plus ou moins directs.
- Qu'est-ce qui vous le fait penser ? demanda le professeur avec intérêt.
- La présence de la malle, d'une part, avec son contenu, dans notre propre maison dont nous trouvons trace à chaque génération, de même que les terres alentours qui se sont transmises de père en fils. Puis, il y a des ressemblances... physiques. A travers le portrait de Kyrian. Ma mère et ma grand-mère, en le voyant, ont eu la même réaction et pourtant, elles l'ont découvert à un moment différent : il leur rappelait mon grand-père. Même visage un peu anguleux, mêmes yeux verts. Même port de tête. Bien sûr, ce ne sont que des impressions, mais...
- Ce n'est pas négligeable, et je comprends que vous soyez impatients de pouvoir faire le lien, plus ou moins direct.
- Tout à fait, répondit Maureen. Mais outre ce lien généalogique que nous n'avons pas encore établi, nous sommes aussi très curieux de comprendre pourquoi notre famille s'est retrouvée à Fort William et n'est pas restée à Inverie. Et pourquoi aussi, tous nos aïeux, jusqu'au grand-père de mon mari, se considéraient comme appartenant au clan des MacDonald. Nous avons trouvé la présence d'un MacDonald dans le journal d'Héloïse, mais nous ne voyons pas encore quel rôle il a pu jouer.
- C'est assez étonnant, en effet, dit Paul MacGuiness, d'autant qu'à cette période, on voyageait assez peu, même si les Anglais avaient commencé à construire des routes pour occuper plus aisément les Highlands, sous prétexte de désenclavement... Enfin, on appellerait cela ainsi de nos jours... Et aller d'Inverie à Fort William n'était pas si simple que cela, car il y a plusieurs lochs et des montagnes à faire barrage. C'est faisable, bien entendu, mais ce n'est pas le trajet le plus "naturel" de la région. C'est plus simple d'aller sur Skye depuis Inverie, par exemple, en traversant par bateau bien entendu.
- Oui, et dans son journal, à plusieurs reprises, Héloïse mentionne des voyages qu'ils ont faits ou que leur famille de Skye a faits pour venir les voir. Ils ne se voyaient pas tous les ans, mais assez régulièrement à l'occasion d'événements familiaux, comme un décès ou un mariage. C'est ainsi, aussi, que nous avons pu comprendre les liens entre Kyrian et Manfred, le laird de Skye à cette époque. Ils étaient cousins directs.
- Sans en avoir confirmation certaine, dit Mickaël, mais nous avons retrouvé trace d'un certain Roy dans l'arbre généalogique de Skye, qui aurait été le frère de Craig, lui-même étant le père de Manfred. Nous pensons alors que ce n'est pas un hasard si le fils aîné de Kyrian portait lui aussi ce prénom. Une sorte d'hommage, c'était fréquent.
- Tout à fait, même si cela ne simplifie pas toujours les recherches généalogiques, car on se demande souvent de quelle personne il s'agit ! Si on ne se trompe pas de génération... Mais nous avons la chance d'avoir pu conserver beaucoup de registres et que les clans aient aussi bien tenu leurs filiations. Ce n'est pas le cas pour tous les pays...
- Et nous avons aussi la chance que les Anglais n'aient pas détruits ces registres, après la défaite... soupira Mickaël.
- Ils n'y avaient pas forcément grand intérêt...
Ils poursuivirent ainsi leur repas et, à un moment, Paul MacGuiness leur demanda s'ils avaient achevé la traduction du journal.
- Non, répondit Maureen. Il nous reste encore un cahier. Nous sommes rendus à l'année 1756.
- Ecrit-elle régulièrement ?
- Plus ou moins. A chaque fois qu'un événement important se produit, elle le mentionne, c'est du moins notre impression, car nous avons ainsi pu suivre plusieurs faits marquants de l'histoire familiale, comme des deuils ou des mariages, des naissances. A cette date, 1756 donc, Kyrian et Héloïse sont déjà grands-parents et leurs deux fils aînés se sont mariés. Ils vivent toujours au château d'Inverie, avec eux.
- Outre ces événements familiaux, intervint Mickaël, Héloïse mentionne aussi bien des faits liés au rattachement à la Couronne, comme les interventions de Walter Fleming, le représentant du roi, ou du juge. Elle décrit aussi la façon dont ils se sont organisés pour survivre.
- C'est un témoignage inestimable que vous avez là ! s'exclama Paul MacGuiness.
- Je vous ai préparé un fichier sur cette clé, dit Maureen en la sortant de son sac. C'est une copie de la traduction que nous avons déjà réalisée. J'ai joint un autre fichier, qui vous intéressera peut-être moins, mais qui est la somme des questions que nous nous posons au fur et à mesure que nous avançons notre traduction et les réponses que nous avons pu apporter à certaines.
- Merci beaucoup ! Vous me voyez vraiment ravi de pouvoir déjà découvrir tout votre travail !
Comme ils avaient terminé leur repas, Maureen sortit aussi avec précaution le premier cahier d'Héloïse.
- Je vous ai amené le premier cahier, dit-elle, je pensais que vous seriez intéressé par le feuilleter.
Paul MacGuiness le prit avec précaution et ouvrit les premières pages. Il lut aisément les premiers mots, car il comprenait bien le français comme il l'avait déjà stipulé à Maureen, et fut d'emblée happé par le récit d'Héloïse. Il parvint cependant à s'arrêter, sachant qu'il découvrirait la suite très rapidement. Il rendit le cahier à Maureen.
- Merci beaucoup. Je m'arrête là, sinon, je ne vais pas lâcher ce journal... mais je pense que je vais très vite ouvrir votre fichier de traduction !
Maureen sourit, puis lui tendit un sac un peu volumineux.
- C'est un exemplaire des tartans que nous avons trouvés, dit-elle. Nous pensions que ce serait bien qu'il figure dans l'inventaire et pas seulement par la description que vous en avez fait.
- C'est très généreux de votre part... répondit le professeur. C'est exact que, lorsque c'est possible et c'est le plus souvent le cas, posséder un tartan au sein de l'inventaire est une bonne chose pour sa conservation. Combien en possédez-vous ?
- Huit en tout, dit Mickaël. Taillés pour des hommes adultes. Et ils sont tous en très bon état, hormis deux qui ont été plus portés, mais qui, néanmoins, ne sont pas abîmés.
- Sacré trésor... soupira le professeur. Qu'y avait-il exactement de plus dans la malle ?
- Deux sporrans, un pistolet, et une bague gravée, que nous avons identifiée comme étant l'alliance d'Héloïse car elle la décrit à un moment dans son journal. Elle mentionne aussi que les alliances de ses brus ne sont pas gravées, contrairement à la sienne. C'est ainsi que nous sommes parvenus à cette déduction. J'ai pris des photos de chacun de ces objets et elles figurent aussi sur la clé que je vous ai remise.
- Nous n'avons guère de connaissance en ce qui concerne les armes, dit Mickaël, et nous n'avons pas encore pris le temps de chercher des éléments sur ce pistolet, nous avons privilégié d'autres recherches.
- Je comprends. J'essayerai de le faire, si vous le permettez, à partir de la photo. Je vous en demanderai peut-être d'autres, si nécessaire.
- Merci bien, répondit Mickaël.
Ils se quittèrent peu après en se promettant de se recontacter très vite. Le professeur MacGuiness leur souhaita de parvenir à terminer l'arbre généalogique dès ce jour-même et Mickaël et Maureen retournèrent sans tarder au service des Archives.
**
- Ma douce...
La voix émue de Mickaël fit lever la tête à Maureen. Il avait sous les yeux un gros registre judiciaire.
- Qu'y a-t-il ? demanda Maureen dans un souffle, alors qu'elle-même effectuait d'autres recherches et prises de notes dans le registre d'Etat-Civil.
- Je crois... que j'ai trouvé. Ou presque. La mention d'un acte de cession de terres au nom de Tobias MacLeod. Datant de 1762.
Maureen se leva prestement de sa chaise, fit le tour de la table pour venir se placer aux côtés de Mickaël. Elle fixa les lignes qu'il lui désignait.
- Alors... cela signifierait que Tobias a quitté Inverie... pour venir s'installer à Fort William ?
- Peut-être qu'Eilidh a voulu se rapprocher de son frère... fit-il.
- Ou qu'ils ont quitté Inverie car ils devenaient trop nombreux pour pouvoir y vivre, suggéra Maureen.
- Sachant que le clan MacDonald avait été décimé moins d'un siècle plus tôt, les terres pouvaient être plus ou moins à l'abandon ou risquaient de tomber entre des mains anglaises. Peut-être que Tobias a pu en revendiquer certaines ou les récupérer au nom de sa femme ? émit Mickaël.
- Nous trouverons peut-être des précisions dans le journal d'Héloïse, quand nous arriverons à cette date, dit Maureen.
- Oui, certainement. Elle ne peut avoir passé sous silence le départ de son fils, s'il s'agit bien de lui...
Maureen hocha la tête. Elle proposa :
- Si nous ne trouvons pas l'acte lui-même, ce qui sera peut-être difficile, nous en parlerons au professeur MacGuiness. Il pourra peut-être faire les recherches plus rapidement que nous. Il saura où chercher...
- Bonne idée, dit Mickaël. Et puis, nous pourrons aussi nous rendre aux Archives municipales, à Fort William. Où en es-tu de l'Etat-civil ?
- A l'année 1762.
- C'est contemporain de la présence éventuelle de Tobias à Fort William... Je sens que nous allons toucher au but ! s'exclama Mickaël avec enthousiasme.
Mickaël déplaça sa chaise et vint s'asseoir aux côtés de Maureen, ils poursuivirent ainsi l'étude du registre.
- Là ! dit Maureen. Une naissance. Dungan MacLeod, fils de Tobias et Eilidh MacLeod... en 1762.
- Dungan... Cela me dit quelque chose, dit Mickaël.
- Oui ! s'exclama Maureen avec enthousiasme. Bien sûr que cela te dit quelque chose... C'était le père de Craig ! Le laird du clan de Skye ! Et si nos déductions sont bonnes, le père de Roy, lui-même père de Kyrian... Tobias aurait ainsi donné le prénom de son arrière-grand-père à l'un de ses fils...
- Il faut qu'on trouve le lien avec la génération qui nous manque... Dungan est-il bien le père de William...
Ils feuilletèrent encore le registre avec attention et finirent par découvrir le lien qui leur manquait, la preuve absolue, l'acte d'état-civil enregistrant la naissance de William, fils de Dungan MacLeod et petit-fils de Tobias. Ils se regardèrent alors un moment sans parler, avec beaucoup d'émotion. Mickaël finit par dire :
- Nous venons bien des MacLeod d'Inverie... Mais de la branche issue de Tobias et non de celle de Roy...
- J'en étais presque sûre, murmura Maureen.
- Pourquoi ? A cause de Fillan et Eilidh MacDonald ?
- Non... parce qu'une fois, dans son journal, Héloïse stipule que Tobias avait une particularité physique bien spécifique...
- Laquelle ? demanda Mickaël avec étonnement et curiosité à la fois.
- Quand il est heureux, un éclat de bleu s'allume dans ses yeux verts. Comme toi.
Mickaël la fixa encore plus intensément et Maureen sourit : à cet instant, l'éclat de bleu venait de réveiller le vert profond des yeux de son mari.
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