Chapitre 9 (première partie)

9 minutes de lecture

- Alors ? demanda Ewan d'un ton mêlant curiosité et impatience.

- J'ai une grande nouvelle à vous annoncer, les enfants, dit Maureen alors qu'elle veillait au goûter de sa progéniture.

Trois paires d'yeux avides la fixaient sans ciller.

- Oui, reprit-elle. Papa et moi avons pu terminer l'arbre généalogique. Et nous sommes bien des descendants de Kyrian et Héloïse, mais en partant de leur deuxième fils, Tobias, et non de l'aîné, Roy.

- Oh !

Le cri reflétait joie et merveilleux.

- C'est vrai ?

- Oui, c'est vrai, répondit Maureen. Mais je poursuivrai aussi les recherches aux Archives municipales, à Fort William, notamment par rapport au titre de propriété que Tobias avait signé ici. Papa et moi aimerions maintenant réussir à dater la construction de la maison, du moins, ses premiers murs, car nous savons bien qu'elle a été agrandie et rehaussée au fil des générations.

- On va pouvoir porter les kilts de Kyrian, alors ? interrogea Ewan avec une lueur d'envie dans le regard.

- Nous allons faire authentifier l'arbre généalogique et oui, cela sera possible, répondit Maureen.

- J'aimerais bien que papa en essaie un, fit remarquer Erin.

- Il faudra le lui suggérer…

- Et nous ? s'impatientèrent Killian et Ewan.

- Ils sont trop grands pour vous, et ce serait dommage de les couper, non ?

Les deux garçons prirent un air dubitatif, mais comprirent bien qu'il fallait veiller à protéger ce trésor.

**

Septembre 1758

A l'occasion du mariage du deuxième fils de Manfred, nous avons entrepris de nous rendre sur Skye. Lorn et Clarisse, ainsi que nos deux petites filles, sont restés à Inverie. Tobias et Eilidh y demeurent aussi, car Eilidh n'est pas en état de voyager. La naissance est prévue pour novembre, début décembre au plus loin. Nous partons donc avec Roy, Kayane et les deux garçons, mais aussi Lowenna et Iona, Kyle et Jennie.

C'est lors de ces réjouissances que ma petite Lowenna tombe amoureuse d'un de ces grands gaillards vivant au château de Dunvegan, Neil. Fils d'un ancien soldat de Manfred, il est aussi petit-fils d'un soldat de Craig, ayant servi sous les ordres de Dougal. Il est également un des meilleurs amis du fils aîné de Manfred. J'ai vite remarqué, et Kyrian aussi, qu'elle ne le laissait pas indifférent et nous avons accepté d'envisager des fiançailles au printemps suivant. Nous sommes rentrés à Inverie en nous disant l'un et l'autre que nous devions profiter de la présence de notre fille pour les mois à venir, car elle nous quitterait bientôt pour retourner vivre à Dunvegan.

- Ainsi, voici venu le temps de Lowenna... sourit Mummy. Les années passent, mais de nouveaux bonheurs arrivent.

- Oui, d'autant qu'Héloïse attend aussi avec impatience d'être une fois de plus grand-mère !

Maureen et Mummy avaient bien avancé dans la traduction du dernier cahier d'Héloïse. Mais elles constatèrent bientôt que cette dernière écrivait moins régulièrement et ne mentionnait plus dans son journal que des événements strictement familiaux, naissances et décès, mariages et départs des enfants. Elle ne parlait plus guère de leur façon de vivre, des éventuelles difficultés qu'ils rencontraient. Elles pouvaient se demander, légitimement, si leurs conditions de vie s'étaient améliorées, ou si, au contraire, devenant trop dures, Héloïse n'avait plus à cœur d'en parler.

Ainsi, elles apprirent la naissance de la petite Isobel, fille de Tobias et Eilidh, puis le mariage de Lowenna. Les noces se déroulèrent à Inverie, mais après quelques journées de fête, les jeunes époux repartirent pour Dunvegan. Mummy et Maureen devinèrent, au travers des quelques mots écrits par Héloïse à cette occasion, combien le départ de sa fille lui pesa, même s'il lui restait encore la petite Deirdre qui, du haut de ses dix ans, semblait ne pas avoir perdu son petit caractère bien trempé.

Mai 1760

Nous avons reçu ce jour la visite de Fillan. Il est venu avec un compagnon de route, un voisin de son village. Il voulait voir sa sœur et sa petite nièce dont il avait appris la naissance, mais qu'il n'avait encore jamais vue. Mais il vient aussi avec une proposition qui intéresse fortement Tobias : des terres sont à l'abandon sur les flancs du Ben Nevis. Elles faisaient partie des terres des MacDonald, avant le massacre de Glencoe. Mais entre la tuerie et les guerres jacobites, le clan a perdu bien des hommes et les terres n'ont pas été exploitées. Aujourd'hui, si personne ne s'en occupe, elles risquent de passer sous la coupe de la Couronne.

- Oh ! s'exclama Mummy. Voici venir un passage vraiment intéressant... Sans doute allons-nous comprendre bien des choses...

Maureen termina d'écrire la dernière phrase et aquiesça : elle aussi sentait l'impatience la gagner. Mummy poursuivit, lisant toujours d'abord la phrase en français, à voix haute, puis la traduisant en anglais pour Maureen qui la recopiait.

Kyrian, Tobias et Fillan se sont enfermés un moment dans le bureau pour parler. Je sais que mon fils est courageux, il connaît aussi le travail de la terre. Fillan a commencé à élever des moutons, selon les préconisations anglaises. Mais il a besoin d'aide. L'installation d'une nouvelle famille, de l'autre côté du Loch Linnhe, serait de bon augure pour lui. J'ai déjà compris qu'après Lowenna, c'était mon fils qui allait nous quitter.

Tobias a cependant tenu à demeurer avec nous jusqu'au milieu de l'été, une fois les moissons bien avancées.

Août 1760

Le temps est venu de les voir partir à leur tour, Eilidh, Tobias, et la petite Isobel, dans une charrette apprêtée pour l'occasion. Ils emportent avec eux leurs affaires, mais aussi une petite bourse que je leur ai confiée, avec l'assentiment de Kyrian : c'est là quelque argent qui nous restait, envoyé par François. Mais ils emportent aussi un étrange souvenir. Eilidh, qui a toujours été habile de ses doigts, avait tenu à faire nos portraits, à Kyrian et moi. Elle avait commencé à dessiner durant sa grossesse, et s'employait souvent à cette activité au cours des longues soirées d'hiver. Je conserve toujours précieusement dans notre chambre le dessin qu'elle a réalisé, d'après ses souvenirs, du château de Dunvegan entouré par la lande en fleurs, dans une atmosphère très printanière. Mais elle me laisse aussi un joli portrait d'Isobel. Au cours des dernières semaines, ce fut ainsi que nous posâmes, Kyrian et moi, pour lui permettre de faire nos portraits. Kyrian tenait à porter son tartan et à chaque fois que je le voyais ouvrir la malle et le revêtir, je priais pour que nous ne reçussions pas une visite impromptue du juge Slater ou de Walter Fleming.

Et après les larmes versées par Clarisse et Jennie en voyant leurs fils partir avec Simon Fraser, c'est mon tour de pleurer, même si je me console en me disant que Tobias ne sera pas aussi loin de nous qu'Ervin et Galyn. Et que, comme nos cousins de Dunvegan, nous aurons l'occasion de les revoir de temps à autre.

- Et bien, dit Maureen en ayant noté les derniers mots de Mummy, nous avons maintenant toute l'explication ou presque...

- Oui, dit la vieille dame. Nous savons désormais pourquoi Tobias est parti d'Inverie, nous pouvons aussi supposer que, la propriété étant quand même assez réduite, il allait devenir difficile d'y faire vivre plusieurs familles, et que les terres, ici, était une belle opportunité pour un jeune homme courageux et volontaire.

- Il allait aussi pouvoir être maître chez lui, sans en référer à son père et à son frère aîné. A la façon dont Héloïse parle de Roy, au fil des pages, nous comprenons bien que c'est lui l'héritier, sur lui que repose l'avenir de la propriété et il s'est d'ailleurs bien investi dans ce rôle. Mais même si Kyrian et elle aiment beaucoup Tobias, il va sans dire que, pour lui, c'était en effet une réelle chance que de pouvoir devenir propriétaire de terres pour l'élevage, à son tour.

Mummy opine avant d'ajouter :

- C'est donc bien Eilidh qui a réalisé les deux portraits, mais aussi la petite vue d'Inverie. Par contre, nous ne pouvons pas dire qu'elle a fait les trois à la même période : Héloïse ne mentionne pas le paysage, mais parle d'un autre, à Dunvegan.

- Tout à fait, répondit Maureen. Peut-être a-t-elle peint la vue d'Inverie une fois qu'elle était arrivée à Fort William, aussi d'après ses souvenirs.

- C'est possible.

- Je suis bien contente que nous ayons résolu ce petit mystère des portraits, même si, d'après les initiales et la date, nous pouvions en effet nous douter que c'était Eilidh qui les avait réalisés.

- Et Kyrian a bel et bien enfreint la loi, en portant le tartan de son clan... fit remarquer Mummy.

- Ce que dit là Héloïse à propos du tartan, semble confirmer nos impressions : il l'aurait lui-même créé, ajouta Maureen.

- Oui, dit Mummy, se souvenant de cette conclusion à laquelle elles étaient parvenues un peu plus tôt.

Maureen jeta un œil à la grosse horloge. Mickaël n'allait pas tarder à se lever de sa sieste et à partir au restaurant. Elle abandonna alors un instant leur ouvrage et se rendit à la cuisine, pour préparer deux théières. La plus grande contenait un thé assez léger, celui que Mickaël avait appelé fort à propos Doux. La plus petite était pour lui, avec Corsé, un de ces thés idéaux pour affronter sa journée de travail. Elle revint ensuite dans la salle, sortit les tasses du buffet et disposa le tout. Alors qu'elle déposait la dernière tasse sur la table, elles entendirent Mickaël descendre l'escalier. Mummy eut un petit sourire, un rien énigmatique, mais qui signifiait combien elle avait consience de la profondeur des liens entre son petit-fils et son épouse, qui le devinait toujours si bien.

- Ca va ? dit-il en glissant une main sur les reins de Maureen, avant d'effleurer ses lèvres d'un baiser.

- Très bien, répondit Mummy. Nous avons presque terminé...

- Déjà ?

- Oui, dit Maureen. Il ne reste plus que quelques pages. Plus le temps passe et moins Héloïse écrit. Parfois, il peut se passer plusieurs mois, presque une année, sans qu'elle ajoute le moindre mot. Mais nous avons reconstitué l'essentiel.

- Ah, racontez-moi cela, dit-il en prenant place à table, face à sa grand-mère, et en se servant une tasse de thé.

Il vérifia ensuite l'infusion de Doux et fit le service pour Maureen et sa grand-mère.

- Héloïse nous a révélé les raisons du départ de Tobias et de sa famille. Le frère d'Eilidh, Fillan, est venu les voir à Inverie et a parlé d'une possibilité d'exploiter des terres sur les pentes du Ben Nevis, des terres ayant appartenu autrefois au clan MacDonald. Mais il manquait de bras et Fillan ne pouvait pas, à lui seul, s'occuper de toutes ces terres. Tobias a donc décidé de partir.

- D'où l'acte de propriété dont j'ai trouvé mention à Edimbourg, réfléchit Mickaël. L'explication rejoint un peu les hypothèses que j'avais émises.

- Oui, tout à fait, poursuivit Maureen. Ils ont quitté Inverie en 1760, c'est donc assez logiquement qu'il a pu signer cet acte deux ans plus tard, à peine.

- Il faudrait retrouver l'acte lui-même, maintenant.

- Nous aurons peut-être terminé la traduction d'ici demain, dit Maureen. Je me rendrai aux Archives municipales pendant les vacances, pour voir ce que je peux y trouver. Il y aura peut-être aussi d'autres compléments que je pourrai ajouter à l'arbre généalogique.

- Nous avons également eu confirmation de quelque chose que nous supposions déjà, ajouta Mummy. A savoir que c'est bien la femme de Tobias, Eilidh, qui a fait les portraits. Elle aurait aussi réalisé d'autres dessins, dont un de sa fille, mais qu'elle avait laissé à Héloïse en souvenir.

- Il sera difficile de le retrouver... émit Mickaël à juste titre.

- Tout dépendra de la façon dont les enfants et petits-enfants de Roy auront pris soin des affaires de Kyrian et d'Héloïse, dit Mummy.

Mickaël hocha la tête.

- Bien, dit-il. Finalement, vous avez trouvé réponse à beaucoup de questions...

- Oui, c'est vrai, reconnut Maureen. Mais le mystère demeure cependant pour expliquer comment la malle s'est retrouvée ici. Encore, les portraits, on peut le comprendre, mais les tartans et tout le reste... Héloïse ne dit pas qu'ils sont partis avec.

- Sans compter l'alliance d'Héloïse, dit Mummy. C'est à son sujet que j'ai le plus d'interrogations maintenant. Je ne pense pas qu'elle l'ait donnée à Eilidh. Je ne la vois pas avoir cessé de la porter. Encore, en 46, avec la répression, porter un bijou représentant des fleurs de chardon, cela aurait pu passer pour séditieux, mais en 60...

- Je pense qu'elle l'a portée jusqu'à son décès, émit Maureen avec un peu d'émotion dans la voix. Mais cela n'explique en rien pourquoi nous l'avons retrouvée...

Mickaël et Mummy ne répondirent rien, car ils en arrivaient à la même conclusion.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Pom&pomme ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0