Game Over - Monopoly
Je suis bien aise. Oui, moi, Chapeau Haut-de-Forme, fait enfin honneur à ma grâce et ma prestance naturelle. La partie n’a pas commencé depuis bien longtemps. Une poignée de minutes à peine, qu’est-ce dans une vie ? Chien avait bien démarré, pourtant, et j’ai cru pendant un moment qu’il allait me rafler la Gare du Nord. De toute façon, j’aurai bien trouvé un moyen de la lui racheter, je possède déjà les trois autres. Le Dé à Coudre traîne un peu : il faut dire qu’il n’arrête pas de faire des doubles, et c’est moi qui ai la carte pour sortir de prison. Et oui, quand on a le monopole, on ne l’a pas à moitié. J’ai déjà posé des hôtels Rue la Fayette, Place de la Bourse, Faubourg Saint-Honoré, et quelques maisons par-ci, par là. Oui, vraiment, je suis bien aise !
Je me repose dans mon succès et ma chance, sans pour autant voir le vent qui tourne. Je ne suis pas moussaillon, moi, j’ai les pieds sur terre… Enfin, pour peu que je puisse en posséder. On dit que la chirurgie fait de grandes choses. Ne pensez-vous pas que je serais un grand patron beaucoup plus crédible avec une paire de jambes ? Oui, c’est ce que je me dis aussi, bien que j’hésite. Je suis de la famille Haut-de-Forme ! Nous ne sommes pas n’importe qui, voyez-vous, et je ne voudrais pas devenir une bête de foire… Carte chance ! Tu parles. J’offre une réception, je paie. Pas grave, j’ai encore de la marge.
Chien avance. Il a de la chance et ne tombe pas sur mes propriétés. Je jure intérieurement « Par les rubans de ma grand-mère ! ». Si on m’entendait, ah !... Je compte mes billets. Je ne croule pas sous l’or, mais j’en ai bien assez. Vraiment. Cette idée me fait sourire – un large et grand sourire ovale. Eh oui, je suis un couvre-chef. Mais je suis tiré de ma réflexion par Fer à Repasser. Je l’avais oublié, celui-là. Qu’est-ce qu’il me veut ? Un échange ? Boulevard des Capucines pour 50.000F ? Je sais que je me fais avoir, à ce prix-là, mais… Avec ça, j’aurais une nouvelle ligne de front. J’essaie de négocier – il ne veut pas descendre à moins de 45.000F. Soit. Il ne me restera plus beaucoup d’argent, après tout ça, mais soit. Dans onze cases, je reçois quelques billets. J’investie. Je touche le jackpot.
Mais pour l’instant, tout ce que je fais, c’est pouffer dans ma doublure alors que Dé à Coudre tente vainement de sortir de prison. C’était son troisième essaie – et maintenant, il paye. Tant pis pour lui, il ne va pas tarder à perdre. Complètement. C’est à moi. Les dés roulent, je les attends avec un air suffisant. Je suis sûr de moi, et j’ai de quoi : je monopolise le Monopoly. Imaginez ma personne dominant le monde du haut de la tête de la plus grande fortune planétaire. C’est un ricanement qui me sort de mon orgueilleuse rêverie. J’ai fait neuf – un quatre et un cinq. Et j’arrive sur… Taxe de Luxe ! Gloubs. 10.000F à payer… Je me rends compte, soudainement, de ma grossière erreur stratégique : Fer à Repasser avait bien calculé son coup, car je pouvais tomber sur l’Avenue des Champs-Elysées, qui lui appartenait, sur la Taxe de Luxe ou encore sur la Rue de la Paix. Or, je ne pouvais payer aucun des deux premiers, ni acheter le dernier (mais il se serait fait une joie de se l’octroyer lors de la vente aux enchères). Il me restait, en billet, six mille malheureux francs.
Six mille francs, et je dois retirer des maisons. Moins de maisons, moins de revenus, c’est bien connu. Dire que ce n’était que le début de la chute… Si j’avais pu lui faire avaler une chemise, à ce Fer ! Et Dé à Coudre qui ricanait bien, de derrière ses barreaux (oui, quand il ne faisait pas de double, il tombait sur la case « Allez en Prison ») ! Ils assistaient tous, trop heureux pour être honnêtes à la chute de leur maître Haut-de-Forme. Quelle déception, alors ! Oui, que j’étais déçu de mes concitoyens (ah, ça pour être c… !). Tour à tour, je me voyais contraint de vendre des maisons, d’hypothéquer mes terrains lorsque je ne les vendais pas à un prix dérisoire… Ou les offrais. J’ai tenu les rênes, un moment, et un instant de complaisance m’a jeté plus bas que terre alors que ceux qui se prosternaient devant moi me foulaient à présent du pied. Quelle honte, pour un chapeau de ma trempe ! Et pourtant…
Game over.
J’ai perdu. Je déteste le Monopoly, vraiment. Vous savez quoi ? Je vais aller conquérir autre chose. Marre de l’argent, marre de Paris, j’ai des ambitions, des ambitions à ma grandeur… Je vais monopoliser le trône de fer !
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