Chapitre 2
Il fallut une bonne demi-heure avec les indications de Louise pour que Victor arrive à Thorgard. La cité libre était entourée de murailles hautes qui obligeaient quiconque voulant entrer de passer par les immenses portes de la ville, encore plus hautes et imposantes que les méchas eux-mêmes. Elles étaient faites de fer forgé et de bois massif. Une fois à l’intérieur, les machines côtoyaient des bâtiments encore anciens en briques rouges qui s’élevaient dans le ciel. Par moment, quelques voitures se faufilaient entre les machines. Victor se souvenait les avoir déjà vus. Elles étaient sans doute courantes là où il venait. Louise continuait de lui donner des indications, le guidant à travers les routes pavées de la ville. Puis, elle lui demanda de stopper la machine et de le garer dans un endroit, juste à côté d’autre méchanicus. Elle sortit aussitôt, comme pressée de quitter l’étroit habitacle. Elle poussa un soupir de soulagement puis elle inspira un grand coup. Victor n’osa pas l’imiter en voyant les épais nuages marron qui s’échappaient de certaines cheminées au-dessus de la ville. L’air était vicié ici. Rien à voir avec l’air marin empli d’embruns près de la crique. Ici l’air était chargé d’odeur nauséabonde et de particules qui venaient irriter la gorge. Les fumées noircissaient par moment les magnifiques briques et dégoulinaient sur certaines toitures. Les flaques d’eau au sol présentaient d’étranges reflets colorés. L’air était pollué, Victor le sentait.
Louise le regarda un instant, puis d’un geste de la main l’invita à descendre. Il s’exécuta sans trop savoir pourquoi il le faisait. Tout était nouveau autour de lui, il ne savait pas ce qu’il venait faire dans cette ville qui lui était totalement étrangère.
« On n’est plus très loin de chez ma mère, commença Louise.
— Tu m’emmènes chez toi ? demanda perdu Victor.
— Il commence à se faire tard, c’est la meilleure solution. Enfin, sauf si tu en as une bien sûr.
— Je ne veux pas m’imposer…
— Victor, tu n’as aucun endroit où aller. Tu ne connais personne ici. Repose-toi au moins cette nuit, et demain, tu iras voir un médecin. Peut-être que lui pourra t’aider. »
Louise avait raison, Victor ne connaissait personne. Il ne se connaissait pas lui même. Il pouvait prétendre qu’il pouvait sans sortir tout seul, jouer à l’orgueilleux et se débrouiller seul, mais pour aller où ? Au mieux il trouverait un pont sous lequel dormir, et ensuite ? Rien. Il était perdu tel un enfant sans ses parents. Louise était la seule personne capable de l’aider à ce moment précis. Alors, il ravala sa fierté et il hocha sa tête en silence. Puis il suivit Louise jusqu’à un immeuble. Ils montèrent deux étages en utilisant les escaliers, puis elle ouvrit une des nombreuses portes de l’étage.
« Je suis rentrée ! »
Louise entra la première d’un pas rapide et enjoué. Victor la suivit timidement. L’appartement dans lequel elle vivait avec sa mère était rudimentaire. Un étroit couloir qui débouchait sur une pièce à vivre contenant une petite table à manger avec trois petites chaises en bois. La cuisine était située dans un coin de la pièce, et comportait le strict minimum. Enfin, au fond de la pièce, un lit avait été placé là, et dedans, une femme se trouvait là. Alitée, elle était sous quelques couvertures blanches qui contrastaient avec sa chevelure noire d’ébène. Ses yeux bleu clair venaient de s’ouvrir au moment où Victor pénétrait dans la pièce. Louise précipita au chevet de cette femme :
« Maman ! J’ai apporté plein de plantes.
— Oh, Louise, tu es un amour. »
La mère de Louise marqua un instant en regardant Victor. Elle lui adressa un sourire amical, mais qui lui tira les traits fatigués de son visage. Malgré son état, une certaine élégance et grâce se détachait de la femme.
« Qui est ce jeune homme ? demanda-t-elle à sa fille.
— Oh, je te présente Victor. Je l’ai trouvé sur la plage de la crique des baleines, inconscient. Il a fait partie du navire qui s’est échoué sur les côtés.
— Oh mon dieu, mon pauvre. Est-ce que tout va bien ?
— Oui, plus ou moins, bafouilla Victor, hormis quelques migraines et euh… Comment dire…
— Je pense qu’il souffre d’amnésie, compléta Louise, il faudrait qu’il voie le professeur Wright.
— Demain, ce soir il est trop tard.
— Je ne voudrais pas vous déranger trop Madame…
— Je t’en prie, appelle-moi Violena, intervint la mère de Louise avec un sourire. Il y a de la place pour toi ici. Au moins pour cette nuit. Demain, tu pourras voir le professeur. »
Le cœur de Victor se soulagea un peu. Au moins, il avait une solution à court terme, il n’avait plus qu’à espérer que ce professeur ait une solution pour lui.
« Je vous en suis très reconnaissant, vraiment. »
La porte de l’appartement s’ouvrit laissant apparaître une autre femme. Elle ne cacha pas sa surprise de voir autant de monde dans le salon. Ses yeux marron étaient écarquillés au possible.
« Tu as mis du temps Louise, je m’inquiétais !
— Pardon Emma, répondit d’une petite voix la jeune femme, j’ai eu quelques complications. »
Elle jeta un coup d’œil furtif à Victor et s’approcha de la femme en lui tendant les herbes.
« Tiens, ça devrait aider maman.
— Je m’en occupe. »
Louise regarda la dénommée Emma. Elle s’affairait en cuisine pour préparer une infusion avec les plantes.
« Louise, reprit d’une petite voix sa mère, tu vas être en retard. »
Louise regarda l’horloge de la cuisine dont la plus grande aiguille indiquait le chiffre six. Elle soupira et se dirigea vers une porte de la pièce.
« Je file me préparer. »
Victor la regarda partir sans dire un mot puis se retourna vers Violena. Il avait vraiment le sentiment désagréable d’être en trop. D’être un boulet inutile qui reste dans le chemin et dans lequel on se prend les pieds. Il devait dire ou faire quelque chose. Ne pas être un simple meuble dans une pièce.
Dis quelque chose bon sang ! Ne reste pas planté comme un piquet.
« Se préparer ? Elle a rendez-vous ? »
Violena haussa un sourcil face à la question, ce qui renforça d’autant plus le malaise que ressentait Victor.
« Elle ne t’a rien dit ? »
En réfléchissant un peu plus, Victor se rendit compte qu’il n’avait pas parlé plus que ça. Elle s’était contentée de lui parler de la ville, et du trajet, esquivant avec habilité toutes questions personnelles. Non, il ne se savait décidément rien d’elle. Il secoua simplement sa tête en guise de réponse :
« Louise est chanteuse, elle a un concert ce soir. »
Chanteuse ? Cela expliquait sa voix mélodieuse.
« Chanteuse ? Woah, lâcha dans un soupir d’admiration Victor. Ça a l’air incroyable.
— Tu n’as qu’à l’accompagner ce soir, tu pourras l’écouter. Et cela te changera les idées. »
Il sentait le regard d’Emma qui lui jetait quelques coups d’œil furtif. Elle devait se demander qui il était, et visiblement Violena n’avait pas prévu de lui en parler tout de suite. Et Victor n’osait pas lui demander non plus qui elle était. Une espèce de statu quo venait de se former tacitement entre eux et aucun n’avait envie de le briser.
« Je fais une assiette de plus alors ? demanda Emma à l’intention de Violena.
— Oui s’il te plaît. Il faut quand même qu’il mange quelque chose avant de se rendre là bas. Tu dois être mort de faim. »
Victor posa sa main sur son ventre, après avoir vomi ce qui lui restait il y a peu, manger semblait une bonne idée. Il espérait juste que la nourriture aurait le bon sens de rester à l’intérieur de son estomac. Il hocha doucement la tête puis, sur l’invitation de Violena, il s’assied à la table.
Alors qu’il avait commencé à manger avec Emma, Louise ressortit de la pièce en trombe. Sa robe légère virevoltait derrière elle alors qu’elle finissait de mettre ses chaussures. Victor la regardait s’agiter à ses derniers préparatifs pour parachever sa tenue qui la rendait élégante. Elle n’avait rien laissé au hasard, de sa coupe de cheveux à son maquillage, elle avait fait en sorte que tout soit parfait. Elle adressa un dernier sourire à tout le monde avant de s’éclipser en coup de vent, laissant à nouveau l’appartement plongé dans le calme.
Ce n’est que plusieurs dizaines de minutes plus tard, lorsqu’ils finirent de manger que Victor et Emma se rendirent en ville, sur la place centrale. Là où le concert devait avoir lieu. Seulement quelques mots avaient été échangés au court du voyage. Emma n’était pas du genre bavarde, et avait simplement posé quelques questions sur l’accident de Victor, sans chercher à rentrer dans les détails. Quant à Victor, il s’était contenté de répondre poliment aux questions sans chercher à en savoir plus sur Emma. Il se sentait déjà assez mal à l’aise et voulait simplement que cette journée se termine. Il ne savait même pas pourquoi il se rendait à ce concert. Ses jambes avaient décidé toutes seules de se rendre là-bas, sans qu’il comprenne pourquoi.
Lorsqu’il vit la foule qui se formait sur la place, il regretta d’autant plus son choix. Vraiment, il aurait préféré être dans un lit, et s’endormir pour se réveiller le lendemain et voir que tout ceci n’était qu’un rêve. Il se laissa tirer par Emma qui l’emmena plus proche de la scène montée spécialement pour l’occasion.
Le concert démarra alors que la nuit était déjà bien entamée et que la place était éclairée par les éclairages publics de la ville. Lorsque Louise et son groupe firent enfin l’apparition, une clameur populaire s’éleva au-dessus de la foule. Ils étaient populaires, très populaires. Après quelques banalités échangées, Louise commença à chanter, accompagnée de quatre autres personnes. Victor reconnut Basile et Maxime. Basile était à la contrebasse, tandis que Maxime était au fond derrière sa batterie. Avec eux, une femme, grande et mince à la longue chevelure blonde impeccable. Elle portait une longue robe de très belle facture ainsi qu’un petit chapeau haut de forme en feutrine et dentelle. Elle était à la guitare, ses doigts fins parcourant avec vitesse et élégance le manche de la guitare. Et enfin, un autre homme, bien moins coloré que ses comparses, il était vêtu d’un long manteau en cuir noir qui tombait jusqu’à ses genoux et venait couvrir un pantalon tout aussi sombre. La seule touche de couleur venait de sa chemise bleue électrique qui contrastait vivement avec le reste de sa tenue. Il était lui aussi à la guitare, mais son style était aux antipodes de l’autre guitariste. Chaque accord était sec, et chaque mouvement qu’il accomplissait était rapide et nerveux. Par moment, il profitait d’une petite pause pour remettre ses courts cheveux noirs en place.
Et enfin, il y avait Louise. Sa voix était une douceur aux oreilles de Victor. L’espace d’un instant, d’une chanson, il oublia tout. Son amnésie, ses doutes, ses peurs, il ne restait plus que la musique du groupe de Louise qui résonnait jusqu’au plus profond de son être. Plus rien n’existait autour de lui, il était dans un autre espace temps, un autre monde qui l’apaisait. Et il croisa le regard de Louise, qui malgré la foule l’avait vu. Et le sourire qu’elle lui adressa arracha un sincère et grand sourire à Victor. Ce n’était peut-être pas si mal d’être venu, se dit-il. L’espace de quelques chansons, il avait été apaisé.
Lorsque la musique se stoppa, le retour à la réalité fut des plus brutal. Alors que petit à petit la foule quittait les lieux, il se posa sur un des bancs à proximité de la place fixant les points lumineux qui parcouraient le ciel. Des milliers de questions se bousculaient dans son esprit sans qu’il trouve une réponse.
« Tu t’es amusé ? »
Louise se tenait non loin de lui, un sourire accroché aux lèvres. Elle avait enfilé un petit manteau pour se couvrir alors que la température ne cessait de chuter au fur et à mesure de l’avancée de la nuit.
« Oui, tu chantes bien. »
Elle tendit une petite bouteille de bière à Victor qui la prit, non sans lancer un regard interrogateur à la jeune femme.
« Je me suis dit que tu en avais besoin. »
Il remarqua qu’elle en tenait une aussi, et elle s’assied à côté de lui. Un petit silence s’installa entre eux. Victor voyait bien qu’elle cherchait ses mots face à lui. Finalement, après quelques minutes d’un silence gênant, elle demanda d’une petite voix :
« Tu tiens le coup ?
— Pas vraiment, je suis complètement perdu. J’ai cette sensation affreuse d’être un étranger pour moi même… J’aimerai te dire que je sais pourquoi je suis venu ici, pourquoi j’ai pris ce bateau rempli de méchas, mais je n’ai aucune idée. Absolument aucune.
— Tu te rendras demain chez le professeur, si quelqu’un peut t’aider, c’est lui.
— J’espère que tu as raison.
— J’aimerais t’accompagner, mais je dois partir vers Neokorr. Nous avons d’autres concerts à faire.
— Woah, tu es une vraie star. »
Louise eut un rire gêné.
« Je ne suis pas sûre, ma mère oui. Elle fut une grande star. Une immense star, tu aurais dû l’entendre chanter…
— Elle est malade depuis longtemps ?
— Quelques années oui. Heureusement, Emma est là pour s’occuper d’elle. Avec tous les concerts, c’est compliqué… Elle s’occupe bien d’elle et au moins elle n’est plus seule.
— Oui, elle est déjà repartir la voir.
— Elles sont plutôt proches. »
Victor porta à sa bouche sa bouteille de bière et but quelques gorgées en regardant au loin la place quasiment vide. Il ne restait que les membres du groupe de Louise qui rangeait leurs affaires dans leur mécha respectif. L’un d’eux retient particulièrement l’attention de Victor, un mécha d’un bleu éclatant. Sa couleur était semblable à celle du mécha qui l’avait attaqué sur la plage, il s’en souvenait.
Ce pourrait-il que ?
Le guitariste du groupe monta dans son mécha et démarra la machine avant de quitter les lieux. Victor resta un moment à le regarder partir. Est-ce qu’il ne rêvait pas, est-ce que c’était réellement la même couleur ? Peut-être que c’était lui qui l’avait attaqué sur la plage ? Ou alors une autre machine, avec la même couleur, après tout il n’était peut être pas le seul à posséder un mécha bleu.
« Victor ? »
Il sortit de sa rêverie et regarda Louise qui fronça doucement les sourcils, lui donnant une mine boudeuse.
« M’as-tu écouté ?
— Euh… Non, désolé…
— Ce n’est pas grave, reprit Louise en riant, j’imagine que t’es fatigué, tu dois vouloir te reposer plutôt que m’écouter me plaindre de ce concert.
— À qui est ce méchanicus bleu ? demanda-t-elle.
— À Florian, notre guitariste. Pourquoi ?
— Pour savoir. »
Florian… Si je n’ai pas rêvé et que c’est bien la même couleur. Pourquoi il nous aurait attaqués ? Est-ce que cela a quelque chose à voir avec moi ? Ou bien Louise ?
« On ferait mieux de rentrer, conseilla Louise, tu sembles fatigué. Et tu dois sans doute avoir besoin de repos. »
En effet, Victor n’était pas contre un peu de sommeil. Rien qu’un tout petit peu pour se reposer, et avoir enfin les idées claires. Il se dépêcha de finir sa bouteille de bière pour vite rentrer et se laisser tomber dans un sommeil sans rêve qu’il espérait réparateur. En s’endormant, il n’espérait qu’une chose, que demain soit un autre jour, et qu’il trouve des réponses à ses questions.
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