Chapitre 12
« Pas mal ton combat Victor. »
Victor leva les yeux au ciel en entendant la voix de Florian. Il retira ses lunettes de pilotage et se tourna pour faire face au jeune homme qui venait de rentrer dans le vestiaire de l’arène. Cela faisait maintenant quelques jours qu’il avait commencé à combattre dans l’arène de Neokorr. Il avait gagné quelques combats et quelques sous en plus. Mais il devait supporter la présence de Florian qui se montrait étrangement amical à son goût. Victor ne le supportait pas. Il savait au fond de lui qu’il jouait un double jeu :
« Merci. »
Il avait lâché un remerciement aussi froid que les nuits dans le désert de Sham’ra. Pour autant, Florian ne fut pas découragé et continua de lui parler :
« Tu vas vite monter dans cette compétition. On se battra peut-être. »
Tu n’attends que ça…
« Louise est au courant que tu fais des combats ?
— Je n’ai pas besoin de sa permission, soupira Victor. Je suis un grand garçon. »
Non, il ne lui avait pas encore dit. Il n’avait ni trouvé les mots ni le temps. Lorsqu’il la voyait, il préférait éviter ce sujet, tout comme ses questions à propos de Connor. Les quelques soirs qu’il pouvait passer avec elle étaient précieux, et il ne voulait pas les gâcher par une dispute idiote ou par un mot mal placé. Il lui dirait en temps voulu. Pour l’instant, il voulait profiter de chaque instant avec elle :
« Tu vas les voir ce soir ? demanda une nouvelle fois Florian.
— Oui, répondit Victor en hochant de la tête. Tu viens aussi ?
— J’ai quelque chose à demander à Louise.
— Quoi donc ?
— Un service, j’aimerais qu’elle me construise quelque chose.
— Tu perds ton temps Florian. Louise ne construit plus rien.
— Qui ne tente rien n’a rien. »
Victor soupira longuement. L’idée de faire la route et de passer la soirée avec Florian ne l’enchanter guère. Mais Victor prit soin de ne montrer aucun autre signe d’agacement. Il finit de se changer et prit ses affaires pour rejoindre son méchanicus. Sa machine avait subi quelques changements, mais rien d’incroyablement visible. Le coffrage était plus robuste et Victor avait installé une lame rétractable sur son bras droit. Il avait aussi allégé de quelques dizaines de kilos certaines parties de son mécha pour pouvoir le déplacer plus facilement. Il commençait doucement à prendre forme, et cela ne se voyait pas encore qu’il l’utilisait pour des combats. Au moins, Louise ne se doutait pas encore de ce qu’il faisait.
Quelques minutes plus tard, il se rendit à l’hôtel où avait l’habitude de jouer le groupe de Louise. Comme souvent, la salle de réception était noire de monde venu les écouter. Victor et Florian réussirent à avancer malgré la foule jusqu’au bar où ils commandèrent chacun un verre. L’avantage, c’est qu’avec la musique Florian était trop occupé à écouter pour parler à Victor, ce qui lui convenait parfaitement. Ce dernier buvait tranquillement son vin en regardant autour de lui. Il avait chaque fois l’impression que la salle était plus remplie que la fois précédente. Mais surtout, cela faisait plusieurs soirs qu’il remarquait des gens étranges parmi la foule. Des hommes en costume noir et à la mine patibulaire. Victor ne pouvait s’empêcher de les trouver louches pour une raison qui lui était inconnue. Il passait chaque soir de longues minutes à les regarder pour savoir ce qu’ils venaient faire ici. En vain.
Mais ce soir-là, ils étaient plus nombreux que les fois d’avant. Victor en était persuadé. Il était cinq au fond de la salle à regarder Louise et son groupe jouer.
Qu’est ce qu’ils font ici ?
L’un d’eux tourna la tête vers Victor, et leurs regards se croisèrent. Victor resta un long moment à soutenir le regard de l’homme. Quelque chose le dérangeait chez lui.
Je l’ai déjà vu quelque part… L’armée ?
Il était plus vieux que lui. Victor lui aurait donné un âge au moins dans la quarantaine. Notamment, à cause de ses cheveux noirs qui étaient parsemés de cheveux gris. Pour ne rien arranger à son portrait, des cicatrices parcouraient son visage le rendant sinistre et menaçant. Mais le pire, c’était son regard. Ses yeux noirs ne quittaient pas des yeux Victor. Est-ce que l’homme le connaissait aussi ? Où s’étaient-ils rencontrés ? Est-ce que Victor devait aller le voir ?
Non. Il ne devait pas. Il se retourna pour ne plus le regarder et finit son verre. Il se concentra de nouveau le concert qui se termina sous une pluie d’applaudissements. Encore.
Victor se leva de son tabouret pour aller voir Louise avec Florian. Lorsqu’elle vit les deux hommes, elle leur adressa un large sourire :
« Vous êtes venu !
— Bien sûr, vous avez assuré ce soir, lâcha Florian dans un sourire.
— On essaye. Ça faisait longtemps Florian.
— Oui, j’ai pas mal de choses à faire, d’ailleurs je voulais te demander quelques choses.
— Ah bon ? »
Victor aperçut derrière Louise l’homme étrange qui se dirigeait vers la sortie. Au final, il était juste venu voir le concert avant de repartir. Peut-être que Victor était simplement paranoïaque. Il reporta alors son attention sur la discussion de Florian et de Louise :
« J’aurai besoin de ton aide pour construire quelque chose. »
Louise leva les yeux au ciel et soupira :
« Demande à Wright.
— Il ne fait plus rien ! Tu le sais aussi bien que moi.
— Qu’est ce que tu veux construire ?
— Un truc révolutionnaire. Une guitare qui serait raccordée à un micro, et dont on pourrait modifier le son. Tu sais, le même micro que ceux utilisés par les speakers dans l’arène !
— Très bien. Tu sembles avoir une bonne idée en tête. Fais-le.
— Moi ? S’offusqua Florian. Mais j’en suis incapable !
— Alors, demande à Pierre, il construit des instruments !
— Traditionnel. Celui-là est tout nouveau. Et je sais que tu arriveras à le faire.
— Je n’ai pas construit quelque chose depuis fort longtemps Florian. Et je n’ai pas le temps.
— S’il te plait Louise, supplia une nouvelle fois Florian, tu es la seule que je connaisse qui puisse le faire. »
Devant les supplications de Florian, elle céda :
« Très bien, je verrais.
— Je t’adore.
— Ouais ouais… »
L’idée n’emballait clairement pas Louise qui se dirigea vers le bar pour boire un coup elle aussi. Le reste du groupe l’imita pour boire aussi un verre. Tout le monde s’assit au bar et commença à discuter chacun de son côté. Florian racontait ces dernières expérimentations musicales avec Maxime et Basile, tandis que Sybile et Louise discutaient avec Victor :
« Alors Victor, commença Sybile, tu te plais à Neokorr.
— Oui, c’est différent des autres villes, mais oui. Je me plais. J’ai trouvé de quoi faire.
— Tant mieux, répondit la jeune femme. J’imagine que ça doit être dur pour toi de ne pas te souvenir de ta propre vie.
— Ouai, pas grand-chose n’est revenu, mais… On fait avec.
— Je suis sûre que tout cela va te revenir, intervint Louise, tu retrouveras tous tes souvenirs.
— J’ai vu ton méchanicus, continua Sybile, il est vraiment en bon état ! Visiblement, tu investis bien l’argent des combats. »
Louise se tourna vers Sybile avec une mine d’incompréhension tandis que le visage de Victor se décomposa aussitôt. Est-ce qu’elle avait vraiment dit ça ? Venait-elle de dire à Louise que Victor participait aux combats ? Et puis comment savait-elle ? En voyant le visage de Victor, Sybile comprit son erreur :
« Oh merde… lâcha-t-elle dans un soupir.
— Tu fais des combats de méchanicus ? demanda Louise à Victor.
— Hein ? Euh… Je vais reprendre à boire, je crois.
— Victor. »
Il n’avait aucun moyen d’échapper au regard noir de Louise. Il était foutu, il le savait. Il fallait qu’ils aient cette discussion maintenant. Cela ne lui plaisait vraiment pas, surtout ici devant le reste du groupe :
« On peut en parler dehors ? lui demanda Victor. »
Louise hocha la tête et alla d’un pas rapide et énerver dehors. Une fois la prote d’entrée refermée elle croisa les bras et commença à parler d’une voix rapide et forte :
« Tu es fou ? Tu fais des combats de méchanicus ?
— Écoute, ce n’est pas si grave enfin.
— Si. Tu sais combien de personnes meurent dans les combats de méchanicus chaque année?
— Ce n’est pas pire que le nombre de gens qui meurent tués en dehors des cités. Je sais mes limites Louise. Je ne suis pas mauvais à ça, et puis ça me permet d’avoir de l’argent.
— Si l’argent est vraiment un problème alors —
— Je te vois venir, intervint Victor, et c’est nom. Je refuse de te demander de l’argent. Tu dois le garder pour ta mère. J’aime ce que je fais Louise. C’est tout.
— Tu vas te tuer.
— Pourtant ce n’est pas ce qui a tué Connor. Il n’a pas eu besoin d’un combat pour mourir. »
Victor avait touché une corde sensible. Louise perdait peu à peu son aplomb :
« Ce n’est pas tes affaires, siffla Louise. Et c’est un méchanicus qui l’a tué.
— C’est juste une machine. J’ai fait la guerre Louise, et crois-moi, un fusil est aussi dangereux qu’un méchanicus.
— Tu ne comprends pas. Mon père est mort en pilotant un de ces engins contre l’Empire. Mon fiancé est mort écrasé par l’un d’eux. J’en ai plus qu’assez de voir les gens que j’aime mourir à cause de ces satanées machines.
— Ton père a fait son choix. Et Connor était un accident, tu le sais. Il aurait pu mourir à cause d’un train ou autre. Et je ne suis pas Connor. C’est dramatique ce qui lui est arrivé, mais ça ne va pas dire que je vais subir le même sort. Je sais que c’est dur d’avancer Louise. Que ça fait mal. Mais un moment donné, il faut que tu te poses la question. »
Louise demeurait silencieuse alors qu’il approchait d’elle :
« Es-tu vraiment heureuse maintenant que tu as renoncé à tout ? »
Elle ne répondit pas se murant dans un silence oppressant :
« Je me doutais de la réponse, soupira Victor. Je n’ai pas envie de m’apitoyer sur mon sort. De penser à mon amnésie et à mon passé. S’il ne revient pas, il faudra bien que je vive avec. Alors, autant commencer maintenant et mener la vie qui me plaît ici. J’espérais juste que tu comprendrais Louise. Car je pense qu’on est pareil, toi et moi. »
Louise fixait le sol devant elle pour ne pas croiser le regard de Victor. Elle lâcha finalement d’une voix froide :
« Non, tu te trompes. On n’est pas pareil. »
Louise ne laissa pas à Victor le temps de répondre et rentra aussitôt à l’hôtel. Victor se décida à ne pas la suivre et préféra reprendre son mécha pour marcher. Quelle soirée… Tout ça à cause de Sybile. Pourquoi s’était-elle sentie obligée de parler de ça ? Et comment savait-elle pour les combats de méchanicus ? Elle l’avait vu ?
Victor était trop fatigué et en colère pour essayer de trouver une réponse à cette question. Une fois à son hôtel, il s’allongea sur son lit en lâchant un grognement de colère. Alors qu’il voulait s’endormir, le téléphone de sa chambre sonna. Il hésita un instant à ne pas répondre, mais au bout de plusieurs secondes, il décrocha :
« Allô ?
— Victor, c’est Sybile. »
Bah super. Magnifique conclusion d’une soirée incroyablement nulle.
« Oui ?
— Je voulais m’excuser d’avoir parlé à Louise des combats. »
Victor soupira. Elle ne pensait pas à mal, c’était évident. Elle avait sans doute été dépassée par les événements. Victor n’arrivait pas à lui en vouloir :
« Tu ne pouvais pas savoir, répondit Victor, je ne t’en veux pas. Mais comment est ce que tu savais pour les combats ?
— Je t’ai vu une fois à l’arène. Je suis tellement désolée, j’aurais dû t’en parler avant… Quelle idiote ! J’aurais dû me douter de la réaction de Louise. »
Il soupira de nouveau. La situation était des plus déplaisantes pour lui. Au fond de lui, il était passablement énervé par Sybile et ses révélations, mais il savait que c’était idiot de penser ainsi. Elle semblait sincèrement désolée, en tout cas au téléphone. Face au silence de Victor, elle lui adressa un dernier conseil :
« Laisse-lui du temps. Louise est du genre impulsive, mais elle se rend souvent vite compte de ses erreurs. Elle reviendra.
— Si tu le dis.
— Tu verras. Bonne nuit Victor. »
Il raccrocha le téléphone et le regarda un instant alors qu’il se plongeait dans ses pensées. Pourquoi l’avait-elle appelé au juste ? Elle se sentait peut-être vraiment désolée, mais la discussion n’avait pas été incroyable, ni vraiment importante. Peut-être voulait-elle simplement faire une bonne impression à Victor. Dans tous les cas, cela ne l’avait pas vraiment avancé. Alors, il se coucha sur son lit en fixant son plafond. Il sentait son cœur lourd de regrets et de remords. Il aurait dû mieux se comporter avec Louise, être plus compréhensif.
Il secoua doucement sa tête
Non, j’ai le droit de faire ce que je veux. Louise n’a pas à me dire quoi faire. C’est ma vie. Et il est temps que je fasse ce que je souhaite. Seul s’il le faut.
Victor n’avait peut-être pas encore retrouvé ses souvenirs oubliés, mais il avait un avenir proche qui se dessinait devant lui. Et cela le rassurait. Qu’importe ce qu’il s’est passé, maintenant il pouvait envisager un futur ici, dans les Cités Libres.
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