Chapitre 15
Victor n’avait réussi à dormir que pendant quelques maigres heures sur les bancs de l’hôpital. C’était des bancs sommaires faits de bois et sans doublure ni coussins. Rien que le fait de s’asseoir plus d’une heure lui faisait mal au dos. Il aurait dû rentrer à son hôtel, au moins il aurait eu un bon lit moelleux. Mais il avait eu pitié d’Elanor et n’avait pas voulu la laisser seule ici.
Ma bonté me perdra.
Au final, il ne savait toujours pas pourquoi il faisait cela. Pourquoi l’aidait-il au juste ? Il n’avait qu’à tourner les talons, et refuser de l’aider, ainsi Guillaume ne serait plus de ce monde et Louise serait en sécurité. Non, il ne parvenait pas à se résoudre à faire ça. Une petite voix au fond de lui répétait en boucle qu’il ne devait pas faire ça. Il n’était pas comme ça. Il ne sentait pas meurtrier ou égoïste. D’autant plus qu’il y avait une chance pour qu’Elanor dise la vérité. Peut-être que Guillaume et lui étaient réellement de bons amis. Et on ne laisse pas un ami dans le besoin. Du moins, Victor le pensait. Rester à voir s’il avait raison de faire ça ou non.
Pour l’heure, tout ce qu’il pouvait faire, c’était attendre et regarder les personnes défiler devant lui dans l’espoir de voir le père de Guillaume. Il ne savait même pas ce qu’il devait dire pour le convaincre.
Il va nous prendre pour des fous. En tout cas, moi je nous trouverai fous.
« Docteur Hunter. »
Victor se redressa en entendant le nom. Un homme était rentré dans le hall et s’était fait interpeller par la réceptionniste. Il était petit et presque voûté sous le poids des années des passent. Il avait de courts cheveux noirs qui étaient plaqués et qui dessinaient une raie au milieu de son crâne. Une coiffure impeccable, aucun cheveu ne dépassait. Victor donna un petit coup de coude à Elanor pour la tirer de son sommeil. Elle grommela et peina à ouvrir ses yeux, même un seul.
« Qu’est-ce qu’il y a ?
— C’est lui. »
Le docteur Hunter était en train de discuter avec la réceptionniste quand celle-ci les pointa du doigt. Il se retourna pour leur faire face, ses deux yeux verts inspectaient les deux jeunes gens sur les bancs. Il s’approcha doucement vers eux. Il avait une démarche guindée avec son imperméable impeccable, ses deux petites lunettes en demi-lune, et sa sacoche en cuir neuve. Lui et Victor étaient clairement de deux mondes différents. Il ne put s’empêcher de réajuster comme il le pouvait sa chemise blanche et son veston pour avoir l’air un peu plus propre. Sa nuit passée à l’hôpital avait froissé l’ensemble de son beau costume qu’il avait sorti pour l’occasion.
« Docteur Hunter, commença Victor, je m’appelle Victor.
— Vous souffrez d’amnésie ? demanda-t-il sans détour.
— Oui…
— Qui vous a dit que je pouvais vous aider ?
— Personne, mais —
— Je ne suis pas spécialisé pour ça, intervint le docteur, je suis désolé de ne pas pouvoir vous aider. »
Il commença à se retourner pour prendre son service :
« Attendez ! reprit Victor, on a besoin de votre aide.
— Désolé, mon garçon, soupira le docteur, mais je ne peux pas vous être d’une grande aide.
— C’est à propos de Guillaume. »
Le docteur écarquilla les yeux, puis il jeta des coups d’œil autour de lui pour être sûr que personne n’avait entendu ce que venait de dire Victor. Mais personne ne prêtait attention à leur conversation. Les autres membres du personnel vaquaient tranquillement à leurs occupations sans soucier du trio qui se trouvait à l’entrée de l’hôpital. Le docteur Hunter se rapprocha de Victor et murmura :
« Qu’est-ce que vous avez dit ? »
La voix du docteur trahissait son stress :
« On connaît Guillaume, reprit Victor. Il a besoin de votre aide. »
Le docteur plissa les yeux. Il était évident qu’il se méfiait de Victor et d’Elanor.
« Vous mentez, répondit le docteur. Mon fils n’est plus ici de toute façon.
— Il a rejoint Eos. Je sais, expliqua Victor, mais il a récemment fait le trajet inverse pour revenir ici après avoir fui l’Empire.
— Monsieur, intervint Elanor, votre fils est gravement blessé, il a besoin de vous.
— Blessé ?
— On a fait la traversée avec lui, reprit Victor, mais notre bateau s’est échoué le long des côtes.
— Vous faisiez partie du Condor ? »
Ils hochèrent tous les deux de la tête pour répondre au docteur.
« C’est pour cela que je suis amnésique, j’ai dû avoir un choc sur le bateau, et j’ai en partie perdu la mémoire.
— Et votre fils a été salement amoché, il tiendra plus longtemps, expliqua Elanor, on a besoin de vous.
— Beaucoup de gens en veulent à mon fils, comment savoir que vous me dîtes la vérité et que vous ne voulez pas simplement lui tendre un piège grâce à moi. »
Elanor fouilla dans la poche de son pantalon et sortit une petite pierre précieuse rouge. Elle le tendit au docteur dont le regard s’illumina. La pierre ne laissa pas non plus Victor indifférent. Il avait l’impression de l’avoir déjà vu lui aussi :
« C’est le pendentif que je lui ai offert…
— Il m’a dit qu’avec ça, vous nous suivriez. »
Le docteur prit doucement le collier entre ses mains et le regarda longuement sans doute en se repassant des souvenirs dans sa tête.
« Très bien. J’accepte de vous faire confiance.
— Alors on devrait partir tout de suite, conseilla Elanor, j’ignore dans quel état se trouve Guillaume.
— On peut prendre le train pour rejoindre la Baie. Je peux payer vos places. »
Victor hésita longuement à rebrousser chemin et à les laisser rejoindre Guillaume sans lui. Mais il avait là une chance de voir Guillaume, de voir si ce que disait Elanor était vrai. Peut-être allait-il avoir des flashs, des souvenirs qui remonteraient enfin à la surface. Et si ce n’était pas le cas, si Elanor lui avait menti, alors il songerait peut-être à réfléchir à l’offre de Chamberlain. Car après tout si elle mentait, si Guillaume n’était pas son ami alors il pourrait le tuer et ainsi l’empire laisserait Louise tranquille.
Le fait de penser à cette éventualité provoqua une sueur froide à Victor. Est-ce qu’il était capable de faire ça ? Il en doutait, mais il serait vite fixé.
« Je vous rejoins plus tard, expliqua Victor, je dois voir quelqu’un. »
Je dois voir Louise avant de partir. Je ne peux pas partir comme ça.
Malgré les protestations d’Elanor qui expliquait qu’ils n’avaient pas le temps pour ça, Victor se dirigea vers l’hôtel où résidait Louise. Lorsqu’il entra dans la salle, Louise était en pleine répétition avec son groupe. Il n’avait pas vraiment le temps d’attendre qu’elle finisse alors il lui fit signe de loin de venir le rejoindre à l’entrée. Elle s’éclipsa alors rapidement de la répétition pour le rejoindre.
« Victor ? Tout va bien ? »
Cela devait se voir sur son visage qu’il était fatigué. Il avait pu dormir et porter encore ses vêtements de la veille.
Je dois vraiment être pitoyable aujourd’hui…
Il n’avait pas vraiment le temps de se lamenter sur sa tenue et sa fatigue, Elanor et le docteur Hunter l’attendaient à la gare :
« Je dois partir en urgence à la Baie de Lotan, Elanor a besoin de mon aide.
— Tu n’as pas dormi, pas vrai ?
— Non, répondit-il avec un rire gêné, pas vraiment. Et je dois partir. Je suis désolé, c’est vraiment important.
— OK… »
Victor se doutait bien qu’elle suspectait quelque chose, elle n’était pas idiote. Elle devait se douter qu’il ne lui disait pas tout, et pourtant elle ne posa pas d’autres questions. Victor jeta un coup d’œil aux alentours, comme pour s’assurer que ni Chamberlain ni ses hommes n’étaient dans le coin. Il se mordit la lèvre, regrettant déjà ce qu’il allait dire :
« Louise, je veux que tu me promettes un truc. »
Elle haussa les sourcils, surprise par la demande de Victor. Elle n’avait sans doute aucune idée de ce qu’il allait lui dire. Elle devait même le trouver bizarre. Tant pis :
« Quoi donc ? »
Il la prit soudainement dans ses bras. Louise ne savait pas comment réagir et resta les bras ballants sans doute à se poser un millier de questions. Victor avait fait sans instantanément sans se poser de questions, et il regrettait déjà son geste qu’il ne pouvait expliquer. Mais au moins, il pouvait lui murmurer son avertissement sans que quelqu’un entende :
« Méfie-toi de tout le monde Louise, Eos est déjà dans les Cités Libres.
— Comment tu le sais ?
— Mon commandant se trouve ici, à Neokorr. C’est lui que j’ai vu au restaurant. Il te cherche. »
Louise agrippa doucement la veste de Victor. Il savait qu’elle allait avoir peur, mais il voulait s’assurer qu’elle reste sur ses gardes, juste au cas où.
« Ne dis rien à personne, lui conseilla Victor.
— À personne ?
— Je ne suis sûr de rien, mais ils ont peut-être des contacts ici, des informateurs. Je sais juste qu’ils te cherchent.
— Tu pars à cause d’eux ?
— En quelque sorte, je veux juste trouver une preuve de ce que j’avance. Mais je serais de retour assez vite. En attendant, reste sur tes gardes. »
Elle se défit de l’accolade de Victor pour le regarder. Il fut surpris de ne voir aucune peur dans les yeux de Louise, elle devait le prendre pour un fou sans doute. Il aurait voulu lui dire plus. Parler de Guillaume ou de Florian, mais sans preuve elle n’allait pas le croire. Il le savait. Mais ce n’est pas grave. Il reviendrait avec des preuves, et ainsi, il pourrait tout lui dire.
« Appelle-moi là-bas, OK ? demanda Louise.
— Je le ferais. On se voit bientôt. »
Il lui adressa un dernier sourire avant de repartir dehors prendre son méchanicus. Alors qu’il sortit, il jeta un coup d’œil à travers les vitres de l’hôtel. Elle faisait comme si de rien n’était, et était repartie jouer avec son groupe alors que Basile râlait encore. Sans doute, car ils avaient été interrompus par Victor, encore. Il espérait que cela suffirait et qu’elle serait prudente.
Faites que la menace de Chamberlain soit du vent…
Le cœur serré de la laisser seule ici, il se dirigea vers la gare pour rejoindre Hunter et Elanor. Le docteur s’était déjà occupé des billets, et pour la première fois, Victor put prendre le transcité. Les bancs du train ne le changeaient pas des bancs de l’hôpital, ils étaient tout aussi inconfortables, mais apparemment c’était normal quand on prenait des billets économes. Victor n’en tenait pas rigueur, il était bien trop occupé à voir le paysage magnifique défilait sous ses yeux :
C’est incroyable…
La vitesse à laquelle le train les faisait avancer le laisser sans voix. Il voyait tout ce paysage merveilleux sans bouger un seul petit doigt. Il était absolument émerveillé, et il comprenait mieux désormais l’enthousiasme de Louise concernant cette technologie incroyable. À force de regarder, le paysage défilait sous yeux, il sentait que ses paupières devenaient lourdes, très lourdes. Et sans s’en rendre compte, il sombra doucement dans un sommeil profond.
Il fut réveillé des heures plus tard lorsque le train atteignit la gare de la Baie de Lotan. Elanor lui avait donné un petit coup de coude pour se venger de son réveil matinal. Il avait simplement lâché un grognement avant de se lever de sa place. Il n’aurait jamais dû s’endormir, il était encore plus fatigué qu’avant. Il sortit de la gare en traînant les pieds. Il voulait dormir, tout son corps et son esprit lui rappelaient chaque seconde qu’il manquait de sommeil. La lumière du soleil qui brillait fort au-dessus de la Baie l’acheva. Il fut obligé de plisser les yeux pour voir quelque chose. La Baie de Lotan était bien différente de Neokorr. C’était avant tout de chose un port qui bouillonnait d’activité. D’immenses navires manœuvraient dans la Baie pour décharger leur marchandise avant de repartir vers d’autres contrées. Le Condor aurait dû être parmi eux. Victor suivit Elanor qui les conduisait en dehors du centre-ville. Les beaux quartiers laissaient place à de véritables bidonvilles où l’odeur de la crasse se mêlait à celle des fientes de mouettes. Les marins dormaient par fois à même le sol avec les rats pour seuls compagnons. Cette odeur et cette crasse de bon matin auraient pu faire vomir Victor s’il avait mangé quelque chose avant de venir. Elanor, au contraire, n’était pas gênée par l’odeur. Elle avait dû avoir l’habitude si elle se cachait ici avec Guillaume. Elle se faufila dans les rues étroites et sinueuses faisant fi des regards intrigués qui se posaient sur eux, puis elle ouvrit une porte branlante d’un cabanon décrépi.
Elle poussa un soupir de soulagement :
« Tu vas bien. »
Elle s’assied sur un lit qui devait contenir à l’intérieur plus de petits habitants que la rue tout entière. Sur le lit, un jeune homme de l’âge de Victor. Il était fiévreux et sué à grosse goutte. Sa voix était faible et chevrotante :
« J’ai cru que tu ne reviendrais jamais, Elanor.
— J’ai ramené ton père, il va te soigner.
— Par la lumière… Guillaume... que t’est-il arrivé ?
— Plus tard les questions… Soigne-moi… »
Guillaume avait un bandage de fortune sur son œil gauche, mais son œil droit fixait Victor. Il semblait avoir du mal à différencier les formes qui l’entourait.
« Je dois vraiment délirer, soupira Guillaume, je crois voir Victor…
— C’est lui, répondit Elanor, il est en vie. »
Guillaume se redressa comme il le pouvait pour s’asseoir sur son lit :
« Victor ? reprit-il le souffle court. Tu es en vie !
— On dirait, en tout cas plus que toi. »
Guillaume laissa échapper un rire douloureux :
« Ne me fais pas rire, soupira-t-il, j’ai mal aux cotes.
— Reste tranquille Guillaume, je dois voir tes blessures.
— Tu vois ? demanda Elanor à l’attention de Victor, je ne t’ai pas menti. Tu le connais. »
Victor ne répondit pas. C’est vrai, Guillaume l’avait reconnu, et pourtant son visage n’avait provoqué aucun souvenir. Peut-être qu’il était trop amoché, trop faible et trop différent de ses souvenirs. Est-ce que c’était vraiment lui Guillaume ? Celui qui avait tué Connor ? Qu’Eos recherchait ? Celui que craignait l’empereur ?
Il est pathétique dans cet état…
Guillaume était tellement blessé qu’il était seulement dangereux pour lui-même.
« Tu as de sales blessures, commença le docteur. À commencer par ton œil. Il est définitivement perdu.
— Je m’en doutais.
— J’ai essayé de le soigner, expliqua Elanor, mais j’ai juste quelques notions.
— C’est déjà du beau travail. Je vais nettoyer ses blessures et lui donner de quoi combattre l’infection. Ensuite, seule la lumière pourra l’aider.
— Un médecin qui remet la vie de ses patients dans les mains de la lumière, soupira Victor, vous êtes de l’Empire ?
— On peut vivre dans les Cités Libres et avoir la foi. Le progrès et la foi ne sont pas incompatibles.
— Gardez vos discours pour quand l’Empire écrasera vos cités. Je suis sûr que ça vous plaira.
— Victor, intervint d’une voix faible Guillaume, il faut prévenir les cités de ce qu’on sait sur l’empire et trouver Louise —
— Il l’a déjà trouvé, soupira Elanor. Si tu cherches Louise, regarde dans le lit de Victor. »
Il toisa Elanor d’un regard noir :
« Mais quelle…
— C’est vrai ? demanda Guillaume.
— Je ne couche pas avec elle, rétorqua Victor. Et même si c’était le cas, je ne vois pas le problème.
— Le problème c’est qu’elle est sans doute le contact d’Eos ici ! »
Et c’est reparti. Bon sang, elle ne veut pas lâcher l’affaire.
« Vous avez tous fumé, soupira Victor, elle ne peut pas être le contact d’Eos, c’est impossible.
— On a vu son nom sur les plans de Chamberlain, expliqua Guillaume, tu as oublié ?
— Oui, j’ai oublié, répondit Victor. J’ai tout oublié. Je ne sais pas qui je suis ni qui tu es toi. À part un meurtrier qui a tué le fiancé de Louise.
— C’était un accident…
— Bien sûr, soupira Victor. Je ne vois pas pourquoi je devrais te croire. Tu n’es personne pour moi. »
Guillaume poussa son père et se mit difficilement sur ses deux jambes, il regarda alors en fronçant les sourcils Victor :
« Comment tu peux dire ça ? On a été ensemble dans l’armée, on a tous connu ensemble ! C’est toi qui m’as dit de venir ici, de prévenir les Cités libres de l’invasion de l’empire. D’affronter mon passé, d’assumer mes actes ! Et là, tu me dis que tu as tout oublié ? Tu te fous de moi ?
— Non, j’ai réellement tout oublié. »
Victor voyait bien que ses réponses étaient comme des poignards dans le cœur de Guillaume. Mais il ne pouvait rien faire. Rien n’était revenu en le voyant, rien du tout. C’était un simple étranger pour lui. Il aurait aimé que ce soit différent, mais ce n’était pas le cas. Le docteur prit son fils par les épaules et le força doucement à se rasseoir.
« Doucement Guillaume ne force pas trop sur tes blessures. »
Il grogna, mais il finit par se rasseoir. Cependant, il continua de regarder Victor de son œil valide. Ce qui mit le jeune homme mal à l’aise. Il se sentait coupable d’être comme ça, mais il voulait seulement protéger Louise.
« Louise n’a rien à voir avec ça, reprit Victor, elle est innocente. Alors, laisse-la tranquille.
— Tu sais quelque chose que j’n’ignore pas vrai ? Ou alors tu t’es bien trop attachée à elle.
— Elle m’a sauvé la vie, expliqua Victor, je lui dois beaucoup. Et l’Empire la cherche aussi. Ils donnent une récompense. Si elle était de leur côté, ils n’auraient pas besoin de la chercher.
— C’est un bon point, concéda Guillaume, elle est peut-être juste une victime, comme nous. Reste à savoir pourquoi Chamberlain l’avait inscrite sur ses plans...
— Vous discuterez plus tard, soupira le docteur Hunter, il a besoin de repos. »
Une fois qu’il eût fini d’appliquer les derniers soins à son fils, le docteur Hunter ordonna à Elanor et Victor de le laisser tranquille. Ils obtempérèrent et sortirent du cabanon pour le laisser reprendre des forces. Victor regardait Elanor qui semblait tout à coup silencieuse. Il avait les mains dans les poches de son long manteau et pouvait sentir à travers ses poches, le revolver qu’il portait dans son holster. Il se demandait s’il devait s’en servir et ainsi suivre les ordres de Chamberlain. Louise serait saine et sauve…
Non, je ne peux pas faire ça…
« Revoir Guillaume n’a rien déclenché chez toi ? »
Elanor était sortie de son mutisme. Et désormais, elle regardait d’un air triste Victor. Elle semblait vraiment peinée par la situation. Son regard ne fit que renforcer son mal-être. Il ne pouvait qu’imaginer la douleur de retrouver un ami qui a tout oublié de vous.
« Oui, répondit Victor. Je pensais que certaines choses allaient me revenir... Mais non. Peut-être que c’est perdu à jamais.
— C’est triste. Vraiment… Guillaume était tellement triste quand il a cru que tu étais mort. Au final, tu l’es un peu quelque part.
— Pourquoi tu fais tout ça ? demanda Victor. Qu’est-ce que tu gagnes à l’aider ? Tu étais juste capitaine, pas son amie.
— Je ne suis pas sans cœur. J’aurais dû tourner les yeux quand je l’ai vu agonisant ? Non, c’était impossible. Je ne pouvais pas… Et puis, tu l’as peut-être oublié, mais nous sommes devenus amis tous les trois... »
Elle soupira et marqua une pause :
« J’imagine que toi et moi, on partage les mêmes raisons. Pourquoi tu m’aides au final ? Tu aurais pu tourner les talons et faire autre chose, mais tu es ici. Tu prétends n’avoir aucun souvenir, mais tu es là.
— Je ne sais pas... J’ai comme une petite voix qui me dit de le faire. Peut-être que mes souvenirs enfouis me disent quoi faire. Et je veux trouver des réponses.
— Comme tout le monde. J’aimerais savoir qui a coulé mon bateau. Que je lui plante mon épée dans la gorge… »
Elle serra son poing sous l’effet de la colère.
« J’ai tout perdu à cause de lui. Ou d’eux. Je ne sais pas.
— Je pense que le responsable, c’est tout simplement l’empire. Avec Chamberlain à sa tête. Mais je sais qu’il n’agit pas seul. Quelqu’un l’aide. Guillaume a raison, mais ce n’est pas Louise. C’est quelqu’un qui est proche d’elle.
— Si tu sais quelque chose, dis-le-nous.
— Quand Louise m’a trouvé, on a été attaqué, expliqua Victor, et je pense savoir qui c’était.
— Qui ? »
Florian, je suis sûr que c’est lui. C’était son mécha. Mais pourquoi il aurait fait ça ? Il n’a aucune raison de s’en prendre à moi, il ne me connaît pas. Et Louise ? Il semble pourtant avoir de bonnes relations tous les deux. Ça ne colle pas…
« Je ne sais pas son nom, mentit Victor, et j’ai besoin de preuve. Mais quand je les aurai, je le confronterai. »
Victor ne savait pas si elle avait cru à son mensonge, mais elle ne posa pas plus de questions. Elle était peut-être convaincue de ce qu’il disait.
« Je vais bientôt partir, continua Victor, je vais dire au revoir à Guillaume. »
Il poussa de nouveau la porte du cabanon. Le docteur veillait doucement sur son fils qui était somnolent. Il se tourna vers Victor en entendant le porte s’ouvrir :
« Je dois retourner à Neokorr, je voulais lui dire au revoir.
— Père, répondit Guillaume, laisse-nous un moment seul. »
Le docteur n’approuvait pas la demande de son fils, cependant il accepta et laissa les deux jeunes hommes seuls pour régler leurs comptes.
« Tu vas t’en remettre ? demanda Victor.
— Mon père dit que oui. Si je ne bouge pas trop. »
Victor avait toujours les mains dans ses poches, il sentait toujours son revolver sous son manteau. S’il faisait un seul mouvement rapide, il pouvait le tuer sans que celui-ci riposte. Un geste rapide et précis, et Guillaume ne serait plus de ce monde. Chamberlain aurait ce qu’il voulait et le laisserait tranquille, ainsi que Louise. Il pouvait régler tous ses problèmes d’un tir.
Non, je ne suis pas comme ça.
Il sortit ses mains de ses poches. Il ne pouvait pas faire ça. Il n’était pas un meurtrier. Ou s’il l’avait été un jour, il ne voulait le plus l’être maintenant.
« Sois prudent, Guillaume. Chamberlain va te chercher.
— Je sais, répondit-il faiblement. Tu ne te souviens vraiment pas de moi ?
— Non, tu n’es qu’une silhouette dans mes souvenirs. Qu’un nom qu’on m’a rapporté. Qu’une histoire dont je ne me souviens pas. Peut-être un jour, je me souviendrais de tout ça. De nos moments passés, de nos promesses… Mais pour l’instant... Je suis désolé. J’espère que ça s’arrangera entre nous.
— J’espère… Soit prudent toi aussi. »
Victor hocha doucement sa tête en souriant. Il allait bien sûr redoubler de vigilance maintenant qu’il avait laissé passer l’occasion de tuer Guillaume. Le commandant allait sans doute mettre ses menaces à exécution. Après l’avoir salué pour de bon, il sortit et dit au revoir à Elanor et au docteur Hunter. Il se dirigeait doucement vers la gare de la ville pour repartir à Neokorr. Il avait une curieuse sensation dans le ventre. Au fond de lui, son instinct lui murmurait qu’il connaissait en effet Guillaume Hunter. Et c’était cet instinct qui l’avait empêché de tirer sur cet homme mourant. Son instinct lui murmurait aussi qu’un jour prochain, ils se reverraient, et peut être, qui sait, que ce jour-là, il se souviendrait de tout. Et qu’il pourrait l’enlacer tel un vieil ami.
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