Chapitre 19

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« Ne bouge pas trop, Guillaume. »

Le jeune homme répondit à son père par un grognement. Il se leva tout de même de son lit et commença à marcher quelques pas. Il sentait encore son corps qui avait du mal à sortir de sa léthargie. La douleur était toujours présente et elle paralysait encore certaines de ses membres. Marcher quelques pas était encore un supplice pour Guillaume. Mais il en avait assez d’être dans son lit jour et nuit et de dépendre de son père et d’Elanor. Il voulait retrouver son autonomie. Ne plus déprendre d’eux. Et ça, son père ne le comprenait visiblement pas. Les jours passés avec lui avaient été bien trop durs pour Guillaume. Il ne pouvait plus le supporter. Il avait atteint sa limite.


« Je vais bien, répondit-il finalement.

— Non, tu dois encore te reposer. De toute façon que veux-tu faire d’autre ?

— Je ne sais pas. Peut-être empêcher une guerre de se produire ? »


Le père de Guillaume soupira de fatigue. Guillaume reconnaissait trop bien ce soupir. Il l’avait souvent entendu quand il était jeune. Un soupire de lassitude et de fatigue qu’il avait à chaque fois que son fils le décevait. Il avait eu le même soupir lors de la mort de Connor. Juste un soupir. Rien de plus.


« Ce n’est pas à toi de faire ça, répondit son père. Laisse les gens compétents s’en occuper.

— Personne d’autre n’est au courant !

— Si, ton ami là. Comment s’appelle-t-il déjà ?

— Victor. Et il n’a jamais dit qu’il allait faire quelque chose concernant la guerre.

— Au moins, c’est un homme censé. Il sait qu’il se bat contre plus fort que lui. Et tu devrais faire pareil Guillaume. Bon sang, pourquoi n’es-tu pas simplement resté à ta place dans l’empire ? Pourquoi as-tu voulu jouer les héros ?

— Pourquoi ? Parce que j’en ai assez d’être un lâche comme toi ! Je n’aurais jamais dû t’écouter et partir pour l’empire ! C’était la plus grosse erreur de ma vie !

— Enfin Guillaume ! Tu ne pouvais pas rester ici, pas après ce que tu avais fait. Louise aurait fini par te faire mettre en prison ! C’est ça que tu voulais ?

— Et je l’aurai mérité. J’ai tué un homme. Je devrais être juge pour ça ! Mais non… Tu avais tellement peur de ta réputation que tu as dépensé une fortune pour m’envoyer loin. Là où je ne te causerai plus d’ennuis.

— J’ai fait ça pour te protéger Guillaume !

— La seule personne que tu as protégée en agissant comme ça, c’est toi. Car si tu pensais vraiment à moi, tu ne m’aurais pas envoyé là-bas. Tu m’aurais laissé affronter mes erreurs !

— Quelle ingratitude, souffla son père. Après tout ce que j’ai sacrifié pour toi. Tu préfères jouer au héros au risque de perdre ta vie. Tu ne penses pas une seconde aux gens qui tiennent à toi. »


Guillaume n’en pouvait plus. L’envie de frapper son père devenait plus forte. Il n’avait qu’une envie : le frapper à la mâchoire pour le faire taire. Ainsi il laisserait libre cours à toute la colère qui le ronge depuis si longtemps. Comment ose-t-il parler ainsi ? Guillaume voulait enfin se racheter, et affronter ses démons et lui ne pensait qu’à son petit confort. À son nom de famille entaché par les affaires de Guillaume.

Quel enfoiré…

Mais il se ravisa. Il ne s’abaissera pas à ça. Il valait mieux que ça. Mieux que son père. Il ne laisserait plus sa colère prendre le dessus. Elle avait déjà fait un mort.


« Je n’ai plus besoin de toi, reprit froidement Guillaume. Tu peux partir.

— Et te laisser seul ?

— Je ne suis pas seul.

— Oui, une pirate. Quelle compagnie agréable à avoir ! Sérieusement Guillaume, elle —

— Je te déconseille de finir cette phrase, intervint Guillaume. Sa compagnie m’est bien plus agréable que la tienne. Au moins, elle ne me laisse pas tomber quand ses intérêts rentrent en conflit avec la situation.

— Tu es bien ingrat Guillaume…

— Tu radotes. »


La porte de la cabane s’ouvrit et Elanor apparut dans l’embrasure de la porte. Elle avait visiblement compris ce qu’elle venait d’interrompre, car elle affichait un petit sourire gêné. Guillaume remarqua qu’elle était essoufflée. Son souffle était court, et son visage avait pris quelques rougeurs au passage :


« Je crois que j’interromps quelque chose… lâcha-t-elle d’une petite voix.

— Non. On a fini, répondit froidement Guillaume. Et mon père me disait qu’il allait partir.

— Quoi ? Je n’ai jamais dit ça ! Tu as encore besoin de moi !

— Pas du tout.

— Non, mais Guillaume, intervint Elanor. Tu n’es pas encore remis de tes blessures ! Ton père a raison. »


Si tu savais ce qu’il a dit sur toi il y a juste quelques minutes. Mais il ne le répétera pas. Il n’a jamais rien assumé…


« Je peux m’en sortir sans lui, répondit Guillaume avec assurance. Je ne veux plus de lui ici.

— Guillaume, je t’en prie, écoute-moi, supplia Elanor. On a besoin de lui ! Chamberlain a des hommes ici !

— Comment le sais-tu ?

— Les marins dans les docks ne parlent que de ça. Ils ont mentionné des hommes en costume étrange. J’en ai croisé un. Et en le suivant… »


Elle soupira longuement pour calmer ses nerfs. Guillaume voyait bien qu’elle était stressée. Ses mains se nouaient nerveusement en elle, et sa voix pourtant assurée d’habitude, étaient chevrotantes. C’était troublant pour Guillaume de le voir dans cet état. Elle était plutôt le genre de femme à déborder d’assurance devant n’importe qui. Un trait qu’appréciait tout particulièrement le jeune homme.


« Il a rejoint d’autres hommes, raconta Elanor, et j’ai écouté leur conversation… Ils sont de l’Empire. Je suis sûre que ce sont les hommes de Chamberlain.

— Ils t’ont vue ? »


Elle détourna le regard et Guillaume comprit aussitôt pourquoi elle était si essoufflée.


« J’ai couru pendant longtemps. Je crois que je les ai semés. »


Guillaume s’approcha d’elle. Sa respiration était un peu plus calme, elle commençait doucement à récupérer de sa folle course. Hormis ça, elle n’avait pas l’air blessée, heureusement. Guillaume ne voulait absolument pas qu’il lui arrive quelque chose. Il ne l’aurait pas supporté. Il s’était bien trop attaché à elle ces derniers temps :


« Tu n’es pas blessé au moins ? demanda inquiet Guillaume.

— Non, je vais bien… Mais tu dois comprendre qu’on a besoin d’aide.

— Vous avez pris un risque inconsidéré, vociféra le père de Guillaume. Vous le mettez en danger avec vos conneries !

— Père !

— Je suis désolée, murmura Elanor, je n’ai pas réfléchi Guillaume. Je voulais simplement voir si on était en danger… Je ne pensais pas que ça aller mal se passer. Je suis une idiote.

— Non, tu as eu raison, répondit Guillaume. On sait maintenant que Chamberlain se trouve ici. L’étau se resserre autour de nous…

— Raison de plus pour que vous quittiez ce trou à rat, soupira le père de Guillaume.

— Ou on pourrait avoir des réponses, rétorqua Guillaume. On peut l’espionner à son insu et découvrir ce qu’il a prévu de mettre en place. Mais sa venue confirme ce que veut faire Eos. Ils vont bientôt passer à l’attaque.

— Je ne sais pas Guillaume, répondit Elanor. Ça me semble trop risqué.

— Enfin quelqu’un de sensé. Écoute la Guillaume.

— Tu ne veux pas la fermer toi ? vociféra Guillaume. Il a cinq minutes tu la critiquais, mais maintenant qu’elle va dans ton sens tu l’écoutes. »


Elanor lança un regard noir au père de Guillaume. Ce dernier détourna les yeux. Il n’assumait pas, comme d’habitude. Il ne voulait pas affronter la colère d’Elanor. Et il changea de sujet aussitôt :


« Écoute, reprit son père, tout ce que j’essaye de dire.

— Va-t’en. »


Guillaume avait croisé ses bras et regardait d’un air sévère son père. Il était intransigeant. Il ne voulait plus le voir ici. Il ne comprenait pas de toute façon. Il était bien trop égoïste pour comprendre pourquoi son fils agissait comme ça. Et c’était peine perdue de le lui faire comprendre. Jamais il ne comprendrait.


« Guillaume tenta vainement d’interpeller son père.

— Je ne veux plus te parler, répondit Guillaume. De toute façon, tu ne me comprendras jamais. On est trop différent. Maintenant, je fais comme je veux.

— Guillaume…

— J’ai dit : ça suffit. Barre-toi. Maintenant. »


Son père le regarda longuement, mais Guillaume n’en avait rien à faire. Son regard l’importait peu. Qu’importe ce que son père ressentait à ce moment donné. C’était trop pour lui. Il ne pouvait plus supporter sa présence. Il en était arrivé à un tel point d’énervement que si son père continuait, il pourrait commettre quelque chose de terrible. Et il ne voulait pas que cela arrive. Finalement, son père se décida à ne pas continuer la discussion. Il prit en silence ses affaires qu’il rangea dans son sac. Puis il adressa un dernier regard à son fils :


« Soit quand même prudent. »


Guillaume ne daigna pas répondre. Il se contenta d’un regard peu amical et empli d’animosité. Son père sortit de la pièce sans un autre mot. Elanor qui avait gardé le silence durant la fin de leur dispute se décida enfin à dire quelque chose.


« Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée… On aurait pu avoir besoin de lui.

— Non, crois-moi. Avec lui, on n’a pas besoin d’ennemis. On ne peut pas se fier à mon père.

— Mais il t’a sauvé.

— C’était dans son intérêt, comme tout ce qu’il fait. Quand il décide de faire quelque chose, c’est qu’il voit ce que ça peut lui rapporter, à plus ou moins long terme. »


Guillaume se rassied sur son lit en poussant un long soupir. Il avait mal partout et il sentait la fatigue qui reprenait doucement le dessus sur lui. Mais quelque part, il se sentait soulagé d’avoir renvoyé son père. Il se sentait un peu plus posé et calme désormais. Il comprenait les inquiétudes d’Elanor, mieux qu’elle ne l’imaginait. Et il ne pouvait pas lui en vouloir de ne pas le comprendre :


« Tu sais, si Connor n’était pas mort, j’aurais dû faire des études de médecine. Et suivre sa voie. Je n’en avais aucune envie.

— C’est pourtant une bonne situation médecin.

— Oui, mais je ne voulais pas être comme lui. Depuis que je suis petit, il m’élève pour que je sois un mini lui. Son éducation était dure. Je ne devais pas rapporter une note basse à la maison, sinon c’était directement la ceinture. »


Il s’allongea sur son dos et contempla le plafond gondolé de planche au-dessus de lui. Lentement, les souvenirs de cette époque commençaient à lui revenir. Pendant tellement longtemps, il avait cherché à effacer ses souvenirs pour tenter d’avoir une nouvelle vie, en vain. Maintenant, il ne voulait plus les oublier.


« J’étais jaloux de Connor, avoua-t-il. Il pouvait faire ce qu’il voulait. Moi, non. J’aurai adoré faire de la musique comme eux, ou bien du pilotage. Mais ce sont des activités de “pauvre” comme le disait souvent mon père. Pour lui, je devais lire ou apprendre par cœur les livres de médecines qu’il avait.

— Ça ne semble pas vraiment sympa en effet.

— Oui. Pour la première fois, j’ai la possibilité de faire ce que moi je veux. Ce que moi je trouve juste. Je n’ai plus besoin de lui. Plus maintenant. C’est peut-être idiot dit comme ça. Et tu dois penser que je suis un adolescent en crise… Mais je veux changer ma vie pendant que j’ai encore un peu le contrôle.

— Je te comprends. Mieux que tu ne l’imagines. »


Il se redressa, avec difficulté cette fois-ci. La douleur commençait de nouveau à le paralyser. Il devait se reposer. Mais pas avant d’avoir dit ce qu’il avait sur le cœur à la jeune femme. Ensuite, il aurait tout le temps de se reposer.


« Elanor, je sais que je t’en ai beaucoup demandé ces derniers temps. Et je ne sais pas pourquoi tu as accepté de faire tout ça, mais —

— Guillaume, intervint Elanor.

— Laisse-moi finir, s’il te plait, insista-t-il. Je ne saurais jamais te remercier assez pour tout ce que tu as fait. Vraiment. Mais je ne peux pas te demander de prendre plus de risque avec moi. Je ne peux vraiment pas.

— Tu me demandes de partir aussi ?

— je veux savoir ce que Chamberlain manigance. Et je sais que c’est dangereux. Alors… Je prendrais seul ce risque.

— Comment ? En boitant ? Tu peux à peine tenir debout, et tu voudrais enquêter ?

— Je peux le faire.

— Non, tu ne peux pas ! Tu n’es pas en état de faire quoi que ce soit. Sois un peu réaliste cinq minutes. Et puis… »


Elanor croisa les bras sous sa poitrine et détourna son regard de Guillaume. Elle gonfla ses joues et lâcha un profond soupir exagéré, comme une enfant qui était excédée :


« Si j’avais voulu partir. Je l’aurai déjà fait. Je t’aurai laissé ici tout seul. J’aimais ma vie en tant que contrebandière. Libre, loin d’Eos. Jusqu’à ce qu’il coule mon vaisseau. »


Elle replongea son regard devenu sérieux dans celui de Guillaume


« Les cités libres sont toutes ce qu’il déteste. La liberté, le progrès. Je veux protéger ce qu’elles représentent avant qu’il ne soit trop tard. Et je veux faire mordre la poussière à celui qui a ordonné de couler mon vaisseau. Et si pour l’instant ça veut dire travailler avec toi. Ça me va.

— Est ce que… est ce que tu te serais fait à ma compagnie ?

— Un peu, avoua en souriant Elanor. Mais ne te fais pas d’idée. C’est pour moi que je suis ici. »


Cause toujours capitaine. Je sais reconnaitre quelqu’un d’égoïste, comme père. Tu n’es pas comme lui. Si tu ne veux pas vraiment dire les raisons pour lesquelles tu restes, tant mieux. Moi je suis bien content que tu sois là. Après tout, je crois que je ressens la même chose pour toi.

Il se laissa tomber sur le dos et ferma doucement ses yeux dans l’espoir de se reposer. Il sentit le matelas s’enfoncer un peu et ouvrit un œil. Elanor s’était alongée dessus. Elle aussi devait se reposer avec sa folle course.

Je suis tellement heureux que tu sois resté à mes côtés. Je ne pourrais rien faire sans toi.

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