Chapitre 24
Guillaume et Elanor courraient dans les rues étroites de la Baie de Lotan, alors que le chaos régnait dans les rues. Des explosions, des cris et des secousses retentissaient aux quatre coins de la ville. Tout avait été si rapide. Guillaume et Elanor avaient été réveillés à l’aube par des coups de feu dans les docks. Les hommes de Chamberlain étaient à leur recherche et avaient mis à feu et à sang les rues aux alentours dans l’espoir de les trouver. Profitant du chaos ambiant, ils avaient commencé à fuir pour leur échapper. Et c’était comme ça qu’ils s’étaient retrouvés à courir dans les rues poursuivies par les hommes de Chamberlain. Ils ne savaient pas où ils devaient se rendre. La seule pensée qu’avait Guillaume était tournée vers Victor.
Est-ce que lui aussi est pris en chasse ?
Il espérait que non. Que lui et Louise allaient bien. Peut-être devaient-ils se rendre vers leur hôtel. Les bruits de balles qui passaient non loin d’eux stoppèrent ses pensées. Lui et Elanor tournèrent à un moment dans une rue un peu plus grande. Mais ils se stoppèrent aussitôt en voyant Chamberlain dans la rue. Il était aussi surpris qu’eux de le voir, mais il dégaina aussitôt son revolver et son épée. Il tira une première fois vers eux. Guillaume se jeta à terre pour éviter la balle. C’était lui qui était visé. Lorsqu’il releva la tête, les épées d’Elanor et Chamberlain s’étaient entrechoquées dans un bruit métallique.
« Je veux juste Hunter, expliqua Chamberlain. Je n’ai aucun grief contre vous. »
Elanor donna un coup de pied dans l’aine de Chamberlain pour le faire reculer de quelques pas. Elle en profita pour échanger quelques passes d’armes avec lui. La jeune femme était loin d’être une novice en combat à l’épée.
« Hors de question, siffla la jeune femme. Vous ne l’aurez pas. »
Guillaume resta là, étendu sur le sol sans savoir quoi faire. Il avait peur, encore. Peur de s’interposer et de prendre un coup. Encore une fois, peut-être celle de trop, quelqu’un lui sauvait encore la vie.
« Il ne mérite pas qu’on meure pour lui, répondit Chamberlain, c’est un lâche. »
Il a raison…
Elanor ne répondit pas. Elle continuait de se battre à l’épée sous le regard de Guillaume. Ses mouvements étaient rapides et gracieux. Elle dansait presque avec sa lame, ne donnant aucun moment de répit au commandant. Elanor n’était pas comme lui. Elle n’était pas paralysée par ses peurs, c’était vraiment un ancien soldat. Pas comme lui...
Allez ! Lève-toi ! Fais quelque chose !
Il se redressa enfin alors que le combat était de plus en plus acharné. La main tremblotante, il dégaina son revolver et visa Chamberlain. Impossible de le toucher, il était bien trop proche d’Elanor.
Je vais la blesser.
Il ne pouvait pas tirer. Il refusait de la blesser. C’était hors de question. Mais Elanor n’avait pas conscience de ce que voulait faire Guillaume. Elle continua telle une lionne à se battre contre le commandant. Elle parvint finalement à le blesser. Sa lame entailla sévèrement la joue de Chamberlain. Un petit filet de sang coulait sur sa peau blanche. Mais elle n’eut aucune satisfaction. Elle se rendit compte bien trop tard qu’elle avait exposé un peu trop son flanc gauche. Elle baissa la tête pour voir la lame de Chamberlain qui s’était planté dans ses côtes. Et Guillaume assistait, impuissant, à la scène. Le commandant retira sa lame sanguinolente du corps d’Elanor. La jeune femme chuta au sol, ses jambes ne pouvaient plus la soutenir. Et elle posa désespérément sa main sur sa plaie qui saignait abondamment. La ligne de visée était enfin dégagée pour Guillaume. Il tira plusieurs balles sur Chamberlain. Malheureusement, Guillaume ne s’était pas entraîné au tir depuis la perte de son œil, et seulement une balle toucha le commandant. Ce dernier s’effondra au sol dans un juron en tenant son épaule gauche lâchant au passage son épée. Guillaume n’hésita pas un instant. Il s’approcha d’Elanor en tenant en joue le commandant qui ne se relevait pas. Elanor se contorsionnait de douleur au sol. Elle hoquetait de douleurs alors que ses mains tentaient vainement d’empêcher son sang de couler.
« Elanor, faut qu’on se tire de là. »
Il entendait au loin les hommes de Chamberlain qui s’approchaient de leur position. Ils devaient partir, maintenant. Guillaume aida la jeune femme à se lever, puis Elanor passa son bras droit derrière le cou de Guillaume pour avoir un appui. Dans la précipitation et le stress, Guillaume n’adressa même pas un regard ni une dernière balle au commandant. La santé d’Elanor lui importait plus. Il commença à presser le pas pour s’éloigner de lui et prodiguer des soins à Elanor. Il l’emmena dans un dédale de rues. Elle avait de plus en plus de mal à la suivre, et à chaque mouvement, elle lâchait des jurons sous la douleur. Il savait qu’il en demandait beaucoup, mais elle devait tenir :
« Tiens le coup ! »
Son souffle était de plus en plus court. Au bout de quelques minutes, ses jambes la lâchèrent complètement, et elle devint un poids mort pour Guillaume. Il s’engagea alors dans une ruelle étroite, il ne savait même plus où il était.
« Guillaume, stop. »
Sa voix n’était plus qu’un murmure teinté de douleur. Guillaume savait qu’ils ne pouvaient s’accorder le luxe de s’arrêter, mais il s’arrêta tout de même pour la laisser respirer. La tache de sang n’en finissait plus de grandir, et pourtant malgré la douleur et la fatigue, Elanor tenait toujours sa lame. Comme une peluche qu’elle refuserait de lâcher dans ses plus difficiles instants. Son visage était de plus en plus pâle et elle s’assied avec difficulté au sol.
« Elanor, on n’a pas le temps ! »
Elle regarda sa plaie, puis son regard remonta la trace de sang qu’elle laissait au sol. Ses yeux fatigués se posèrent enfin sur Guillaume :
« Laisse-moi là. »
Le cœur de Guillaume se serra lorsqu’il entendit ses mots. Il se baissa pour être à sa hauteur et ainsi plonger son regard dans le sien :
« Hors de question, lâcha-t-il avec détermination. Je pars avec toi. Ou je reste ici. »
Elanor posa sa main sur la joue de Guillaume déposant au passage un peu de son sang. Elle lui fit un faible sourire :
« Ça ne sert à rien de mourir ici. Tu le sais. Je serais un boulet pour toi. Je saigne beaucoup trop, ils n’auront qu’à suivre mon sang.
— Je ne peux pas… Je ne peux pas te laisser là. »
Je ne veux plus être un lâche…
La voix de Guillaume se serrait de plus en plus à l’évocation de cette possibilité. Non, il ne pouvait pas. Il ne pouvait pas simplement tourner le dos et partir pour la laisser là dans cette rue froide. Elle méritait mieux que ça. Mieux que de mourir dans une vieille ruelle, ici.
« Tu mérites mieux que ça, après tout ce que tu as fait pour moi.
— On n’a pas toujours ce qu’on mérite, Guillaume. »
Elle posa sa deuxième main sur l’autre joue de Guillaume. Et son front se déposa doucement sur le sien. Son regard était plus intense, mais il voyait aussi qu’il s’humidifiait au fur et à mesure de ses paroles :
« Tu ne peux pas les laisser gagner. Pas après tout ce qu’on a fait. Alors, va-t’en, et essaye de trouver Victor. »
Guillaume baissa les yeux. Il ne pouvait pas regarder dans les yeux Elanor. Il savait qu’elle avait raison. Mais c’était trop dur pour lui. Elle avait raison, Victor. Il devait le trouver, vite. Et quand il l’aurait trouvé, il prendrait les armes. Et alors, sa colère sans limites s’abattra sur Eos. Et sur Chamberlain.
« J’aurais tellement aimé que les choses se déroulent différemment, lâcha-t-il d’une petite voix. Je suis tellement désolé.
— Je sais. »
Elle déposa un baiser sur le front de Guillaume qui le surprit. Elle fit un petit sourire, puis elle fit un geste de la tête en désignant l’autre bout de la ruelle.
« Vas-y. Je les retiens. »
Elle éloigna son visage de celui de Guillaume et reprit son arme avec sa main tremblotante. Elle inspira un grand coup. Elle semblait déterminée à faire ça. Peu importe ce qu’il allait dire. Au final, elle avait raison. Il devait survivre pour rejoindre Victor. Peu importe comment. Le cœur lourd et les yeux humides, il se releva. Sa main gauche vint se poser sur son propre front, et il lui fit un salut miliaire :
« Ce fut un honneur, capitaine. »
Elle lâcha un petit rire qui lui semblait douloureux, et imita le salut :
« Pareil, moussaillon. Puisse les flots vous être favorable. »
Guillaume jeta un dernier regard à Elanor puis il s’en alla. Il reprit son chemin dans les dédales. Il n’était plus qu’à quelques rues de l’hôtel de Victor. Mais lorsqu’il arriva, il se figea sur place. Chamberlain était là lui aussi. Il se tenait l’épaule en grimaçant de douleur, encadré par ses hommes. Guillaume se cacha derrière des poubelles et regarda la scène de loin. Ils étaient trop nombreux pour qu’il puisse faire quelque chose. Il allait attendre là d’avoir des informations où que la situation se tasse. Au bout de quelques minutes, les hommes de Chamberlain revinrent en tenant Elanor.
Elle tomba lourdement au sol lorsque les hommes de Chamberlain la lâchèrent. Il vit Chamberlain qui s’approcha d’elle. Le bruit de ses bottes résonna sur les pavés de la rue. Elanor lâcha un bruit de douleur étouffé. Guillaume retint son souffle. Elle était encore en vie.
« Je dois au moins vous reconnaître ça, commença Chamberlain. Vous vous battez comme un soldat. Quel dommage que ce soit pour couvrir un homme tel qu’Hunter !
— Dans votre bouche, ça sonne comme une insulte. Vous n’aurez jamais Guillaume de toute façon. Il est déjà loin. »
Le souffle d’Elanor était court. Sa blessure l’avait salement blessé, et Guillaume pouvait voir son sang commencer à colorer doucement les pavés de la rue. Guillaume serra son poing, si au moins il pouvait intervenir, se battre, mais il ne pouvait pas, c’était bien trop dangereux. Il allait mourir sans même toucher Chamberlain.
« Ce n’est pas une insulte, répondit Chamberlain, je le pense réellement. Vous avez gâché votre vie. Alors que si vous étiez resté dans l’Empire —
— Je n’ai aucun maître, souffla difficilement Elanor. Je préférais mourir dans cette sale rue en étant libre de mes choix plutôt que de me battre pour l’Empereur. »
Chamberlain dégaina sa lame d’un mouvement rapide et précis. Guillaume avait à peine eu le temps de cligner les yeux et la longue lame se planta dans la poitrine d’Elanor. Elle s’abaissa une dernière fois pour lâcher un dernier souffle. La lame de l’ancienne contrebandière tomba sur les pavés dans un bruit métallique. Plus rien. Plus un souffle. Plus un regard. Plus un mouvement. Rien. Guillaume posa sa main sur sa propre bouche pour étouffer les bruits provoqués par ses pleurs. Chamberlain enleva sa lame du coup inerte d’Elanor, relâchant au passage des gerbes de sang qui se mêlaient aux flaques d’eau sur le sol.
« Puisse la lumière vous accorder le repos que vous méritez, lâcha-t-il d’une voix respectueuse. »
Il ferma les yeux. Est-ce qu’il priait pour elle ? La colère de Guillaume s’amplifia. Il osait prier pour elle après lui avoir ôté la vie sans aucun sentiment ? Guillaume voulait sortir de sa cachette et sauter à la gorger de Chamberlain. Le frapper encore et encore. L’étrangler. Le faire souffrir jusqu’à ce qu’une mort lente et douloureuse le délivre de sa vie. Mais il ne parvenait pas à trouver la force et le courage. Ses jambes tremblaient sous l’effet de ses pleurs et de sa tristesse. Il ne pouvait pas. Et il devait partir, il le savait. C’était pour ça qu’Elanor gisait par terre, pour que lui puisse s’enfuir. Et pourtant, il ne parvenait pas à quitter des yeux l’horrible scène qui se déroulait. Rien n’avait changé au final, c’était toujours un lâche…
« Où est-il ? »
Une autre voix masculine, mais étouffée venait de s’élever dans le silence instauré par Chamberlain. Le commandant lâcha un grognement agacé :
« Vous n’avez donc aucun respect pour les morts ? commença Chamberlain. Un hommage doit être rendu aux combattants. »
Des bruits de pas se firent entendre, et Guillaume ne tarda pas à voir un autre homme venir à la rencontre de Chamberlain. Il sécha ses larmes dans l’espoir d’avoir une vision plus nette de la scène. C’était Phantom. Il voyait très clairement son masque en fer, mais ce coup-ci c’était un homme derrière celui-ci. Comme l’avait dit Victor.
« Vos prières ne m’intéressent pas, je veux Guillaume.
— Enlève votre satané masque. C’est incompréhensible. »
Phantom soupira d’exaspération, et ses mains virent détacher les sangles en cuir qui maintenait son masque. Guillaume se reteint de lâcher un hoquet de surprise. Il aurait reconnu ce visage entre mille autres : Pierre.
C’est un mauvais rêve, c’est obligé.
Il le regarda longuement pour être sûr de ne pas se tromper. Mais non, c’était bien lui. Même s’il ne voyait pas les longs cheveux blonds de Pierre à cause de la capuche en cuir, il savait que c’était lui. Ce visage fin, ses yeux verts perçants, et cette carrure. C’était lui, sans aucun doute. Mais pourquoi ? Pourquoi avoir fait tout ça ? Pourquoi avoir offert sur un plateau d’argent les Cités Libres ? Pour avoir Guillaume ? Réellement ? Est ce que la vengeance était à ce point importante pour lui ? Toutes ces questions se bousculaient dans la tête de Guillaume, et venaient se mélanger à une colère froide. Celle d’avoir tout perdu à cause de lui.
« Où est Guillaume ? demanda-t-il une seconde fois.
— Il nous a échappé, répondit Chamberlain. Grâce à elle.
— Non seulement vous décidez de faire cavalier seul, mais en plus vous échouer ? »
Chamberlain lança un regard noir et froid à Pierre. Guillaume n’avait que trop connu ce regard. Chamberlain méprisait le jeune homme, cela se voyait. C’était par la force des choses qu’il avait dû s’allier avec lui, et visiblement cela coûtait beaucoup à l’ancien commandant.
« Nous avions un marché, Phantom. Vous avez passé un accord avec l’Empereur.
— J’ai été très clair sur les termes de mon contrat. Tant que Louise ne sera pas en sécurité dans l’Empire, je ne vous aiderai pas dans votre guerre. »
C’était donc ça. Pierre était prêt à faire alliance avec l’Empire dans le seul but de m’avoir, mais en échange, il voulait aussi que Louise soit en sécurité. Voilà pourquoi Chamberlain l’a cherché.
« Votre amie nous a échappé, révéla Chamberlain. Elle a quitté la ville avec Speckman. »
Bon, au moins Victor et elle vont bien. C’est une maigre consolation, mais au moins…
Au moins, il n’avait pas perdu son meilleur ami ni Louise. Mais aucun des deux ne devait se douter de ce qui était en train de se passer. Savaient-ils que tout cela était la faute de pierre ? Non. Guillaume devait les retrouver et les prévenir.
« Ecoutez, je m’en contrefous de ce qui peut arriver à Victor. Tuez-le, torturez-le, ce n’est pas mon problème. Mais si vous faites du mal à Louise…
— Elle a fui, mais je suis sûr que vous savez où elle se trouve.
— J’ai mon idée. Mais je préfère le garder pour moi. Je n’ai pas confiance en vos hommes. »
Chamberlain soupira de nouveau :
« Voilà ce que nous allons faire, je vais lancer mes hommes à la recherche de votre Louise, d’ici là vous avez tous le temps d’essayer de la convaincre, à votre manière. Mais une fois que mes hommes la trouveront, on fera ça à ma manière. »
Louise n’acceptera jamais de rejoindre l’Empire. Encore moins maintenant que Victor est dans sa vie.
« Et je fais quoi de Victor ?
— Il doit être jugé, et renvoyé à Eos. Mais bon, s’il meurt… Disons que ce sont les risques d’une guerre.
— Très bien, je m’occupe de Louise. »
Pierre commença à tourner les talons, mais Chamberlain l’avertit une dernière fois :
« Vous n’avez pas beaucoup de temps. Quand je l’aurais trouvé, je l’emmènerais de force à Eos. Comme ça, notre engagement sera respecté. D’ici là, faites attention, la guerre a déjà commencé. »
Pierre ne répondit pas et s’en alla silencieusement. Guillaume tendit l’oreille, et il remarqua que Chamberlain avait raison. Il pouvait entendre au loin les combats qui s’intensifiaient. L’empire avait commencé son attaque, et bientôt l’ensemble des cités allaient subir une attaque. Guillaume devait maintenant trouver Louise et Victor, dans l’espoir de leur dire pour Pierre. Mais où allait se rendre le duo ? Guillaume ne savait pas. Il ne pouvait que supposer qu’ils allaient se rendre quelque part où ils se trouveraient en sécurité. Peut-être chez la mère de Louise, à Thorgard.
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