Alfred de Musset, un poète à la sensibilité exacerbée...
de Patrice Lucquiaud
Si de nos jours, on peut considérer que la création artistique sous toutes ses formes n’est nullement en faillite, la Poésie qui en fait partie, elle, fait cruellement défaut dans nos vies malmenées par le fatras de toutes ces pollutions de l’âme propres à notre temps…
A cette occasion, je profite de remercier vivement ma chère mère pour, au cœur de sa trop courte existence, s’être nanti de l’œuvre complète de ce génial poète dont je lis maintenant avec délectation les ravissantes compositions.
« La coupe et les lèvres » poème dramatique d’Alfred de Musset* …
Insatiable producteur de vers, le poète d'une rare sensibilité d'âme, authentique esthète à la fibre artistique empreinte de tendre mélancolie, se livre ici, à l'exercice de la tragédie tenant à la fois aux destins et aux desseins des personnages en présence. Cette pièce en 5 actes, écrite en Juillet/Août 1832 est tout à fait représentative du talent d'écriture et de la sensibilité de son auteur.
Dégageons quelques vers ça et là, et voyons ce dont ils sont porteurs, nous renseignant sur la nature profonde de son compositeur autant que sur les mœurs et les états d'âmes des hommes et femmes de son temps.
D'abord ce passage de la dédicace à M. Alfred Tattet :
« … Lorsque la jeune fille, à la source voisine,
A sous les nénuphars lavé ses bras poudreux,
Elle reste au soleil, les mains sur sa poitrine,
A regarder longtemps pleurer ses beaux cheveux.
Elle sort, mais pareille aux rochers de Berghèse,
Couverte de rubis comme un poignard persan. -
Et sur son front luisant sa mère qui la baise,
Sent au fond de son cœur la fraîcheur de son sang.
Mais le poète, hélas ! S'il puise à la fontaine,
C'est comme un braconnier poursuivi dans la plaine,
Pour boire dans sa main, et courir se cacher. -
Et cette main brûlante est prompte à se sécher...
… Vous me demandez si j'aime la sagesse,
Oui ; - J'aime fort aussi le tabac à fumer.
J'estime le bordeaux, surtout dans sa vieillesse ;
J'aime tous les vins francs, parce qu'ils font aimer.
Mais je hais les cafards et la race hypocrite
Des tartufes de mœurs, comédiens insolents,
Qui mettent leurs vertus en mettant leurs gants blancs.
Le diable était bien vieux lorsqu'il se fit ermite.
Je le serai si bien, quand le jour viendra,
Que ce sera le jour où l'on m'enterrera. »
Dans la première partie l'habileté narratrice de M. Alfred de Musset tient en la présentation du sort du poète qui puise à la source inspiratrice "comme braconnier", ô combien distante de celui de la naïade qui ruisselle de candeur et beauté !... Une description où perle toute la grandeur d'âme de l'auteur...
Lequel, dans la deuxième partie, ayant avoué combien il aime les bonnes choses, tel ce divin breuvage que l'on verse en coupe où il est si agréable de tremper ses lèvres, se rebiffe contre ceux qui l'accusent de plagia et mettent en cause sa probité... il ne craint pas alors d'égratigner les bien-pensants à l'apparence honnête et flamboyante, ceux, celles qui sont à l’affût du désordre des autres lequel les met si bien en valeur. Et d'ajouter que ce n'est pas au bout de l'âge que l'on sera plus sage, tel diable se faisant ermite, lui, le poète, véritable épicurien, plutôt que de se livrer à toutes ces fausses repentances, préférerait mourir...
Maintenant, cet extrait tiré de la scène première du deuxième acte, met en scène le personnage principal de cette pièce, Frank, faisant face à une table chargé d'or :
« De tous les fils secrets qui font mouvoir la vie,
O toi, le plus subtil et le plus merveilleux !
Or ! Principe de tout, larme au soleil ravie !
Seul dieu toujours vivant, parmi de faux dieux !
Méduse dont l'aspect change le cœur en pierre,
Et fait tomber en poudre aux pieds de la rosière
La robe d'innocence et de virginité ! -
Sublime corrupteur ! - Clé de la volonté ! -
Laisse-moi t’admirer ! - parle-moi, - viens me dire
Que l'honneur n'est qu'un mot, que la vertu n'est rien ;
Que dès qu'on te possède, on est homme de bien ;
Que rien n'est vrai que toi ! - Qu'un esprit en délire
Ne saurait inventer de rêves si hardis,
Si monstrueusement, en dehors du possible,
Que tu ne puisses encor, sur ton levier terrible,
Soulever l'univers, pour qu'ils soient accomplis !
- Que de gens cependant n'ont jamais vu qu'en songe
Ce que j'ai devant moi ! - Comme le cœur se plonge
Avec ravissement dans un monceau pareil ! -
Tout cela, c'est à moi ; - les sphères et les mondes
Danseront un millier de valses et de rondes,
Avant qu'un coup semblable ait lieu sous le soleil.
Ah ! Mon cœur est noyé ! - Je commence à comprendre
Ce qui fait qu'un mourant que le frisson va prendre
A regarder son or, trouve encor des douceurs,
Et pourquoi les vieillards se font enfouisseurs. »
L'apologie de l'aisance, du confort et de la richesse qui rendent si brillant leurs possesseurs, à l'encontre de ce qui brille naturellement, vient ternir toutes autres valeurs dont celle de l'honorabilité... l'homme de biens prévaut sur l'Homme d'honneur … L'or attire et attise, l'or n'est que possession : on l'a ou on ne l'a pas mais on le convoite sans cesse... il est le grand levier de nos motivations jusqu'à la fin de chacune de nos existences où il convient alors, l'enfouir pour les générations à venir...
« Larme au soleil ravie » quelle belle image ! Combien de flots de larmes engendrera jusqu'à la fin des temps, cette goutte perlée ?... La coupe en sera-t-elle pleine ?...
La pièce nous présente le parcours aventureux d'un pauvre hère méprisé et raillé par les siens devenant riche seigneur par la « bonne fortune » et ce, à la croisée de chemins... Le manant devenu "héros" a pleine jouissance des biens matériels et de tous les plaisirs possibles de ce monde... un seul lui manquera, vous devinez lequel… la coupe peut s'emplir de tous les joyaux du monde, les lèvres s'y tremper, le corps s'y rassasier mais l'âme s'y dessécha inéluctablement si l'Amour, jamais ne l'assoiffe !...
M. Alfred de Musset, votre adorable romantisme sied non seulement à votre époque mais aussi à notre temps, lorsque nos lèvres avides s'animent avec entrain à ces instants de paix où nous buvons vos vers !... Alors la coupe devient délices...
*Alfred de Musset ... * 11.12.1810 à Paris - † 2.5.1857 à Paris.
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