Chapitre 6
Les deux jours passèrent lentement, heure par heure, minute par minute, seconde par seconde. Je les passai à tourner en rond dans ma cellule, alternant aussi entre exercices sportifs et siestes. Mon plan était prêt, et j’économisais mes forces pour pouvoir le réaliser. Je n’eus aucune nouvelle de mes compagnons de galère, que je ne pouvais pas encore considérer comme de potentiels amis. Quant à la Mort, elle se faisait plutôt discrète, me donnant quelques renseignements sur l’extérieur.
Le soleil venait de se lever lorsqu’on vint me chercher. Le Directeur était présent.
- Vous paraissez tendu, lui dis-je. Quelque chose ne va pas ?
- A vrai dire, j’ai hâte que ta tête se soit détachée de ton corps, avoua-t-il.
- A votre âge, il n’est pas bon d’avoir de pareilles frayeurs. Vous pensez à votre cœur si fragile ?
Brusquement, il me donna un coup en plein ventre qui me plia en deux. Sans ménagement, il me tira par les cheveux, et me murmura, son visage à quelques centimètres du mien :
- Tu as bien de la chance que l’on t’exécute tout de suite. Si ça ne tenait qu’à moi, je t’aurais fait torturer jusqu’à ce que tu me supplies de t’achever. Heureusement que je suis magnanime !
Je lui crachai au visage, et il me donna plusieurs coups dans le ventre, ce qui fit dangereusement remonter le peu de nourriture que j’avais dans mon estomac.
- Emmenez-le ! ordonna le Directeur. Il me tarde de voir disparaître ce sourire de cette sale petite face de rat.
Les trois soldats me mirent les menottes, puis me poussèrent violemment à travers le long couloir. Après avoir monté un escalier, je sortis au grand jour, et la lumière du jour m’éblouit un moment. Lorsque mes yeux s’habituèrent à la luminosité, je vis alors que j’étais face à une foule d’adolescents, parfaitement rangés, et au garde à vous. J’en dénombrai plusieurs centaines qui me regardaient de leurs yeux sans expression. Puis les soldats me poussèrent à nouveau, et je marchai lentement jusqu’à l’échafaud installé au centre de l’immense cour.
Le Directeur m’avait devancé, par je-ne-sais-quel moyen. Il attendit que je sois monté sur la petite structure en bois avant de déclarer d’une voix forte :
- Voici le traître ! Regardez bien, mes chers compagnons, celui qui nous a coûté un an de recherche. Voyez comme il est laid, comme il est exécrable. Il ne mérite pas d’être parmi nous. Il ne mérite pas de vivre ! Voilà la sentence que l’on réserve aux traîtres. Bourreau, fais ton office !
La foule d’élèves se mit alors à crier d’une même voix :
- A mort le traître ! A mort le traître !
- A quoi tu joues ? grinça la Mort. Si tu comptes sur une dernière intervention miraculeuse de ma part, c’est foutu, je ne t’aiderai pas.
- Je sais bien, même si cela m’aiderait. Tout est prévu.
Un individu masqué, qui s’était tenu à l’écart jusqu’à présent, monta à son tour sur l’échafaud. Il attacha la corde autour de mon cou. Pendant tout le discours du Directeur, je n’avais cessé de fouiller la foule du regard, cherchant désespérément mes amis. Je ne repérai que Lucie, qui fermait les yeux, et Jade, reléguée au fond. Je lui lançai un appel à l’aide, néanmoins elle ne fit que détourner le regard. Le bourreau s’approcha du levier, puis lança un regard au Directeur. Celui-ci me murmura :
- Dernières paroles ?
- Va crever en enfer, sale fou !
Le Directeur adressa un signe de tête au bourreau. Celui-ci abaissa le levier. La foule, d’un même mouvement, s’écroula. La corde se serra autour de mon cou. Mes pieds ne touchèrent plus le sol. L’air me manqua. Puis tout devint noir.
Quelques secondes auparavant…
Lorsque le bourreau monta sur l’échafaud, je compris que le plan de Lucie et des autres, quel qu’il soit, ne marcherait pas à temps. Juste avant qu’il ne s’approche de moi, je fis deux choses simultanément : j’invoquais tout d’abord le pouvoir de la terre, et créai un clone moi-même. Dans le même temps, j’utilisais l’air pour me rendre invisible, même pour quelques secondes. Mon stratagème marcha : le bourreau attacha la corde autour du cou de mon clone, et c’est celui-ci qui fut pendu à ma place. Au moment où la foule d’élèves s’effondrait, j’apparus, presque à bout d’énergie.
Le visage du Directeur se peint de plusieurs émotions successives : tout d’abord, une joie intense, puis la surprise, et enfin une haine sans borne lorsqu’il me vit.
- Désolé, mais je ne suis pas mort, ironisai-je.
- Cela va être réglé tout de suite, cracha le Directeur avant de se jeter sur moi.
Malgré son âge, il prit rapidement le dessus, car je n’avais plus la force de me battre. Pendant ce temps, les soldats postés ne savaient pas quoi faire, tandis que les élèves se réveillaient lentement. Victor et Matthieu coururent vers moi, prêts à m’aider. Lorsque le Directeur les vit, il comprit instantanément ce qu’il se passait. J’en profitais pour lui décocher un coup de pied qui l’envoya au sol. Il se releva immédiatement et prit la fuite. Dans le même temps, les balles commencèrent à pleuvoir autour de moi.
- La Mort ? murmurai-je. J’accepte ton pacte. Prête-moi ton énergie, et je tuerai pour toi.
- Tu n’imagines pas à quel point j’attendais ce moment !
Je sentis une énergie nouvelle traverser mes veines. Je fis un bouclier d’air autour de moi pour me protéger des balles, puis lançai plusieurs boules de feu qui allèrent percuter les soldats. Je criai à Matthieu et Victor :
- Mettez-vous à l’abri ! Vous risquez d’être touchés !
Ils obtempérèrent malgré un moment d’hésitation, et après avoir tué les derniers soldats présents, je me précipitai à la poursuite du Directeur. Celui-ci était presque arrivé à l’une des portes donnant sur l’extérieur. Avec le pouvoir de la terre, je tentais de le ralentir, mais ma fatigue devait me rattraper, car il se dégagea rapidement et poursuivit sa course.
Dans un dernier espoir, je lançai une boule de feu, qui enflamma une partie de sa veste, mais ne fit pas d’autres dégâts car il s’en débarrassa rapidement. Un silence presque inquiétant se fit alors. Je regardai autour de moi, et m’aperçus que plus aucun soldat n’était présent ; ceux encore vivants avaient fui avec le Directeur. Je tombai à genoux, complètement épuisé, devant lutter pour ne pas m’endormir. La Mort me susurra, du fond de mon être :
- Tu aurais pu faire mieux, mais je suppose que tu es encore trop freiné par tes principes. C’est compréhensible. Néanmoins, je suis heureux que tu aies accepté notre pacte.
- Je le regrette, maintenant… J’ai cédé à ma haine.
- Allons ! Ne mens pas ! Ne me dis pas que tu n’as pas aimé cette adrénaline qui te traverse lorsque tu supprimes une vie humaine ?
- Tu es détestable !
La Mort ricana mais ne répondit pas. Une main se posa sur mon épaule, et j’entendis la voix de Victor me dire :
- Ce n’est pas grave, Simon. On est libres à présent.
- Tu le crois vraiment ? répliquai-je amèrement. Il va revenir, forcément. Il n’est du genre à abandonner tout le travail de sa vie comme ça. Et il ne reviendra sûrement pas seul.
Une adolescente se posa à cet instant sur le sol, et nous rapporta :
- Le Directeur et tous ses soldats sont partis en bateau.
- Je te présente Anna, dit Victor. Elle non plus n’était pas contrôlée, mais elle n’a pas pu passer te voir en prison.
- Enchanté, fis-je évasivement.
- Que faisons-nous, pour l’instant ? demanda Anna.
- Il faut envoyer rapidement des Eaux et des Airs rattraper le Directeur, dis-je.
- Réunis tout le monde dans l’auditorium, on va tout leur raconter, dit Victor en même temps.
Nous échangeâmes un long regard, que Matthieu interrompit :
- Les autres ne sont certainement pas en mesure de le rattraper. De toute manière, ce n’est pas une priorité pour le moment.
- Je suppose que ça le deviendra seulement lorsqu’il reviendra avec des centaines de soldats ? ironisai-je. Soit. Faites comme vous voulez.
Je me relevai difficilement, et vacillai sur mes jambes. Anna vint me soutenir, et me demanda :
- Tu veux te reposer un instant ?
- Non, ça devrait aller, répondis-je, sans pour autant me dégager.
- Tu pourrais devenir leur chef, en un rien de temps, grogna la Mort, méprisante.
- Ce n’est pas mon intention, répliquai-je. Je viens d’arriver, personne ne me fera confiance. Victor fera un bien meilleur chef que moi.
- Pourtant, tu viens de tous les sauver.
- Je n’ai rien fait, c’est Lucie qui les a sortis du contrôle mental… Lucie !!!
La jeune fille ne s’était pas relevée. Jade était déjà près d’elle. Tant bien que mal, nous nous approchâmes d’elle, et vîmes le visage bouleversé de Jade :
- Elle ne respire presque pas… Je ne sais pas si je réussirai à la sauver.
- Matthieu, emmène-la dans sa chambre, ordonna Victor. Jade, reste auprès d’elle, et fais ce que tu peux.
Les deux adolescents acquiescèrent, et partirent immédiatement, Matthieu portant le corps inanimé de Lucie.
- Qu’est-ce que pourrait faire de plus Jade ? demandai-je, intrigué.
- Elle a quelques notions de médecine, et sans qu’on puisse l’expliquer, les malades ou les blessés se rétablissent mieux en sa présence.
- Caractéristique de la Vie, intervint la Mort. J’ai toujours du mal à la repérer, celle-là…
- Tu te doutes bien que sans cela, elle n’aurait pas fait long feu ici… poursuivit Victor. Le Directeur ne s’encombrait pas de choses inutiles.
Je me contentai d’acquiescer, écoutant en même temps la Mort qui parlait :
- Il y a donc le Temps, en Victor, même s’il ne se doute à priori de rien ; la Vie, en Jade, et la Paix en Lucie, ce qui lui a sans doute permis de libérer les élèves du contrôle mental. Il manque donc la Guerre, et le sixième…
- Pourquoi apparaissez-vous tous au moment endroit ? Ce n’est pas aléatoire ?
- Si l’un de nous le décide, ça peut l’être. Mais généralement, nos apparitions sont liées à vos pouvoirs… Je t’expliquerai cela un autre jour.
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