Chapitre 5

7 minutes de lecture

Je me précipite dans la rue en bousculant les rares passants sur mon chemin. Après un virage, la demeure est en vue, j’accélère. Je saute par-dessus la petite clôture et, dans le même élan, enfonce la porte d’entrée d’un violent coup d’épaule. Je m’arrête pendant quelques secondes.

Je ressens une petite douleur dans les yeux, et deux taches lumineuses apparaissent au niveau du bureau à l’étage : une bleue et une rouge. Je passe à côté de l’escalier, saute sur le mur et agrippe la rambarde avant de me hisser par-dessus. C’est plus rapide que d’escalader les marches. J’ouvre la porte du bureau de la même manière que précédemment, avant de me retrouver devant un Arthur et une Dame Élise surpris. Sans réfléchir, je charge sur le majordome, l’attrape par le bras et le mets à terre sans grandes difficultés. Et, par mesure de précaution, je lui casse le bras, ce qui le fait hurler de douleur.


— Sabre ! Je peux savoir ce que vous faites ? s’exclame Élise.


Je vois un verre de vin posé sur un plateau sur son bureau. Aussitôt, je m’en empare sans faire attention aux protestations d’Élise, et force Arthur à le boire.


— Sabre ! Cessez immédiatement ! Vous croyez que je ne peux rien faire parce que vous êtes un Assassin ?

— Fais-moi confiance, Élise, répondis-je simplement.


Elle s’apprête à s’indigner par tant de familiarité, mais un horrible gargouillis l’en empêche. Arthur est soudainement pris de convulsions, et de l’écume s’échappe de ses lèvres. Il tremble de plus en plus brutalement, mais cela ne dure que quelques secondes, après quoi il redevient inerte. Mort.


— Mais, que…, bredouille Élise. Expliquez-moi !

— Votre majordome était en réalité un tueur envoyé par les templiers. Il a tenté de vous empoisonner.


Elle réfléchit quelques instants avant de s’asseoir, sans quitter le corps d’Arthur des yeux, comme s’il allait revenir à la vie, ou que nous lui faisions une mauvaise blague. Ses yeux se brouillent de doute. Elle détache finalement son regard d’Arthur pour le poser sur moi.


— Je ne peux pas le croire…

— S’il te plaît, Élise, dis-je en enlevant ma capuche et mon foulard. Fais-moi confiance.

— A… Aiden ?


Elle porte les mains devant sa bouche, les yeux agrandis de surprise. Je crois que ça fait trop de nouvelles d’un coup.

Élise et moi nous connaissons depuis l’époque où les aristocrates et la BAR n’existaient pas encore. Nous étions camarades de classe au lycée pendant trois ans, mais jamais vraiment des amis. Nous nous sommes très peu adressé la parole. Et je dois bien avouer que j’en pinçais pour elle. Même si elle m’a fait comprendre dès le départ que ce n’était pas réciproque. Heureusement pour moi, j’ai pu l’oublier à la fin du lycée.

J’ai vraiment été surpris d’entendre Patriarche – je veux dire Chef – prononcer son nom. Je ne pensais pas qu’elle serait devenue une aristocrate, mais je suis heureux de la revoir, et de constater qu’elle n’est pas devenue aussi corrompue et dégénérée que ses confrères. Même si je ne ressens plus rien pour elle. Je vais maintenant m’assurer que cette histoire entre les Assassins, les templiers et la BAR ne la blesseront pas. Je ne peux m’empêcher de sourire face à sa réaction, même si je sais qu’Ombre me crierait dessus pour lui avoir révélé ma véritable identité.


— Mais, tu es… Depuis le début ?

— Oh, non. Je n’étais pas un Assassin au lycée. En fait, c’est tout récent, ils m’ont recruté en tant qu’initié il y a un an.

— Mais pourquoi ? Je veux dire… Tu n’as pas de raison de les avoir rejoints !

— Figure-toi que si. Mais je n’ai pas vraiment envie d’en parler. Et ce n’est pas vraiment le moment pour ça, ajoutais-je en montrant le corps d’Arthur sur le sol. Tu sauras te débarrasser de ça ?

— Facilement, répond-elle en reprenant un air hautain avec une facilité déconcertante. Tu oublies que je contrôle le quartier des Halles.

— C’est pour ça que l’Ordre aimerait conclure un accord avec toi. Et puis, comme ça, nous pourrons éviter que d’autres « Arthur » s’approchent de toi.


Elle réfléchit pendant quelques secondes.


— C’est d’accord. Va dire à Patriarche que j’accepte l’alliance avec l’Ordre des Assassins.

— Et pour l’usine de DGC ? — J’y ai envoyé des éclaireurs. Je vous avertirai dès leur retour.


Quelqu’un toque discrètement à la porte avant de l’ouvrir doucement, dans un long grincement. Un jeune homme en costume, l’air apeuré, se tient désormais sur l’encadrement, sans oser entrer. D’un geste vif, je remets ma capuche et mon foulard avant qu’il ne pose les yeux sur moi.


— Dame Élise, commence-t-il. Je, euh, voulais vous signaler qu’une unité de la BAR s’est regroupée non loin d’ici. Apparemment, l’un d’eux aurait été retrouvé mort, alors ils sont en alerte et se déploient dans tout le quartier.

— Compris, merci Thomas, dit Élise en hochant la tête. Tu peux disposer.


Ledit Thomas fait une petite révérence avant de refermer la porte, toujours aussi lentement. Dès que la porte est bien fermée, Élise se tourne vers moi.


— Tu as entendu, Aid… Sabre ? Tu ne peux pas passer par la rue, c’est trop dangereux.


Elle s’approche de la fenêtre derrière son bureau, ouvre en grand les rideaux avant de tourner la poignée de la grande fenêtre. Derrière se trouve un grand balcon avec un peu de verdure et un cerisier, une petite table près de la rambarde avec deux chaises.


— D’ici, tu peux monter sur le toit et aller sur celui d’à côté. Tu t’en sortira mieux comme ça jusqu’à ton QG.

— Ou au moins le temps de sortir du quartier.

— Je pense qu’il serait plus prudent de rester sur les toits, dit-elle en se tournant vers moi. Enfin, tu fais ce que tu veux.


Je la dépasse pour sortir sur le balcon. Un léger courant d’air passe sous ma capuche, et la pluie s’est un peu calmée. Décidément, le temps ne sait pas ce qu’il veut. Je me tourne vers Élise.


— Bon, eh bien, je pars annoncer la bonne nouvelle à Patriarche.

— Je t’en prie. Et, Aiden… Sois prudent.


Elle me regarde avec un je-ne-sais-quoi que je ne saurais pas décrypter. Peut-être seulement de l’inquiétude. Je plante mes yeux dans les siens d’un air grave avant de répondre lentement :


— Je te le promets.


Je m’approche du mur et grimpe sans difficulté sur le toit. Je saute sur celui d’à côté et ensuite, ce n’est plus qu’une quasi ligne droite jusqu’au QG. J’avance de toit en toit, puis je m’arrête pour faire face au soleil couchant. Cette journée est passée en un clin d’œil. Ma première journée en tant que véritable Assassin. Je respire profondément l’air frais et humide. Je vais retrouver Ombre, m’excuser, et assumer mon erreur. Peut-être qu’elle me pardonnera plus vite si je lui annonce l’alliance conclue avec Élise.

Je reprends ma course mais je m’arrête très vite. En face de moi se trouve une silhouette. Je reconnais immédiatement le manteau noir et la capuche en mailles. Le templier. Il s’approche lentement, sans glisser sur les tuiles. Dès qu’il est à portée de voix, je lui crie :


— Qui êtes-vous ? Qu’est-ce que vous faites ici ?

— Quelle question stupide, répond-il d’une voix caverneuse mais étrangement chaleureuse. Tu es un Assassin, et moi un Templier. Ce que je veux me semble évident.


Je rapproche mes mains de mes épées en plissant les yeux. Il me semble qu’une lueur rougeâtre l’entoure. Il observe mes mouvements et hoche la tête en soupirant.


— Mon nom est David de Fresnes, Chevalier du grand Ordre des Templiers.

— Sabre, membre de l’Ordre des Assassins, répondis-je en m’inclinant ironiquement.


Enfin, j’espère qu’il a saisi l’ironie. Il étire sa bouche dans un sourire révélant des dents étincelantes. Il dégaine son épée avant de charger. Je fais de même.

Il va porter un coup à ma tête. Je suis prêt à parer, mais au dernier moment, il laisse tomber son arme au niveau des jambes. Je parviens à dévier son attaque de justesse avec ma deuxième épée. Je tente un coup d’estoc vers son cœur, mais il donne un grand coup dans ma lame. Il a réussi à briser ma garde et a manqué de me désarmer. Je recule rapidement pour reprendre appui. Ce type est fort.

Je me jette sur lui en faisant tournoyer mes épées ; impossible de deviner d’où viendra mon attaque. Je choisis de m’en prendre à ses jambes aussi, mais il fait un bond impressionnant en arrière avant de sauter en avant aussitôt, lame en avant. Je me décale sur le côté, mais un peu tard : je sens le fer froid déchirer mon manteau en faisant une coupure à mon épaule. La douleur palpite, mais la blessure n’a pas l’air très profonde. Je respire un grand coup et cours droit vers David. Je fais semblant de donner un coup qu’il tente de parer. Je saute alors et pose un pied sur son épée, l’autre sur son épaule, et je saute par-dessus lui. J’atterris deux mètres plus loin, en faisant aussitôt une roulade pour faire demi-tour et lui faire face.

Il charge à nouveau, mais un grésillement le stoppe net. Il sort un talkie-walkie de sa poche sans me quitter des yeux.


— Ici David.

— On a besoin de vous ici. Revenez au plus vite. C’est un ordre, lui répond une voix.

— Je suis occupé.

— Vous oserez contrarier le Grand Maître ?


Il ne répond pas tout de suite. Il me fixe, et je vois de l’agacement transparaître dans ses yeux. Enfin, il appuie sur le bouton et articule :


— Très bien, j’arrive. (il range son talkie-walkie.) Nous remettrons ça une prochaine fois.

— Avec plaisir.


David rengaine son épée et passe à côté de moi en courant. Je dois bien avouer que je suis surpris par son agilité. Il ne tarde pas à disparaître à l’horizon. Je m’attarde encore quelques instants avant de faire demi-tour et reprendre le chemin du QG. Décidément, je vais avoir beaucoup de choses à raconter au chef.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Stanor ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0