Chapitre 5

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Il fait nuit. Mais en cet endroit, ça ne fait pas vraiment de différence si ce n’est les néons grésillants qui diffusent une clarté sinistre. C’est l’heure où l’imaginaire transforme chaque bruit en une plainte déchirante, l’heure où les désirs prennent vie sous forme de rêves, l’heure où la faucheuse aiguise sa lame dans un crissement aussi retentissant que la mort.

C’est l’heure où les cris de rage emplis de détermination d’une enfant retentissent à travers les couloirs sombres. Ses yeux gris argenté luisent d’une résolution néfaste. Une de ces résolutions que l’on est tellement déterminé à accomplir qu’elle finit par nous ronger l’âme et faire de nous un pantin mu par cette seule volonté d’aller jusqu’au bout.

Et cette fillette possédait une détermination trop grande pour son jeune âge. Mais malgré tout, malgré la rage et l’ambition de son âme souillée, elle était belle.

Pas une de ces beautés superficielles qui s’effritent avec l’âge. Une beauté sans nom pour ce qu’elle était. Vivante, plus vivante que beaucoup d’autres et pleine d’une énergie qui se complétait par sa rage d’accomplir ses désirs. Son cœur battait au rythme de son ambition, elle tirait sa force de sa détermination.

Akim savait qu’il aurait dû être dans sa chambre. Mais il aimait la regarder. Se laisser entraîner par la danse de ses poings s’abattant sans cesse sur un sac de sable. Il voulait la comprendre. Comprendre comment tournaient les rouages de son esprit. Et par dessus tout, il voulait être témoin de son ascension vers le sommet. Elle aussi aurait dû être dans sa chambre. Elle aurait dû être en train de rêver.

Mais cette jeune fille ne rêvait de rien d’autre que gravir les échelons vers lesquels on la poussait. Devenir toujours plus forte. Alors, au lieu d’en rêver, elle se levait et l’accomplissait.

Cette volonté fascinait le petit garçon sans qu’il ne comprenne pourquoi. Jour après jour, il avait observé sans s’en lasser sa tresse noire aux mèches rebelles, ses yeux résolus, son nez arrondi, ses tâches de rousseur légères, sa bouche fine, son teint blafard, son corps musclé aux courbes félines et tant d’autres détails sans importance.

Elle se trouvait dans une grande salle aux murs dans laquelle étaient disposés de manière désorganisée des appareils de musculation de taille adaptée à des enfants entre six et dix ans. Au centre se trouvait également un petit ring de combat. Des gants de boxe bleus et rouges y pendaient mollement, abandonnés là pendant la journée. La pièce n’était dotée d’aucune fenêtre, comme le reste du pensionna.

Un autre coup frappé avec ardeur.

Quelques halètements.

Et c’était reparti.

Quand soudain, quelqu’un d’autre pénétra dans la grande salle circulaire. Elle se retourna brusquement, sur le qui vive. C’était la fin du bal des coups. La nouvelle présence arrivée sans bruit par la porte donnant sur le couloir Est fit sursauter Akim.

Il observait jusqu’alors par l’encadrement de la porte, mais se plaqua soudainement contre le mur. L’aile Est était celle des professeurs. Si il était vu par l’un d’entre eux, il était bon pour le fouet et la fillette aussi.

Le petit garçon frémit à l’idée de sa chaire frêle prenant des teintes rouges sous les coups, et son regard s’emplissant de haine pour supporter la douleur.

— Tu es encore là.

Akim sursauta une nouvelle fois en entendant une voix familière, mais se détendis aussitôt. C’était l’entraîneur physique, il ne la dénoncerai pas. La petite fille se tourna vers le professeur Copenhage, de son nom.

— J’arrive pas à dormir, fit elle avec un timbre dur décalé pour son physique enfantin.

Elle recommença aussitôt à frapper. Le professeur arrêta son poing d’un geste vif. Il ancra son regard insistant dans celui de la fillette.

— Tu as un examen décisif demain. Vas te coucher.

Elle soutint son regard.

— Justement. Pas question de refaire un match nul contre Ânko.

La petite fille détendis ses poings et se tourna complètement vers Copenhague. C’était un homme à la silhouette grande et élancée et à l’allure canine.

Son teint pâle était souligné par une bouche rouge et pulpeuse surplombée d’une moustache claire soigneusement taillé et d’un nez allongé. Son crâne était couvert par des cheveux touffus couleur paille, et au coin d’un de ses yeux gris - bleu se dessinait une fine cicatrices qui montait jusqu’à son arcade sourcilière.

Le grand homme soupira.

— Tu ne gagnera rien du tout si tu es épuisée. Ça ne sert à rien de t’entraîner toute la nuit si tu n’as plus de forces pour affronter Ânko demain. Tu sera plus optimale pour combattre si tu vas te coucher maintenant.

Akim esquissa un sourire. Le professeur Copenhage connaissait les mots pour convaincre la fillette. L’expression septique et concentrée qu’affichait son visage enfantin se défit aussitôt pour laisser place à la cordialité.

— Vraiment ?

L’homme sourit. Il était le seul à pouvoir la mettre d’accord aussi facilement.

— Mais oui. Allez dépêche toi d’aller dormir.

Elle desserra les poings.

— D’accord…

Le professeur prit une des petites mains de l’enfant et commença à dérouler les bandages qu’elle avait noués autour.

Une fois que ce fut fait, il les roula soigneusement et les reposa avec délicatesse dans la paume de la fillette. Celle ci referma la main avec force, serrant les morceaux tissu dans son poing. Le grand blond posa une main sur son épaule.

— Tu la vaincra, fit il dans un sourire.

— Je sais, répondis la fillette sûre d’elle.

Il retira sa main aux ongles soignés et la poussa légèrement vers la porte par laquelle Akim regardait la scène.

Le jeune garçon frémit. Si il ne voulait pas être vu, il valait mieux qu’il regagne sa chambre. Il se leva, les articulations endolories et marcha silencieusement vers sa chambre. Les derniers mots prononcés par Copenhage qu’il saisi de la conversation furent:

— Au lit Fukume.

Et il s’éloigna définitivement.

Le petit garçon ouvrit la porte de sa chambre, prenant garde à ne pas la faire grincer et se glissa à l’intérieur. Il se changea rapidement avant de se laisser tomber sur son lit. Après tout, lui aussi avait un examen le lendemain. La pièce était simplement meublée d’un bureau carré, d’un un lit juste assez grand pour que le petit garçon qu’il était puisse se tenir dedans, et d’une petite armoire de rangement. Cet ensemble était faiblement éclairé par une lampe de burau.

Il prit son MP3 jusqu’alors posé sur son oreiller et mis des écouteurs, écoutant au hasard l’une des musiques qu’il avait chargé dessus.

Normalement, les pensionnaires n’avaient pas le droit à ce genre d’objets de l’extérieur, mais il était convaincu qu’il ne faisait rien de mal.

C’était justement le professeur Copenhague qui le lui avait confié. L’entraîneur avait remarqué une chose chez lui: la musique lui apportait la motivation nécessaire pour combattre.

Le professeur s’était alors procuré cet appareil dans le seul et unique but d’améliorer ses capacités. Il lui avait intimé le silence à ce propos, et Akim avait accepté.

La musique se tût. Le petit garçon retira ses écouteurs et se glissa dans son lit.

Avant de s’endormir, il fit un dernier essai pour vérifier qu’il ne perdrait pas le contrôle de sa capacité.

Il ferma les yeux, se concentra et une vague de chaleur intense l’envahi. Il rouvrit les yeux, constatant que ses draps commençaient à fumer.

Il se concentra à nouveau, et cette fois un froids glacial parcouru ses veines, mettant fin au léger filet de fumée qui s’étirait vers le haut quelques instants plus tôt. Satisfait, il revint à la normale et se laissa entraîner par un sommeil lourds.

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