Chapitre XVI 2/3
La porte de l’appartement grince. Il faudra que je pense à huiler les gonds. Alice pose son sac à main sur le canapé, s’enduit les mains de gel hydro-alcoolique et me gratifie d’un sourire fatigué.
- Dure journée aujourd’hui. Je n’ai même pas pu prendre le temps de grignoter un morceau. J’ai envie de m’aérer l’esprit. On sort ?
- Ok ma chérie. Le temps de mettre une veste et c’est parti. Tu as une idée particulière ?
- Non juste envie d’être dehors avec toi. On peut aller se promener dans la rue piétonne. La crêperie marche encore. Je viens de passer devant. Ça te dit ?
- D’accord mon amour.
Dans la rue piétonne, ouverte à la circulation compte tenu de l’heure tardive, il y a encore pas mal de monde, essentiellement des locaux qui retrouvent leur tranquillité et leurs habitudes, passée la saison estivale. Tout ce petit monde est masqué depuis la découverte d’un cluster dans la ville. On flâne sans but particulier, juste le plaisir d’être ensemble parfois main dans la main, parfois bras dessus, bras dessous. Parfois encore Alice pose sa tête sur mon épaule. J’aime ce contact d’une simplicité si évidente qu’il n’en est que plus merveilleux. On passe devant les boutiques, on commente les articles qui nous plaisent, ceux qui attirent notre attention tant ils sont surprenants, amusants voir décalés.
Alice, malgré la fatigue est de bonne humeur, comme d’habitude. Elle plaisante. Elle rit. Elle est espiègle, chipie parfois aussi. Elle parle sans arrêt pour ne rien dire, juste pour que je l’écoute et je bois ses paroles avec plaisir. J’embraye sur ses délires. J’y associe les miens. On est parfois trop sérieux et ça nous amuse. Parfois encore on bascule tous les deux dans un fou rire passager, emporté par la brise nocturne.
Je m’arrête. Je me tourne sur Alice, je baisse son masque. Le mien aussi et je l’embrasse amoureusement en pleine rue. Nos mains cherchent la chaleur de nos corps réunis, de nos épaules, de nos hanches, de nos fesses. Nos langues conversent longuement ensemble. Elles ont encore tant de choses à partager.
- J’avais très envie, là juste maintenant.
Je repositionne le masque sur le visage de ma petite amazone. Je ne vois plus que ses yeux tristes, presque mélancoliques, son front légèrement plissé, ses cheveux et ses oreilles. Je replace moi aussi le mien et nous reprenons notre promenade citadine. Pour autant, j’ai lu dans son regard une certaine anxiété.
- Les choses se précipitent Olivier... Lundi, je vais à Paris.
- Pour y faire quoi ma chérie ?
- Je dois passer des examens complémentaires. Ils vont regarder comment les tumeurs ont évolué depuis le dernier bilan. A l’issue, si j’ai encore le choix, je devrais opter définitivement pour la conservation ou non de mes seins. Tu en penses quoi toi ?
- Je pense Alice que la décision t’appartient. C’est ton corps et mes critères risquent d’être différents des tiens. Moi je suis là pour t’épauler et te soutenir sur le choix que tu feras.
- J’ai peur et j’ai hâte en même temps. Lundi … Je … Je saurais.
- Tu sauras quoi ?
- Je saurais si les asticots vont bientôt s’occuper de moi, si je serais en sursis avec un traitement qui risquera de s’éterniser ou si je pourrais envisager rapidement de tourner la page et vivre presque normalement. C’est super angoissant d’attendre, de ne pas savoir.
- Tu veux que je t’accompagne à Paris ?
- Non, Olivier. Je veux y aller seule, regarder en face mon avenir et je souhaite de tout mon cœur qu’il y aura encore quelque chose à regarder. Je rentrerais probablement tard dans la nuit. J'espère ne pas être trop fatiguée. Parfois j’ai l’impression d’être hyper pessimiste mais c’est surtout que j’ai le trouillomètre à zéro. Avec toi j’oublie, je m’évade de mes préoccupations existentielles et ça me fait un bien fou.
Alice continue.
- J’avais une consultation avec un psychiatre cet après-midi. C’est toujours un peu pénible et je n’aime pas parler de moi, de ma vie. Et là, j’avais besoin. Je lui ai dit que j’étais heureuse comme jamais et que par cette foutue maladie, je risquais de tout faire basculer d’un côté ou de l’autre et que l’attente était juste mentalement insupportable. J’ai pleuré comme une gamine. Il m’a demandé si à la maison, j'avais quelqu’un sur qui compter. Je lui ai parlé de toi. De ta force tranquille, de ta capacité à comprendre, de ton soutien. Je lui ai dit que, même si pour toi la situation n'était pas évidente, tu te débrouillais comme un chef. Je t’aime mon chéri. Je ne sais pas ce que je ferais sans toi. On rentre chez nous ? je commence à avoir un peu froid.
- Yes ma puce. Demi-tour, direction notre "sweet home".
Dans le hall de l’immeuble, on peut enfin retirer nos masques. L’ascenseur nous amène au troisième étage. J’ai failli me tromper en appuyant sur le bouton.
- Tu sais quoi ? On était parti pour manger une crêpe et on a oublié. C’est trop drôle. N’empêche que maintenant, j’ai une faim de loup.
- Ça tombe bien ma chérie, j’avais préparé une petite salade de crudités pour ce soir.
- Génial mon cœur. Je mets la table. Sors-nous une petite bouteille de rosé bien frais. Ce soir, j’ai envie d’être coquine.
- Encore ? Mais tu es insatiable !!!
- C’est surtout que j’ai beaucoup de temps à rattraper et comme tu ne te débrouilles pas trop mal, autant en profiter.
- Comment ça pas trop mal ? Je suis un pur dieu de l’amour.
- Oui c’est cela. N’en fais pas trop, tu as déjà les chevilles qui enflent. Allez à table mon amour. J’ai une idée.
- Oulà ! Toi et tes idées, ça m’inquiète toujours.
- Le premier qui a terminé son assiette sera le chef d’orchestre de la partie de jambes en l’air ce soir. D’accord ?
Les yeux d’Alice brillent de complicité. Provocatrice jusqu’au bout des ongles, elle me défie avec un sourire narquois comme elle sait si bien faire avec toute l’innocence de sa culpabilité. Elle a du cran mon amoureuse et j’avoue que ça me plaît énormément.
Le challenge est à ma portée et je repense à la petite culotte cachée sous son oreiller. Elle ne pourra pas reculer, prise à son propre piège. Et si je venais à perdre, la petite culotte attendra et je me plierais volontairement et avec plaisir à tous ses caprices avec délectation. Mais en attendant, chacun pour soi, rien que pour la gagne.
- Ok ma chérie. C’est parti.
Je ne détaillerais pas ici le dérouler du repas. Disons que nous avons mis de côté les bonnes manières. Et on s’est tous les deux jetés sur nos crudités sans couvert et avec un regard amusé sur les mimiques provoquées par l’autre. On a frisé le match nul à une feuille de salade prés qui avait glissé à côté de son assiette. Elle a hululé à l’injustice, au scandale, à la machination et il a fallu que je la poursuive dans l’appartement pour finir par la coincer dans un coin où, à bout de souffle enfin, elle a commencé à envisager d’accepter l’éventualité d’une hypothétique défaite.
- Pfiou !!! tu m’en fais baver toi.
Je prends dans mes bras ma victoire et je la porte jusqu’au lit. Je fanfaronne comme elle le faisait ce matin et bizarrement elle a toujours autant d’aplomb. Son chemisier tombe à terre. La ceinture de son jean est dégrafée. Le bouton qui maintient le pantalon sur les hanches est lui aussi déboutonné et je m’attaque à la fermeture éclair qui n’oppose aucune résistance.
- Ben je croyais que tu l’avais mise au panier à linge ?
- Surprise mon chéri.
Le plan « A » vient de prendre du plomb dans l’aile. Le plan « B » me dit qu’un zeste d’opportunisme va me permettre de jouer avec les nœuds de sa petite culotte et ce n’est pas pour me déplaire. Mais en ma qualité de chef d’orchestre, j’ai le vague sentiment de m’être fait rouler dans la farine.
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