Chapitre XX 3/4

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Je suis fébrile. L’icône est souriante. Le scénario le plus dramatique vient de prendre une claque, j’en suis convaincu. Elle va vivre. Ma petite chérie va vivre. Le soulagement est tel que je pleure maintenant à grosses larmes tant la tension interne est immense. Je me sens libéré d’un fardeau bien trop encombrant et contrairement à ce que j’aurai pu penser, je sens mes muscles se relâcher, presque m’abandonner. J’ai besoin de m’asseoir. Il me faut évacuer le stress très vite car je suis pressé d’entendre sa voix au téléphone. Je souris. Je ris nerveusement. En même temps, je pleure toutes les larmes de mon corps. J’ai conscience que tout n’est pas gagné, qu’il reste encore à connaître les conditions qui lui permettront de vivre le plus normalement possible. Elle attend mon appel. J’hésite encore quelques secondes avant de composer son numéro.

Je réalise que le mode de communication qu’elle m’a imposé me protège. Avec le SMS, je gère le délai qui me permet de réguler mes émotions. Elle le savait. Elle ne m’a rien dit. Elle a juste cherché à me préserver. Elle est super douée en psychologie mon amoureuse et elle est super attentionnée.

Avec sa sonorité caractéristique, l’appel est lancé. Alice décroche immédiatement.

- Ma puce ?

- Oui mon chéri.

Le timbre de sa voix me fait chaud au cœur. Cela fait presque une éternité que je ne l’ai pas entendue. Et mon dieu que c’est bon. Des larmes naissantes s’épanchent épisodiquement sur mes joues, impossible de les refouler. J’ai subitement peur d’avoir mal interprété son smiley. Et si … J’essaye de prendre un ton détaché, mais je n’y arrive pas. J’ai du mal à articuler. Je vais à l’essentiel, tout simplement.

- Alors ?

- Je suis contente. A priori ça se présente plutôt bien, voire même très bien. Sans rentrer dans le détail, la tumeur au sein droit n’a pas évolué depuis le dernier bilan. Sur le sein gauche, c’est différent puisque la tumeur est plus conséquente. Elle s’est étendue aux tissus voisins mais il semblerait qu’elle soit restée cantonnée à l’intérieur du sein sans déborder par ailleurs. Il n’y a pas d’autre solution que l’ablation totale. Pour l'instant, ils n’ont pas détecté de métastases dans mon corps. Si cela se confirme lors de l’opération, je devrais m’en sortir. Voilà, tu sais l’essentiel. Je te donnerai plus de détail en rentrant. Mais déjà, je suis rassurée. J’ai pleuré pour évacuer tout le stress accumulé, peut-être aussi de joie enfin, c’est relatif évidemment. En sortant, j’avais envie que tu sois là. Je voulais tes bras pour me protéger comme tu sais si bien faire, ta voix pour me réconforter, tes mains pour me consoler. Je regrette de t’avoir demandé de ne pas m’accompagner. Je ne m’en suis pas rendu compte mais c’était une erreur, une grossière erreur. J'ai l'impression d'avoir laissé la moitié de moi la-haut dans le Nord. Tu me manques tellement. Là je vais reprendre la route. Avec les bouchons et la circulation, j’en ai environ pour trois heures avant de venir me serrer contre toi. Je suis fatiguée mais heureuse. Je t’embrasse mon amour. Mets une bouteille de champagne au frais. Je t’aime.

- Je suis content ma puce. On va enfin pouvoir se tourner vers notre avenir et j’ai plein d’idées sur le sujet. Je t’aime très fort. Fais attention à toi sur la route, Météo France annonce des orages violents pour les Hauts de France. La bouteille de champ est déjà au frais. A tout à l’heure ma chérie. Je suis vraiment heureux moi aussi. Tout plein de bisous d’amour.

- °° -

Je décide de m’accorder quelques instants sur le canapé. J’ai besoin de prendre une peu de distance avec ces tourments pour le moins déstabilisants. Et heureusement maintenant, ils s’affichent derrière.

Alice me surprend par sa force, son caractère, son audace, sa soif de vivre aussi. Je suis loin d’arriver à sa hauteur. C’est une femme formidable, exceptionnelle. Et cette femme, je voudrai maintenant qu’elle soit mienne, non pas dans la possession, juste dans l’esprit. Ne faire qu’un passionnément, se donner l’un à l’autre avec une fièvre folle, corps et âme sans autre modération que notre amour, juste endiablé par la puissance de nos désirs, à la vie, … à la mort. Si elle doit être mienne, je me dois d’être sienne. C’est pour moi une totale évidence.

Ma bonne humeur vient balayer mes chagrins, sans transition. Je me lève, direction la cuisine. Pour le repas, j’opte pour des crudités. A l’heure où elle rentrera, je pense qu’elle n’aura pas une faim de loup et puis il faut bien avouer que mes talents culinaires sont plutôt limités. Il faut parfois savoir se résigner à l’essentiel.

Sur la terrasse, les coupes attendent impatiemment les bulles. Quelques grignotines disposées pour l’apéritif se chamaillent sur la table basse. Les serviettes en papier fleurissent les couverts avec, sous l’une d’elles, une légère proéminence. J’hésite. Je suis indécis. Peut-être n’est-ce pas le meilleur moment ? Et puis, c’est banal, ça manque de romantisme. Je change d’avis. Demain, peut-être lors de la promenade sur la plage. Le contexte me semble plus approprié. Je retire la boîte de feutrine bleu-nuit pour la ranger en lieu sûr.

J’entends au loin gronder l’orage.

- °° -

La clé dans la serrure, la porte grince. Ma puce apparaît dans l’encadrement. Elle est sérieuse. Elle me regarde et la pièce s’illumine de son sourire merveilleux. Elle pose sa petite valisette. Elle se précipite dans mes bras.

- Doucement mon chéri, fais attention c’est encore douloureux.

J’étais convaincu que chaque jour passé à ses côtés atteignait un sommet sentimental si énorme qu’il était impossible d’aller au-delà. Je pensais naïvement que ce jour passé en sa compagnie était si exceptionnel, si beau, qu’il fallait le graver dans ma mémoire pour pouvoir le conserver comme un record éternel. Et le jour suivant, dans les bras de mon amoureuse, parfois même sans rien faire, je m’apercevais que le jour d’après était juste banal, insignifiant, balayé par une intensité mille fois plus forte encore. L’amour au-delà de l’amour, je n’ai pas de mot mais je sais que c’est bien ce que je suis en train de vivre en ce moment avec elle.

Je l’entraîne sur la terrasse. Je prends sa tête entre mes mains, tout en délicatesse, mes yeux pétillent d’amour devant la beauté juvénile de son sourire, ses pupilles magnifiques me dévorent. Ses lèvres me désirent, les miennes sont au bord de l’agonie et lorsqu’elles se rencontrent, lorsqu’elles s’effleurent pour mieux se dévoiler, c’est l’explosion des sens où la perte de soi s’enhardit des retrouvailles de l’autre. Le bout de sa langue toute rose tente une incursion timide. Mes lèvres l’emprisonnent avec délice. Elle rit et je fonds. Les défenses volent en éclat laissant libre court à la petite ingénue téméraire qui, sortie de sa cachette, croise sans aucune difficulté son homologue, toute aussi espiègle.

Elles dansent, papilles contre papilles, langoureusement, passionnément. Elles s’enflamment maintenant pour combler les longues heures d’absence qu’on a osé leurs infliger, comme un sacrilège purement inacceptable. Il y a tant à rattraper que plus rien n’existe que ce baiser si profond, si délicieux.

Une saveur salée vient se faufiler parfois entre nos lèvres, humidifiant davantage encore nos muqueuses gourmandes. Je sais qu’Alice pleure mais je ne sais pas encore qu’elle pleure de bonheur.

- Ça va ma chérie ?

J’essuie ses larmes avec mes doigts. J’en profite pour dessiner un tout petit cœur sur l’une de ses joues avec l’humidité récupérée que je m’empresse d’embrasser. Mes lèvres en profitent pour assécher ses paupières inondées.

- Maintenant que tu es là, ça va beaucoup mieux me souffle t’elle.

Elle pose sa tête toute chaude sur mon épaule. Dans mon corps, c’est la féerie de la sérénité retrouvée. Mon appareil sexuel mis en émoi par ce somptueux baiser repasse en apnée, outré d’avoir été éveillé pour si peu.

- °° -

Le ciel se déchaîne. Nous rentrons précipitamment dans l’appartement.

- °° -

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