Chapitre XXIV 1/5
Au réveil, pas de mail sur ma messagerie en ce lundi matin. A sept heures, il est évidemment trop tôt. J’attends les résultats avec une impatience non contenue d’autant plus qu’hier après-midi j’ai échafaudé un plan. Si je suis positif, pas d’autre solution que de rester confiné ici et mon scénario tombe à l’eau. En revanche, si tel n’est pas le cas, je prends une semaine de congés et je retrouve Alice chez ses parents. Je ne lui en ai pas encore parlé mais je suis sûr qu’elle sera ravie. Par la SNCF c’est compliqué sauf si Alice peut me récupérer à la gare de Clermont-Ferrand. En voiture, c’est faisable en sept heures de route. Pour descendre, la voiture de location semble d'ailleurs être la meilleure alternative, ce qui me permettra au retour de remonter avec Alice.
J’ai essayé de recontacter Jean. Pas moyen, je tombe inlassablement sur son répondeur et il ne rappelle pas. J’espère que tout va bien pour lui. J’ai placé Gaétan et Marie en confinement jusqu’à la parution de leurs résultats.
A huit heures, le message tant attendu tombe dans ma messagerie. Je suis négatif au coronavirus. J’appelle de suite Johanna et Manon dans la foulée. Elles me confirment ne pas avoir été infectées elles-aussi. Je suis soulagé. Je m'empresse de contacter Alice pour lui exposer mon plan et contrairement à ce que je pensais, elle ne saute pas de joie.
- Euh, tu sais Olivier, chez mes parents, c’est perdu dans la nature. C’est un petit hameau composé de quatre ou cinq fermes en plein vent. Je suis sûre que tu ne vas pas aimer. Il n’y a rien que des champs et des vaches.
- Ma chérie, d’une part, j’aime bien la nature. D’autre part, je serai avec toi et c’est tout ce qui compte pour moi.
- Oui mais c’est loin de tout. Il n’y a pas de confort. Le chauffage, l’eau chaude tout cela est spartiate. La douche est archaïque et il n’y a ni Internet, ni même la 4G. Ils n’ont même pas toutes les chaînes de la TNT pour te dire. Comme zone blanche, on ne fait pas mieux.
- Bon, si je comprends bien, tu ne veux pas que je vienne ?
- Non ce n’est pas ça mon chéri mais une semaine là-bas, je crains que tu t’ennuies profondément. Tu n'es pas habitué. Moi je vais avoir besoin de me reposer. Sérieusement Olivier, j’ai peur que tu tournes en rond et si par malheur il venait à pleuvoir, c’est encore plus redoutable.
- M’ennuyer avec toi mais c’est n’importe quoi ma puce. Tu le sais bien ! Et puis j’ai envie de connaître tes parents, de découvrir le pays de ta jeunesse.
- Bon allez viens ! Interdiction de râler et tu me laisseras faire ce que je veux ?
- Bien sûr ma puce, quelle question !
- Je vais les prévenir que nous serons deux. Et puis je suis très heureuse à l’idée de passer quelques jours avec toi dans ma région natale.
- Yes ! Moi aussi et je suis déjà sur le pied de guerre ; Ma valise est prête, il n’y a plus qu’à. Je passe voir « Voie-Lactée » avant de prendre la route et hop dans sept heures, dans tes bras ma puce.
- Super Olivier. Moi je suis encore à l’hôpital. J’attends le médecin qui doit me délivrer le bon de sortie. Ma ménopause chimique a été arrêtée, donc si tu retrouves tes préservatifs, c’est le moment. Je t’attendrai à Condat, en face de la mairie. Bonne route.
- Bonne route à toi aussi ma puce et pas d'imprudence surtout sans la ceinture de sécurité.
- °° -
Dix-huit heures, je stationne ma voiture de location sur le parking de la mairie. Des appels de phares. Une portière qui s’ouvre et ma chérie qui accourt tout sourire. J’ai conscience que dans l’étreinte, il me faut veiller à ne pas effleurer ses seins. Nos lèvres trop heureuses de se retrouver décident de faire la fête. Impossible de les arrêter.
Ma chérie à un visage marqué, plus fatigué que d’ordinaire mais son sourire est toujours aussi magique.
- Tu as fait bonne route ma puce ?
- Oui, ça peut aller. Lorsque le revêtement est bon tout va bien. Ça tire un peu lorsqu’il y a des cahots mais dans l’ensemble, ça s’est plutôt bien passé. Prends tes bagages et laisse la voiture ici, on la restituera demain.
Le transfert effectué. Alice me laisse conduire. Je fais attention aux nids de poule. La route qui mène chez ses parents est goudronnée mais on n’y passe pas à deux de front. Elle serpente dans les bois pour prendre de l’altitude. Le paysage est impressionnant surtout lorsque les plaines verdoyantes chassent les arbres centenaires. La route grimpe tranquillement vers les sommets longeant des versants usés par le temps. Après une dizaine de kilomètres :
- C’est le petit chemin à droite Olivier.
Alice est excitée. Elle a les yeux brillants lorsque je m’engage dans l’allée caillouteuse. D’ici on ne voit que le toit d’un immense hangar avant de plonger en contrebas sur les bâtiments de la ferme qui se découvrent au fur et à mesure que nous avançons. Je gare le véhicule dans la cour. Je sors de la voiture et je m’empresse d’aller ouvrir la portière d’Alice.
Mon amoureuse est radieuse. Elle me donne sa main.
- Je suis toute intimidée. Je n’ai même pas réfléchi à la façon dont j’allais te présenter mon chéri.
La porte de la maisonnette s’ouvre.
- °° -
Le premier à nous accueillir s’appelle Youki, un chien griffon tout noir, la queue en perpétuel mouvement. Il vient flairer mes chaussures de ville, peu habitué à ces odeurs venues d’un autre monde. Il me délaisse assez vite pour Alice, trop content de la retrouver. Dans l’encadrement de la porte un homme grand, costaud me dévisage avec un regard généreux, presque chaleureux sous un sourire voilé de tristesse.
- Roger, mon père. Olivier mon fiancé.
Elle ne s’est pas foulée mon amoureuse. Mais le principal y était et la poignée de main qui a suivi était d’une telle sincérité que je l’ai ressentie comme une providence. Derrière une petite femme ordinaire, mince, jolie malgré l’impact du temps, avec des yeux noisette que je reconnais sans hésitation, tout de noir vêtue. Je suis stupéfié par la ressemblance.
- Chantal, ma maman.
Chantal me serre la main. Ses yeux sont identiques aux yeux d’Alice si ce n’est qu’il y a au fond des pupilles, une infinie tristesse qu’elle cache derrière un sourire presque contraint. La distanciation sociale n’est pas encore arrivée jusqu’ici. On est loin, très loin des préoccupations citadines, dans un environnement encore préservé par la faiblesse démographique.
- Entrez, je vous en prie.
On échange quelques banalités avant de se réunir autour de la table de cuisine pour l’apéritif, une gentiane fait-maison. On trinque à notre santé et à notre arrivée.
Il y a dans cette pièce quelque chose de pesant. Un silence profond que nos paroles n’arrivent pas à meubler. Chantal et Roger sont face à nous. Alice me prend la main. Elle me glisse un regard furtif, presque gênée de m’avoir amené jusqu’ici, au cœur de la simplicité. La lueur du jour diminue à travers les fenêtres de petites tailles et la lumière artificielle vient alimenter ce déclin naturel. Roger a le teint buriné par le soleil, tout comme Chantal d’ailleurs. Au-dessus de la cheminée feu de bois, une photo de famille en monochrome. Je reconnais de suite le visage enfantin d’Alice, de ses parents. Mon amoureuse tient par les épaules un jeune garçon. Un peu plus loin, accroché au mur un portait qui ressemble à cet enfant. Je m’interroge. Alice pour moi était fille unique. Elle n’a jamais évoqué la présence d’une fratrie. Et, subitement, je comprends qu’il s’est passé ici quelque chose de terrible, quelque chose que la décence ne peut accepter tant la blessure dans la chair doit être profonde.
Alice me regarde et j’ai le sentiment qu’elle lit dans mes pensées. Elle ne dit rien mais j’ai l’intime conviction qu’elle a deviné que j’ai compris. Par une infime pression de sa main contre la mienne, elle m’invite à garder le silence sur ce que je viens de découvrir.
On passe à table. Je manifeste beaucoup d’intérêt pour les races auvergnates et notamment les vaches Salers qui sont reconnaissables à leur robe dorée et leurs cornes agressives en forme de lyre. Roger m’invite à participer à la traite du matin. Il me donne rendez-vous à cinq heures et demi pour escorter les ruminants du pâturage voisin à l’étable. J’accepte avec plaisir même si l’heure sonne plutôt la disgrâce dans mon esprit et j’avais en vue d’autres velléités bien matinales avec ma petite chérie. Ça ne sera que partie remise.
On se sépare. Notre chambre est à l’étage. On y accède par un petit escalier extérieur. A l’intérieur, c’est la simplicité même ; un lit d’un autre âge, hors norme, avec un matelas dans lequel nos corps s’enfoncent mollement et un sommier grinçant. On trouve aussi une petite commode sans fantaisie qui ferait pâlir d’envie les brocanteurs parisiens, un point d’eau avec une vasque agréablement travaillée, si petite qu’on imagine déjà le brin de toilette plutôt compliqué, un broc d’eau vide sur une chaise paillée jouxtant le lavabo et un bureau tout simple. Quelques cadres posés depuis une éternité surveillent l’agitation des lieux. Les draps sont lourds, épais, bien loin de ceux commercialisés aujourd’hui. Le parquet en chêne massif grince lui aussi dès qu’on pose le pied dessus.
Je regarde amusé ce décor moyenâgeux.
- Ma chambre. Elle te plaît ?
- C’est rigolo, un peu décalé mais avec le charme d’antan.
- Je t’avais prévenue.
Je pose valises et sacs sur le parquet et mes mains libérées viennent caresser le visage rayonnant de mon amoureuse.
- Viens, regarde !
Alice m’a pris la main et elle m’emmène près de la fenêtre.
- Assieds-toi à côté de moi. Tu vois, c’est ici que mes rêves prenaient source, des rêves de petites filles bien sage devant l’immensité de ce paysage. Je connais chaque aspérité, chaque arbre, presque chaque brindille qui poussent ici dans la vallée. Tu vois là-bas, il y a un petit court d’eau. Demain, je t’y emmènerai. On peut s’y baigner. Avec mon petit frère, on avait construit un barrage qui n’a pas résisté bien longtemps. J’aimerais beaucoup le reconstruire avec toi.
- Je ne savais pas que tu avais un frère ?
- Il a disparu à l’âge de seize ans, happé par une machine agricole sur laquelle il intervenait. C’est mon père que l’a trouvé. Mes parents ne s’en sont pas remis, surtout ma maman. Ils continuent à porter le deuil. A la maison, on n’en parle jamais, le sujet est tabou. Quand je me suis rendu-compte que tu avais compris, j’ai craint un instant que tu interroges. Et comme à ton habitude, tu as été super discret.
- Je comprends mieux. J’ai trouvé effectivement beaucoup de tristesse dans leur générosité. J’ai été impressionné par la simplicité de l’accueil mais il y avait énormément de chaleur. J’ai apprécié. Tu vois que je ne suis pas le monstre de technologie imbus de sa modernité ? Je suis bien avec toi, si bien que partout où tu es, je me sens bien parce que tu es là. Je t’aime ma chérie. Ça fait longtemps que je ne te l’avais pas dit. Si on allait se coucher ? Demain il faut que je me lève tôt pour la traite et je voudrais profiter ce soir, avant de m’endormir, de ta nouvelle poitrine.
- Embrasse-moi gros coquin et pour jouir de ma poitrine, faudra commencer par demander très très gentiment.
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