Enfin, il me sort…

Il doit avoir un contrat ou un chèque à signer, parce que sinon, il ne me sort presque jamais, je reste dans le tiroir de son bureau. Ça fait bien longtemps qu’il n’écrit plus avec moi. Tellement on lui a dit qu’il écrivait « comme un cochon » qu’il a fini par jeter l’éponge (et moi, par la même occasion). Du coup, je passe mes journées dans le noir du tiroir, avec les ciseaux, le cutter, la gomme et quelques papiers qu’il garde sans doute précieusement.

On s’ennuie un peu tous — il ne nous utilise pas fréquemment — alors on se raconte des blagues. Marcel, le cutter, a très souvent de bonnes histoires drôles, bien tranchantes. Heureusement qu’on rit en silence, sinon, il aurait l’impression que son bureau est hanté. On ne veut pas lui faire peur. C’est juste qu’on s’emmerde…

Je crois que la dernière occasion où je suis sorti, c’était pour ratifier un mandat de vente. Ah non, c’était une procuration pour signer un compromis de vente concernant sa maison. Pour la troisième fois, c’est tombé à l’eau. Il n’a pas de chance quand même. Ce qui me console, c’est qu’il devra bien m'utiliser au moins une fois, pour une nouvelle procuration, en espérant que cette fois-ci ça sera la bonne…

Ah mince, il vient de me reposer, sans m’avoir employé. Fausse alerte. Il devait juste vérifier que j’étais bien là. Faut dire qu’à force de ne se servir que de ce foutu clavier de son ordinateur, il doit parfois se demander où je suis et s’il me trouvera le jour où il aura vraiment besoin de moi.

Allez, je retourne me coucher, bonne nuit.