Lettre à Bordeciel
Lointaine contrée que j’adore,
C’est jadis le récit d’un voyageur qui m’a fait te découvrir, et des images qui m’ont fait rêver, jusqu’à ce qu’un jour, enfin, je parcoure tes sentiers.
Je ne suis pas friand des contrées froides et austères, et j’ai craint de te fuir, avant de comprendre que tes trésors recèlent plus que le vent ne peut rebuter. J’ai compris la beauté de tes rigueurs hivernales, l’immuabilité d’un paysage figé par la neige et même, lorsque se lèvent les lunes, le ciel qui se pare d’aurores aux mille couleurs.
Enclavée, tout au nord, tu sembles isolée et solitaire ; c’est ce que j’ai ressenti, tout d’abord, le long de tes routes ou gravissant tes sommets. Mais lorsque, d’un regard, j’embrasse ton pays jusqu’à horizon, mon cœur se gonfle d’un sentiment si rare et si précieux : la liberté.
A chacun de mes pas je promène mes yeux et vois ton histoire. Des ruines qui émergent de sous-sols mystérieux, des statues majestueuses aux visages du passé : tu es le berceau des humains, nul ne peut le nier, tant tes racines sont profondes sous ces légendes millénaires.
Quand je parcours, serein, les berges de la mer, j’imagine au loin la terre de nos ancêtres. Le vent du nord me fouette et les glaciers m’effraient de leur masse titanesque, mais je rêve d’un jour m’embarquer pour le large.
Pourtant je reste là, amoureux de ton sol, épris de tes sommets vertigineux. Au loin, vers le sud, la Gorge du Monde, la montagne de Kyne ; assurément c’est elle qui m’a appelé, ses forêts et ses vents t’habillent fièrement, quand je parcours le sud, d’Epervine à la Brèche. Parmis les arbres feuillus aux couleurs automnales, je bifurque alors vers le nord où, bientôt, ton sol crevassé se parsème de multiples petits lacs aux eaux chaudes et où, las, je m’immerge sans crainte.
J’aime marcher sans but, me perdre au gré des sentiers, découvrir des endroits que j’imagine être le premier à voir. Tes contrées me surprennent à chaque instant, et si je les quitte un beau jour, j’y reviens l’année suivante.
Je m’étonne toujours lorsque, pensant te connaître mieux que ma propre patrie, je tombe sur un bourg, un chemin, une clairière que jamais je n’ai vue. Alors j’ai l’impression de venir pour la première fois, et les sentiments qui me traversent sont les mêmes que ces jours, déjà si lointains, où je t’ai rencontrée.
Je suis les rivières qui sinuent, comme des veines, entre tes cimes bordant les cieux et quand, loin de toi, je ferme les yeux et m’endors, parfois tu m’appelles et fais naître une vision : tu veux que je reviennes.
Je vais revenir. Ton souvenir m’obsède, et quand je vois des photos de tes étendues infinies le bonheur m’envahit, car mon esprit est déjà à toi.
Je vais revenir. Tout paraît si morne, si triste et banal ici. Rien ne me surprend plus, et la nature semble prisonnière. Laisse-moi m’évader, me perdre en toi.
Je vais revenir. Déjà, j’ai l’impression de t’oublier un peu et cela me terrifie. Même si je connais par cœur le moindre détour de tes chemins, je dois me rassurer.
Et tu me rassures.
J’arrive.
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