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– Fadaises ! Sornettes et balivernes ! Vous nous entendez ? On dirait trois gamins en train de se faire peur au coin d’un feu ! sermonna Ivan.
Éléna, arrachée à ses tergiversations, dut admettre qu’il n’avait pas tort :
– Tu as raison. Je crois bien que nous nous montons le bourrichon.
Ivana ricana et reprit aussi ses esprits :
– Oui, de toute façon il ne sert à rien d’exposer nos craintes maintenant. Ce n’est plus le jour. Je crois que la pression et l’excitation de l’instant nous ont quelque peu angoissés.
– Et si nos peurs étaient fondées, nous en aurions parlé entre nous bien avant, argumenta Ivan.
– Et si nos peurs étaient fondées, croire à une sombre essence en train d’interagir sur notre destinée, qui nous soufflerait au creux de l’oreille où aller et que faire, équivaudrait à nous convertir en chasseurs du surnaturel ! se moqua d’eux-mêmes Éléna.
– Mon bichon, Éléna, vous avez vu où on en est ? On se dirait revenus au temps passé des pyramides, au temps où tout le monde imaginait – se persuadait ? – qu’ouvrir le tombeau du pharaon et déranger la momie entraîneraient une terrible malédiction.
– Oh, non ! La momie va se réveiller, nous mourrons tous dans l’année et nous serons maudits sur les huit générations à venir ! vociféra Ivan.
– Chéri, n’exagère pas, sept suffiront.
– Pitié, pour le bien de l’humanité faites que nous n’en arrivions jamais à autant de générations d’Ivan’s !
La tension évacuée, tous respirèrent et se trouvèrent bien ridicules.
Pas très longtemps, car au loin, un nuage de corbeaux s’envola et des croassements répétés, bruyants, un brin agressifs, heurtèrent leurs tympans. Ivana grimaça :
– Oui, bon, euh… ce n’est pas un signe ça, hein ?
– Ce funeste piaillement volatile ? demanda timidement Ivan, à nouveau d’humeur moins frivole.
– Je ne vois pas du tout, mais alors pas du tout ce que vous voulez dire, mentit Éléna. Ces corbeaux, euh… chantent… ils m’ont l’air joyeux, là… tout à fait heureux, non ?
Ivan décida de ne pas se laisser envahir par une anxiété injustifiée et initiée par de simples croassements, tout aussi inquiétants soient-ils ; à sa façon, il traduisit leur langage :
– Mais oui, c’est ça ! Ils nous disent : « allez-y, magnez-vous, arrêtez de discuter et profitez pleinement de votre merveilleuse découverte à venir ! ».
– Ah mais oui ! interpréta également Ivana. Les corbeaux sont morbides, tout le monde le sait, ils sont nuisibles, ils ont une intonation machiavélique, mais leurs propos ne le sont pas obligatoirement, c’est juste un style qu’ils se donnent, assurément !
– Je suis heureuse de voir que vous parlez si bien le corbeau, se rassura Éléna. Sinon j’aurais pris mes jambes à mon cou, j’aurais couru des heures durant, voire des jours entiers, j’aurais sauté dans le premier avion disponible, je serais retournée en France, j’aurais brûlé l’ensemble de mes recherches, je me serais rendue à l’église, j’aurais allumé deux ou trois cierges, j’en aurais profité pour me confesser et j’aurais été quémander un modeste, paisible et tranquille poste de bibliothécaire au fin fond de la modeste, tranquille et paisible bibliothèque de Chambon-sur-Voueize ! Mais ouf, me voici soulagée.
– Éléna, tu n’es même pas baptisée, lui rappela Ivana.
– Éléna, je ne suis pas sûre qu'il y ait une bibliothèque à Chambon… sous machin-truc.
– Ah… oui, j’oubliais ces détails. Du coup, puisque mon plan B tombe à l’eau, plus qu’à… rester, traduire cette pierre et arrêter d’interpréter des signes tels des maraboutans charlateurs !
– Que voilà une bonne idée, approuva vivement Ivan.
– Et bah alors on est repartis, place à ta traduction, sœurette !
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