– Alors en ce jour prochain, sur cette pierre... puis si je me rappelle bien il y a cette histoire de truc caché en son sein, de trois croassements, puis la délivrance, c’est ça, hein ?

Les paroles d’Ivana sortirent Ivan de ses pensées :

– Euh… hein ? Quoi ?

Éléna, qui suivait le fil, reprit la fin exacte de la traduction :

– Alors en ce jour prochain, sur cette pierre, en son sein caché, ton âme illuminée, de par trois croassements libérateurs, ta délivrance proclamée.

– Ah, tu voulais que je te redise la fin, comprit Ivan avec retardement.

– Oui, les termes exacts, je voulais les termes exacts, c’est important.

– Certes, mais… Chérie, tu sais que ce n’est qu’une traduction approximative, hein ?

– Oui, appelle-moi cruche, grimaça Ivana en signe d’agacement. Mais regarde, même si c’est approximatif, le début et la moitié du message sont assez, pour ne pas dire parfaitement, limpides. On en a bien compris le sens, et on vient juste de réussir à en faire une interprétation cohérente, non ?

– Hum… alors que la fin est en effet beaucoup plus énigmatique, anticipa Ivan.

– Voire même incompréhensible, surenchérit Éléna.

– Et on arrive là où je voulais en venir : je suis certaine que des indices sont cachés dans cette dernière phrase.

Ivan, par des hochements de tête répétés, approuva.

Éléna croisa les bras, réfléchit quelques secondes, et, au risque de se répéter, dût admettre que sa sœur avait peut-être raison :

– C’est vrai que cette fin est bien étrange, bizarrement construite.

Heureuse de voir son raisonnement faire mouche, Ivana s’égailla d’un large sourire.

– Donc pour toi nous sommes face à un message caché ? voulut s’assurer Ivan.

– Pour moi nous sommes face à des directives, expliqua Ivana plus incisive.

– Carrément ! Qu’est-ce qui te fait dire ça, sœurette ?

« Oh, oh, oh, mes chers corbeaux, ces trois-là sont aussi futés que je l’espérais. Allez, lancez-vous, vous y êtes presque. »

– Je ne sais pas trop, le ton employé, la gravité, le…

– Je vote pour directives cachées ! trancha Ivan.

Éléna l’ignora, l’attention maintenant captée, son esprit s’affolait :

– Oui, je crois que tu as vu juste, il y a là un mystère à éclaircir ; cette fin nous pousse à agir.

– Qu’est-ce que ça vous évoque ? Allez, lancez toutes les idées qui vous viennent, comme ça, vite ! les mit au défi Ivan.

« À leur place, je commencerais par le plus facile : trois croassements… »

Ivana, prise de court, resta silencieuse. Éléna, par contre, s’élança :

– Croassement égal corbeaux.

« C’est un début. »

– Sein égal nichon ! répliqua aussitôt Ivan.

« Navrant… Futé, avais-je dit ? »

Éléna et Ivana, à nouveau désespérées face à cette remarque puérile, soupirèrent à l’unisson. Ivan haussa les épaules :

– Quoi ? Arrêtez de me regardez comme ça ! C’est l’idée qui m’est venue…

– J’aurais dû me douter que tu ne t’attaquerais pas à l’âme illuminée, le tacla Éléna.

Feignant ne pas avoir entendu, Ivan ne prit pas la peine de digresser et en revint à la première idée lancée :

– Croassement égal corbeaux, tu disais.

– On ne les a pas appelés « Corvus » pour rien. On sait que les corbeaux sont très liés à ce peuple, rappela Ivana.

– Oui, enfin… de là à… en voir autant dans ces plaines, à ce que l’un d’eux nous attaque subitement, à ce qu’ils disparaissent soudainement, à penser qu’ils nous épient en cachette... c’est plus qu’un lien, c’est troublant et ça commencerait presque à me faire peur, avoua Ivan.

– On en revient à notre discussion sur le surnaturel, fit remarquer Ivana.

Éléna, ne souhaitant pas s’étendre à nouveau sur le sujet, ne s’engagea pas dans cette direction et, mine de rien, continua son interprétation :

– Trois. Trois croassements. Donc trois corbeaux.

– Ou trois scientifiques rationnels et professionnels, avertit Ivan.

Éléna le fixa :

– Tu sous-entends quoi ? Que le hasard fait bien les choses ?

– Je sous-entends qu’il y a écrit "trois croassements" et que nous sommes, trouble coïncidence… trois !

– N’essayez pas de me faire flipper, tous les deux !

– Mais… tu… sérieusement, tu te rends compte de ce que tu insinues ?!

– Je ne fais que mettre en lumière les concordances.

– Je refuse de croire que ce "trois" puisse correspondre… Ah ! Ah ! s’énerva Éléna. Mais pourquoi même est-ce que je parle de ça !

– Bon, bon, bon, tempéra Ivana, certainement que ce "trois" ne correspond pas à nous trois...

– Mais c’est même sûr ! s’emporta plus encore Éléna.

– Va savoir, persista Ivan d’un ton empli de fausse conviction.

« Allez savoir, pauvres incrédules. »

– Arrêtez ! gronda Ivana. Bien sûr que ça ne correspond pas à nous trois, ça n’aurait aucun sens.

– À moins d’une prédiction… commença-t-il à insister rien que pour son plaisir égoïste de voir Éléna s’agiter.

– Arrête ! l’interrompit Ivana, devinant où il voulait en venir. Il n’y a aucune prédiction, pas de divination, où je ne sais quoi ! Prenez ce bout de phrase dans sa totalité : "trois croassements libérateurs".

– Et ?

– Et ?

– Et donc ça signifie simplement que trois personnes doivent intervenir d’une manière ou d’une autre.

– En croassant ? pouffa Ivan au bord d’une réelle crise de rire. Crroooaaaaa ! lâcha-t-il alors.

– Ridicule ! gémit Éléna. Crroooaaaa… aaaa… CrroooOAAaa, s’égosilla-t-elle quand même d’un cri salvateur.

– Vous êtes… ne me regardez pas comme ça… non ! Non, je ne vais pas me mettre à croasser !

– Croasse, croasse, croasse, la pressa Ivan.

– À ton tour ! Croasse, croasse, croasse ! se joignit à lui Éléna.

– Vous êtes tombés sur la tête, ma parole !

« Croasse, pétasse ! Oh, c’est joli, ça rime. »

– Oh, et puis merde : CRROOOAAAA ! hurla Ivana.