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– Eh bien ? interrogea Ivan.
– Eh bien ! exhala Ivana.
– Eh bien… j’y ai presque cru, déchanta Éléna.
Ivan, d’un rythme soutenu, se mit à hocher la tête, songea un moment à ce qu’ils venaient de voir, de vivre, leva une fois les yeux au ciel, baissa deux fois les yeux au sol, joua avec ses lèvres, les amenant à effectuer des positions peu académiques, et admit, un peu à contrecœur, que quelque chose d’étrange s'était produit :
– Bon, j’en conviens : la coïncidence était troublante.
Ivana leva les bras au ciel, inclina la tête vers le ciel et évacua, droit en direction du ciel, toute la surexcitation qu’elle contenait jusque-là :
– Vous avez vu ça ! Vous avez vu ça ! Des corbeaux ont surgi de nulle part !
Éléna, redevenue stoïque après le flop final, fidèle à elle-même, fit redescendre sa sœur sur terre :
– Et ils ont disparu aussi vite qu'ils sont venus…
Ivana ramena ses bras contre son corps, détourna si énergiquement le regard vers Éléna que sa nuque en claqua, et une nouvelle fois argumenta :
– Les nuages surtout !
Éléna, s’attendant à ce que sa sœur développe cette idée simple et peu construite de « nuages surtout », attendit mais, comme elle ne poursuivait pas, prit l’initiative de balancer une nuageuse banalité :
– Oui, des… putains de nuages se sont formés dans le ciel…
– Mais ils se sont formés de nulle part ! Et ils ont viré du blanc au gris ! Presque instantanément !
– Oh oh, du calme ma chérie, la réfréna Ivan. Votre attention était jusque-là tant focalisée sur moi, moi que vous étiez prêtes à faire saigner, à torturer, à voir souffrir, bref mauvaises filles que vous êtes, que vous en avez oublié de regarder autour de vous.
Éléna et Ivana attendirent qu’il leur détaille l’idée complexe qu’il avait assurément en tête, et, effectivement, très vite, il poursuivit en exprimant le fond de sa pensée :
– Le ciel était, déjà, depuis quelques minutes, nuageux et… menaçant.
Ivana, peu convaincue, insista :
– Et ce tonnerre, ça ne t’a pas…
Cette fois-ci, Ivan l’arrêta net avant qu’elle n’arrive à lui retourner le cerveau – chose que sa moitié, en parfaite épouse, s'essayait régulièrement à faire ; chose que lui, en parfait mari, arrivait à voir venir et à contenir – et synthétisa le fond de sa pensée :
– Nuageux et… me-na-çant !
« Et les voilà reparti, au tour d’Éléna de conclure, j’imagine ?
Éléna, ton tour ! »
Éléna, en fine observatrice, fidèle spectatrice des programmes météo depuis son plus jeune âge, s’apprêta à apporter une petite observation :
– Nuageux, menaçant…
Puis, laissant un temps de suspens, elle promena ses yeux, à tour de rôle et à chaque fois avec insistance, d’Ivana à Ivan et, enfin, telle une détective sur le point de dévoiler le coupable d’un terrible meurtre, elle apporta sa petite observation :
– Nuageux, menaçant et – accompagnant le geste à la parole, elle désigna le ciel – soudainement plus trop nuageux, plus du tout menaçant.
– Et plus de corbeaux ! Disparus vers nulle part ! accrédita Ivana, subitement à nouveau exaltée.
« Et ça continue, Ivan va certes trouver une explication scientifique, j’imagine ?
Ivan, toi de jouer ! »
Ivan, d’un rythme soutenu, secoua la tête de droite à gauche, songea un moment à ce qu’ils venaient de voir, d’entendre, leva une nouvelle fois les yeux au ciel, baissa deux autres fois les yeux au sol, exhorta ses lèvres à former un franc rictus de pure satisfaction, et, en fin connaisseur, en fidèle spectateur des chaînes météo depuis son union avec Ivana, s’apprêta à apporter une petite observation :
– Plus trop nuageux, plus trop menaçant…
Puis, laissant le temps en suspens, ses yeux, insistants, fixèrent d’abord Ivana, ensuite Éléna et, enfin, tel un inspecteur sur le point de résoudre une improbable affaire, il apporta sa petite observation :
– Plus trop nuageux, plus trop menaçant car le coup de tonnerre que vous avez entendu – accompagnant le geste à la parole, il bruita l’orage –, ggrrrraaouu, a permis à la foudre – en aparté, sachez mesdames que le tonnerre est toujours lié à l’orage, il n’est rien d’autre que le bruit de la foudre lorsqu’elle traverse le ciel et… – et…
– Et donc chéri, tu t’es perdu dans tes propres explications, n’est-ce pas ?
« Et voilà, il repart dans des digressions qui lui font perdre le fil de l’histoire…
Ivan, perdu. »
– Et… et… oui… je… Et l’électricité contenue dans l’air, dans les nuages, à l’origine du tonnerre et de la foudre – je ne vous refais pas tout un cours sur le tonnerre, les nuages gris, noirs, la foudre, les éclairs, en somme l’orage, hein ?
« Non ! Non ! Et si ça perdure encore trop longtemps, mon orageuse humeur et ma colère noire vont les foudroyer !
Éléna, temps à toi d’abréger Ivan. »
– Non ! Non !
– Merci, je ne suis en réalité pas météréologue expert et…
– Météorologue !
– Sûre ?
– Certaine !
– Certaine d’être sûre ?
Deux éclairs fusèrent alors des yeux sombres d’Éléna. Deux éclairs, chargés d'une intense électricité, qui percutèrent Ivan en plein visage. L’enrayant net. Il en abandonna les explications négligeables et se recentra sur la science :
– Bref : « après la pluie vient le beau temps. »
La bouche d’Éléna s’agrandit, un léger bruit se fit entendre, un son facile à comprendre, juste un "ah", d’ahurie :
– Tu… tu… tu balayes l’aspect étrange de… de… de…
– De ce qui vient de se passer et surtout de la soudaineté des faits, par un vulgaire proverbe ?! lui vint en aide Ivana.
– Bah… oui.
– Et les corbeaux, t’en fais quoi des corbeaux ?! Ils ont…
– … surgi de nulle part, apeurés par le bruit du tonnerre et…
– Et tu vas nous sortir que l’orage passé, ils se sont juste reposés ?!
– Je ne suis pas corbéologue mais...
– Ornithologue.
– Je savais bien que tu saurais me reprendre.
– De rien.
– Bref, les corbeaux ont eu peur du ggrrrraaouu, se sont envolés, se sont reposés, c’est exactement juste ça qui vient de se passer. Comment ça « de rien » ?!
– Bref, pour toi, tout n’a donc été qu’une…
– Co-ïn-ci-den-ce. Juste une, coïncidence.
« Une coïncidence… une coïncidence… putain de coïncidence… putain de coïncidence qui va me faire perdre patience !
Test terre effectué, maintenant suite.
Oh… oh, c’est bien vrai ça. C’est bien corbeau, tu suis. Effectivement, maintenant, il est certes grand temps de passer à la suite tant attendue et espérée. »
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