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– D’accord, d’accord.


Ivan fit un pas en arrière, rompant ainsi le contact avec le couteau d’Éléna, regarda la pierre gravée au sol, soupira, s’y dirigea, s’arrêta, la reregarda d’un air pensif, resoupira et s’y redirigea pour finalement s’arrêter juste devant.


« Lui, il a un don, hein ?

Lui, don ?

Un putain de don pour faire languir son sacrifice !

Putain de don. »


– D’accord, d’accord, une petite goutte de mon sang.


Éléna jubila, se demanda pourquoi, mais balaya en deux secondes cet absurde questionnement intérieur pour en convenir que, bien entendu, c’était la seule et unique chose à faire :

– Rien qu’une petite goutte. Tu verras, tu n’auras même pas mal ; et nous serons fixés.

– Pourquoi es-tu si sûre qu’il faille absolument le faire, tu me le rappelles ?

– Pour euh… bien entendu que c’est la seule et unique chose à faire ! s’agaça-t-elle faute de réels arguments.

– Hum…


Sur ce « hum » songeur, Ivan porta la main à hauteur de son menton, qu’il se mit à caresser doucement.


– Humm…


Pour donner suite à ce « humm », légèrement plus méditatif, il se mit à tourner, d’un pas tranquille, autour de la pierre.


– Hummm…


Et pour conclure en beauté toute la réflexion transcrite dans cet ultime « hummm », il s’écarta insidieusement de la pierre jusqu’à ce que, très vite, entre lui et elle, une distance de cinq bon mètres les sépare.


– Ne serait-ce pas croire au surnaturel ? Il n’y a aucune approche scientifique dans ce test. Ne devrions-nous pas…

– Ivan ! le coupa sèchement Éléna pour lui rappeler que toute cette discussion, ils l’avaient déjà eue.

– Oui… nous en avions déjà déduit que cela se devait d’être fait pour ton propre plaisir. Tu as le mal en toi, Éléna. Prends-tu plaisir à vouloir faire souffrir les gens que tu aimes ?

– Que j’aime… Plutôt me couper moi-même les veines que d’épiloguer sur ce sujet.

– Sérieux ?


« Pourquoi pas, peu m’importe.

Elle, couper veines ! »


– Non !

– Dommage, si on avait pu trouver un compromis…


« Dommage, je ne te le fais pas dire…

Pas couper veines, alors. »


– Bref, je ne vais pas te faire souffrir ; je n’ai pas le mal en moi ; oui j’y prendrai plaisir ; tu m’énerves !

– Ah ! Je t’énerve.

– Oui, tu m’énerves.

– Ah, hum, c’est bien embêtant ça, constata Ivan.

– Hum… laissa échapper Éléna, voyant venir là d’autres improbables débats à n’en plus finir.


Sur ce « hum » désespéré, Éléna porta la main à hauteur de ses yeux, qu’elle se mit à frotter, vigoureusement, pour s’éclaircir les idées et donner cohérence à son discours à venir.


– Humm…


Ce « humm » résolu donna suite à la conviction profonde qu’il était grand temps de récapituler. Elle se tapa dans les mains pour se donner du courage.


– Hummm !


Et avant de se lancer, elle s’éclaircit la gorge dans un ultime « hummm », pas franchement gracieux.


– Je sens qu’ici, il se passe quelque chose.

– Tu sens… tu as une intuition ?! Tout cela est, vraiment, basé sur une simple intuition ?

– Laisse-moi finir, reprit-elle calmement sans cette fois chercher à surjouer, à être dans le théâtral, se voulant résolue et convaincante.


Ivan saisit le ton et se porta tout ouïe :

– Je te laisse finir.

– J’ai tout abandonné pour en arriver là. Vous m’avez suivie dans cette aventure, avec les sacrifices que cela a impliqués. Je ne vais pas vous dire que c’est un miracle si nous en sommes ici aujourd’hui, perdus en plein milieu de l’Oural, mais presque. J’ai parfois l’impression d’avoir été portée, guidée, parfois nous sommes tombés sur des pistes, hasardeuses, par hasard, parfois alors que nos recherches piétinaient, un miracle, miraculeux, s’est produit, parfois, alors que nos certaines et absolues convictions nous poussaient vers le sud, nous finissions au nord... en l’occurrence à l’est. Vous comprenez ce que je veux dire ? Nous avons été scrupuleux, méticuleux, professionnels, mais quelque chose de plus, oui utilise le terme surnaturel si tu veux, nous a amené là. Là, aujourd’hui, en plein milieu, de l’Oural.

– Éléna, débiter ne t’empêche pas de te tromper, avoua Ivan d’un ton rassurant. Toute la tension, tout le travail pour en arriver là, là aujourd’hui en plein milieu de l’Oural, ce n’est pas le fruit du hasard, ça n’a rien à voir avec le surnaturel, le religieux, le spirituel ou je ne sais quoi. Ne te méprends pas, respire, laisse la pression retomber, nous avons réussi, nous avons trouvé une pierre…

– Inattendue, miraculeuse ?

– Une pierre miraculeuse qui est le fruit d’un travail méticuleux, ordonné, de professionnels surqualifiés et scrupuleux qui n’ont rien laissé au hasard mais qui, parfois, ont su profiter, comme pour chaque grande découverte en ce bas monde, d’une part de chance !

– Humm… songea Éléna.

– Et nous avons su nous détendre, après cette pharamineuse découverte, nous avons su nous amuser, blablater, déblatérer, nous changer les idées, nous réjouir, nous dérider ! Nous avons pris notre temps, un peu de temps pour nous, nous en avions besoin. Nous avons su discutailler, ergoter, chicaner, chinoiser, faussement nous disputer, pour nous relaxer, décompresser et profiter. Nous avons pro-fi-té, de notre découverte. Nous nous sommes laissés, à bon escient, di-ver-tir. Et ces corbeaux, l’inscription, les présages… ils sont tombés à pic, juste à pic, pas une coïncidence, pas par miracle, on a su les trouver, et en faire notre catalyseur pour laisser retomber…

– La pression ?

– Et savourer. Savourer où nous sommes, où nous en sommes, là, aujourd’hui. En plein milieu, de, l’Oural. Et comment, pourquoi, nous en sommes arrivés là, à nous perdre en plein milieu de l’Oural ? Parce que tu as su nous convaincre du bien fondé, de la nécessité, de ton projet. Et encore une fois, ce jour est le fruit d’un travail acharné, a-char-né, qui s’est accompagné de la dose de chance que cela implique. Rien de plus Éléna, rien de plus.

– Je vois où tu vas vouloir en venir, sourit-elle.

– Oui, Éléna.


« Comment ça où il veut en venir ?! Non, non, non hein !

Moi plus saisir… »


– Oui, Éléna, répéta Ivan, il est maintenant temps.

– Oui, il est temps, acquiesça-t-elle tout sourire.


« Non, non mais non, il est temps de quoi ? Woh ! Woh !

Eux pas… pas sang ?! »


– Il est temps de protéger cette pierre jusqu’à la faire rapatrier. Il est temps de mettre un peu d’ordre, d’explorer les alentours, puis il sera temps de rentrer à la maison et de continuer nos travaux, au chaud, dans notre bon vieux labo.

– Vu cette extraordinaire trouvaille, je vais exiger auprès de notre cher mécène que notre bon vieux labo soit remis à neuf !

– Et je fais confiance à tes talents de persuasion, et un peu à ton canif, pour qu’il soit plus que flamboyant !


Tous deux éclatèrent d’un rire complice, relâchant la pression, savourant, profitant, ainsi prêts à affronter la suite. Une suite éprouvante de recherches, d’analyses ; une suite qui sera à leur image, faite d’un réel travail de scientifique, parfois laborieux, des fois hasardeux, et peut-être saupoudré de chance.

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