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– Ouille, ouille, ouille, ça doit faire mal, conclut Éléna après avoir assisté à la tragico-comédie "Ivan versus Ivana". Mais qu’a-t-il pu lui passer par la tête pour qu’il bondisse ainsi sur sa femme ? Putain mais elle n’allait pas non plus s’ouvrir les veines ! Elle n’est pas possédée, ma sœur !
À peine ces quelques mots formulés en pensées et ressortis en un charabia tout juste audible, Éléna se précipita vers les deux malheureux pour leur porter secours, soutien et assistance.
– Vous n’êtes vraiment pas beaux à voir… déjà en temps normal, mais emmêlés ainsi encore moins que d’habitude. Allez, au boulot, laissez-moi trier ce fatras de membres.
Les premières secondes passées à essayer de dénouer l’ensemble, à grands renforts de jurons, "merde", "putain", "chier", "putain de merde fait chier", furent suivis de quelques secondes d’attente passées à constater l’effroyable résultat : peu d’avancée dans le désenchevêtrement.
En même temps, les deux victimes, plus ou moins malgré elles, passèrent les premières secondes à râler, protester, gémir et se plaindre. Rien d’idéal pour Éléna qui, d’un tempérament plus ou moins impatient, perdit vite patience :
– Bon, ça me casse les couilles, hein ! Si vous n’y mettez pas du vôtre je vous laisse vous démerder tout seul !
Toujours couché au sol, tâchant de reprendre son souffle, déjà à cause du sprint intensif de cinq longs mètres, aussi à cause du choc insensé, Ivan la regarda de ses yeux effarés :
– Tu… tu… mais putain, m’engueule pas, j’ai mal !
– Ok, où ça ? chercha aussitôt à savoir Éléna.
– Bah…
Et sur ce « bah » évasif, Ivan se mit à réfléchir et, tel un androïde de film de science-fiction venant de subir d’irrémédiables dégâts après une bataille infernale à grands coups de rayons lasers ultra dévastateurs, de projections sonores à tout va contre les parois du vaisseau intergalactique, de redoutables morsures de monstres extra-terrestres aux dents acérées, s’auto-analysa :
Bras gauche, douloureux. Bras droit, douloureux. Jambe gauche, douloureuse. Jambe droite, douloureuse. Toute la jambe droite douloureuse, code rouge. Partie intime, bip bip temps de latence interminable, saine et sauve, opérationnelle dans un futur proche. Fessier, douloureux. Buste, douloureux. Dégâts annexes mineurs, souffle coupé, haché, rythme cardiaque prononcé. Côtes, au minimum toutes brisées. Colonne vertébrale, bip bip temps de latence inquiétant, intact. Ouf, intact, je bouge. Cou, à déplier. Cou déplié, un poil raide mais fonctionnel. Tête… miracle pas de séquelles, pas le moindre tournis, pas une égratignure, fonctions cérébrales et cognitives en parfait état de marche. Constat : ensemble douloureux, situation tragico-dramatique.
– Bah, l’ensemble est tragique, dramatique et douloureux, Éléna. Et je pense que j’ai les côtes au minimum brisées ! Aïe.
– Je pense, moi, que tu peux bouger ! Relève-toi, lui ordonna-t-elle en tendant tout de même vers lui une main bienveillante.
– Je n’en suis pas certain certain.
– Putain, mais relève-toi ! Tu m’écrases ! s’exprima, un brin furieuse, à son tour, un poil très agacée, Ivana.
Des paroles qui poussèrent Ivan à agir assez rapidement.
Déjà, il se rappela de son existence, ensuite, effectivement, il se rendit compte que tout son poids reposait sur le corps plus frêle de sa chère et tendre. Enfin, parce que quelque chose dans le son de la voix d’Ivana, ce « putain » inhabituel dans son vocabulaire quotidien, lui intima l’ordre, subtil, direct, sans appel, de vite se bouger.
Alors Ivan, s’appuya, malheureuse initiative, sur un sein, se rattrapa, comme il put mais autre vaine tentative, sur le ventre de sa bien-aimée et corrigea l’essai en basculant l’épaule la première sur… toujours tout Ivana. Bref, tant bien que mal, plus mal que bien, Ivan se redressa péniblement au grand dam d’Ivana.
– Pfff, quel balourd tu fais ! se désola Éléna devant tant de maladresse.
Elle lui glissa alors les mains sous les épaules pour abréger les souffrances de sa sœur torturée plus que de raison.
Ivana, alors débarrassée du poids bien encombrant de son, en ce moment, pas si cher, pas si tendre, là de suite, amour déchu, détestable mari, redressa son buste, ramena en grimaçant sévère sa main gauche meurtrie contre sa poitrine, la comprima de la droite, se recourba et replia les genoux en une position fœtale assise qui n’eut pas besoin d’une analyse très poussée : la douleur était, là de suite en ce moment, totale !
Pas de doute, hormis pour le plus si cher :
– Ça va chérie ? Rien de cassé ?
Pour toute réponse Ivana se balança sans prononcer un seul mot. Quelques larmes apparurent à la plissure de ses yeux.
Le plus si tendre ne saisit toujours pas toute la détresse et sauta les deux pieds dans le plat en insistant :
– Moi, je me suis démis au moins une dizaine de côtes.
Il termina sa plainte, tout en s’étirant, par un magistral « ouccchhh » traînant en longueur.
Éléna, face à ce spectacle, secoua la tête, comme pour dire bien trop aimablement : « Pfff, il n’est pas possible ».
Mais, attentive, elle n’en oublia pas Ivana qui très nettement souffrait en silence.
Alors un "tac", produit avec la langue, claqua. Un "tac", comme pour dire : « Ne le laisse pas détourner ton attention, Ivana va avoir besoin de toi. »
Un autre « aaaah-oum » bruyant sortit de la bouche d’Ivan suivi de :
– Bon, bon, bon. Je me suis peut-être laissé un peu emporter. Mais, chérie, ce n’était pas prudent de tenir ainsi ton couteau en main ! Tu m’as vraiment fait peur ! Tu pensais vraiment t’ouvrir les veines ?! Mais qu’est-ce qui t’est passé par la tête ?! T'es débile ou quoi ?!
À entendre son mari la houspiller, à entendre sa voix grave, sévère, à entendre ses propos emplis de réprimandes, à comprendre qu’il n’avait rien compris à ses intentions, à comprendre que son geste anodin, exécuté dans la continuité de leur amusement à tous, avait été si mal interprété, à comprendre et surtout à ressentir les malheureuses et désastreuses conséquences, le tout ponctué par un subtil « débile », força Ivana, toujours en boule, à tourner la tête vers lui.
Elle le fixa un instant.
Puis soudainement, les quelques larmes se firent rigoles, et le silence, jusqu’alors tenu, se mua en pleurs franches, expressives et significatives.
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