ⅠⅤ

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« C’est quoi ton genre de femmes ?

— Pas toi. »

Hirsute trempe son rasoir dans la vasque puis continue de s’effacer la barbe. Béatrice de dire :

« Je te préfère avec. Tu as l’air plus doux.

— Ça me gratte. Moi je n’aime pas.

— Je croyais que tu aimais.

— Je n’aime pas.

— Je croyais que tu voulais cacher…

— Je ne cache rien.

— Tu te résignes ?

— Oui. Mon passage à la clinique m’a éclairci les idées.

— J’en suis ravie. Peut-être retrouveras-tu le sourire…

— Jamais.

— Pourquoi ?

— À cause de l’homme-charlotte.

— Je ne comprends pas.

— Le médecin… il a dit quelque chose par rapport à mes cornes.

— Qu’est-ce qu’elles ont ?

— Rien. Du moins, il a dit n’en avoir jamais vu de pareilles. Ça m’intrigue. Ça m’angoisse.

— Je les trouve très bien, tes cornes.

— C’est ce que m’a dit Joël. Vous êtes gentils, tous les deux.

— C’est le minimum. C’est normal. »

Hirsute se tamponne les joues après avoir saisi la serviette que lui tend Béatrice. Elle lui adresse un sourire puis sort de la salle de bain. Hirsute se regarde une dernière fois dans le miroir et s’imagine se dessiner un sourire sur la glace, avec le rouge à lèvres d’une femme qu'il désirerait. Mais Joël l’interrompt. Il l’appelle depuis le salon pour prendre le dîner.

Béatrice a préparé une belle table. Joël amène un grand plat où trône une dinde suintante. Hirsute inspire et se remplit de l’odeur amicale qui sillonne le salon. Les trois amis se mettent à table. Béa et Joël s’échangent un regard.

« On a pensé à t’offrir quelque chose, dit Béa.

— Ce n’est rien, juste pour te remercier de ce que tu as fait avant…

— Je ne mérite pas tant », s’indigne presque Hirsute qui devient encore plus rouge.

Joël se lève de table, sort quelques secondes puis revient les bras chargés d’un grand paquet.

« Tiens, c’est pour toi. »

Hirsute pose sa fourchette et finit sa bouchée de dinde. Il déchire délicatement le papier du cadeau et fait les yeux ronds, tandis que l’objet apparaît progressivement.

« C’est trop… je ne peux pas accepter.

— Ne t’embête pas. Une vie sauvée en vaut bien une autre, non ? »

Béa prend un air ravi tout en observant la joie d’Hirsute.

« C’est un homme ? mort ? demande-t-il en secouant la main du macchabée.

— Oui. Je l’ai trouvé il y a quelques heures. Il est tout frais.

— Comment vas-tu l’appeler ? demande Béa.

— Sais pas. Junior. Robert. Louis. Qu’importe. Vous êtes des anges. »

Hirsute prend Joël dans ses bras puis offre une bise à Béa.

« Si vous voulez bien, je mets juste votre cadeau de côté, le temps de manger. »

Les amis reprennent leur dîner. La dinde s’avère être succulente, quoique trop cuite selon Joël. L’effluve de la volaille vogue dans toute la pièce et caresse le cadeau d’Hirsute.

Plus tôt dans l'après-midi : Francis se fait balloter dans un sac. Il y a quelques minutes on le diagnostiquait mort. Son corps ne répond plus, mais il est toujours entre les griffes de la vie ; son âme est prisonnière, mais il peut encore entendre. Des gens discutent entre deux coups de pelle. On est en train de l’enterrer.

Peu après la terre recouvre le sac mortuaire. Les fossoyeurs sont partis. Ce n’est qu’un mort de plus pour la clinique. Dieu sait combien gisent tout près de Francis…

Il est las de n’être qu’à moitié mort. Il se prend à philosopher dans l’intimité de son sac.

Il trouve que quand on a plus que l’âme, on subit le temps différemment. Les secondes éclatent. Le vent ne se colle plus contre la peau. Tout devient extérieur. Il n’y a que le présent psychique, la pensée instantanée, le maintenant pur. Ce qui est passé et ce qui adviendra appartient au corps. Tout ce dont on a besoin de se soucier est uniquement de soi-même. Pour Francis, il n’y a que Francis qui compte.

Bien sûr, ce qu’il désire le plus au monde, c’est de retourner en Ailleurs. Mais il ne le pourra qu’en utilisant les instruments de sa pensée. Il ne peut plus rien faire pour lui, et à six pieds sous terre, plus personne ne pourra l’aider, sauf si…

Un peu plus haut, deux hommes volent au-dessus du cimetière.

Ils en ont après une femme, une femme qui tombe du ciel en poussant de grands cris. Joël ne peut pas se permettre de la laisser mourir. Pas après tout ce qu’ils ont vécu.

C’est Hirsute qui a aperçu le premier Béa, battue par Newton et ses pommes. Il ne la quitte plus des yeux et conduit Joël dans sa direction. Elle est sur le point de s’écraser dans une petite forêt reposant près de la clinique. Il faut faire vite. Joël vole de toutes ses forces. L’impact aura bientôt lieu.

À quelques mètres du sol Hirsute saute des bras de Joël et attrape Béa, avant de faire un roulé-boulé sur le sol épineux. Il aurait pu mourir. Il a risqué sa vie pour sauver la compagne de Joël. Les deux amants lui en seront à jamais reconnaissants.

Joël dit à Béa d’emmener Hirsute chez eux pour le dîner. Elle le prend dans ses bras et s’envole. Joël les rejoindra un peu après. Il cherche comment le remercier. Il cuisinera la dinde qui traîne dans le freezer. Mais il cherche un autre moyen d’exprimer combien ce qu’Hirsute a fait le touche.

Il aperçoit non loin, à la lisière de la forêt, des grillages fragiles et quelques croix de bois. C’est ici qu’il trouvera son cadeau, dans un fossé fraichement rempli, où git un cadavre à l’esprit encore tourmenté.

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