Ⅱ
C'était un cabinet des plus banals, le genre qu'on voit dans les films noirs. Un ventilateur au plafond, qui fait jouer son ombre sur les murs et les visages, une porte avec un oeil et une vitre floutée, un bureau en noyer verni, une armoire à bourbon, et puis, au centre, un détective privé en imper avec une cigarette bien trop consommée et un feutre sombre. Dehors, il y avait cette secrétaire commune à tous les gens du métier, une femme fluette qui tapait on-ne-sait-quoi à la machine avec un crayon dans son chignon parfait.
Annette se présenta. Elle avait mis des lunettes de soleil et un foulard sur sa tête, apparence conforme aux femmes qui ont des secrets.
La secrétaire leva les yeux, la toisa puis dit de sa voix carillonnante :
- Vous désirez ?
Annette s'approcha doucement, elle avait peur.
- Euh... C'est ici, l'agence de détective privé ?
- Je ne peux pas vous renseigner, répondit la secrétaire.
- Et pourquoi ?
- C'est privé, voyez-vous.
- Si c'est privé, c'est donc ici, fit Annette.
- Oui... Vous avez raison. Monsieur Deckard va vous recevoir.
Elle décrocha le téléphone et annonça la venue de la cliente.
- Il est à vous dans quelques instants, dit-elle ensuite.
Annette patienta sur un fauteuil mou en velours. Elle parcourut machinalement un magasine de mode aux publicités retouchées, une revue de sport aux athlètes musculeux, un quotidien d'il y a cinq ans aux pages jaunies... Enfin, la secrétaire l'exhorta à entrer dans le bureau du détective.
Il était de dos, toujours tirant sur un bout de cigarette dont les cendres s'accrochaient tant bien que mal, façon Pompéi, façon Jeanne d'Arc, façon Bazar de la Charité, façon tout ce qu'on voulait. Annette s'étonna de ce qu'il portait un manteau à l'intérieur.
- Vous n'avez pas trop chaud, avec ça sur les épaules ?
- C'est que, répondit-il, je n'ai rien en dessous.
- Ah, bien. Tant que vous êtes à l'aise.
- Ce n'est pas ça... Je n'ai rien en dessous de mon imper. Absolument rien. Ni chair, ni os.
- Encore mieux, ça doit vous épargner bien des problèmes.
Elle se rappela qu'elle avait peur. Elle eut une mine effrayée.
- Je ne sais pas ce que je fais ici, chuchota-t-elle, comme si on l'écoutait à son insu.
- Vous le savez très bien, sinon vous n'auriez pas fait tous ces kilomètres.
- C'est vrai. C'est embêtant, que votre cabinet soit sur Mars.
- Faut faire preuve de vigilance. Ici, personne ne viendra nous embêter. Mais dites-moi... Qu'est-ce que je peux faire pour vous ?
- Vous connaissez l'anicode ?
- Bien sûr. J'en ai même trois, au cas-où.
- Je soupçonne mon mari de me l'avoir dérobé.
- Comment s'appelle-t-il ?
- Albert. Albert Nard-Lhermite.
- Mince... L'avocat ?
- C'est ça.
- Sale affaire, donc... J'ai vu toutes ses plaidoiries, celles qu'ils diffusaient sur la Cinq. Un sacré bonhomme, ça va être dur, très dur. Et cher, très cher. Mais je pigne, trépigne d'impatience : faut dire, vous êtes ma première cliente depuis... depuis des lustres.
- J'ose espérer que vous mettrez en lumière les horreurs de mon mari.
- Et comment, ce n'est pas tout les jours qu'on creuse sur un avocat.
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