Chapitre 1
Comme à son habitude, Cassidyr fut bref et la sanction tomba sans surprise ; Druan était condamné à mort, son exécution aurait lieu dans trois jours. Le berger ne tenta même pas de se défendre ou de protester, il savait que cela était inutile et ne ferait qu’étendre ce moment qu’il voulait abréger. Résigné, il baissa la tête, ses cheveux tombant devant son visage dessinaient une cascade noire et épaisse qui le cachait et l’empêchait de voir Cassidyr.
En vivant cette idylle amoureuse avec Engelend, la princesse, il avait déjà enfreint bon nombre de lois, mais en se faisant prendre dans sa chambre au lever du jour, il avait lui-même signé son arrêt de mort. Pendant les moments partagés avec la princesse, il n’avait jamais réellement songé aux conséquences, préférant profiter de la chaleur de son corps, de la douceur de ses mains et de son rire timide. À présent, la conclusion de cette histoire s’imposait à lui, et il ne pouvait rien faire pour la repousser, il ne pouvait qu’accepter son impuissance et la subir.
Il était de réputation notoire que Cassidyr était très à cheval sur l’étiquette et sur la place que chacun devait occuper dans ce monde, alors savoir que sa propre fille s’était amourachée d’un paysan alors même qu’elle repoussait tous les prétendants qui se présentaient à sa porte le mettait dans une colère noire. En agissant ainsi pensait-il, elle souillait le sang royal qui coulait dans ses veines. Il ne ressentait aucun mépris, aucune révulsion pour les paysans, certains -il n’en doutait pas- étaient même sûrement des gens très bien, mais il fallait que les choses restent en ordre pour que le monde puisse fonctionner. En agissant ainsi, en faisant fi de cette règle élémentaire, la princesse et le berger avaient manqué de créer le désordre. Un désordre qui aurait pu avoir des conséquences dramatiques.
Quand les gardes vinrent chercher Druan pour l’emmener au geôlier qui se chargerai de l’emprisonnement, le jeune berger n’opposa pas la moindre résistance, se laissant saisir sans problème, ce qui sembla étonner les gardes qui n’étaient pas habitués à un tel comportement. S’il s’était débattu, s’il avait crié ou frappé, ils auraient su réagir, mais face à cette situation presque inédite, ils restaient cois. Aussi, c’est Druan lui-même qui -sans s’en apercevoir tellement les larmes broullaient sa vue- amorça le mouvement de marche
Parvenu à la grille de la cellule qu’il habiterait en attendant sa mort, il s’aperçut que le gardien, un véritable colosse aux cheveux roux, ne montrait aucune animosité envers lui. N’ayant plus rien à perdre, il déglutit avec difficulté une salive épaisse et sans goût pour réhydrater sa gorge que la peur avait complètement asséchée et se risqua à prendre la parole.
« Pourriez-vous prévenir ma mère, s’il vous plaît ? Afin que je ne disparaisse pas subitement, sans qu’elle ne sache ce qu’il est advenu de son fils ? Elle n’habite pas très loin, cela ne vous prendra pas longtemps. »
Le geôlier partit d’un rire tonitruant.
« Ah, Gamin ! Tu m’auras fait rire aujourd’hui ! Et ce n’est pas donné à tout le monde ! Tiens, pour te remercier je couperai ton eau avec du vin ce soir à la place du pichet de flotte habituel. Ça te va ? »
Ne pouvant rien faire d’autre, Druan acquiesça lourdement de la tête et traîna des pieds jusqu’à sa geôle. Elle était sombre, et les pierres -effritées pour certaines- suintaient d’humidité. La paille qui lui servirait à dormir avait visiblement connu de nombreux autres condamnés avant lui, elle était sale, de la moisissure se développait sur ses bords et même s’il ne pouvait la voir il était certain que la vermine y pullulait sans frein.
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Assis sur son trône richement décoré et au bois finement sculpté, Cassidyr tapotait des doigts sur l’accoudoir pour essayer de rompre l’attente. La patience ne comptait pas parmi ses qualités, tous le savaient, il était exigeant, travaillait toujours à ce que les choses se déroulent comme il l’entendait, et au rythme qu’il imposait. Malgré cette réputation, son conseiller n’arrivait jamais aux heures prévues, la faute -selon lui- aux nombreuses responsabilités qui étaient les siennes. Il faut dire qu’en tant que prêtre, Gyssimord portait déjà bon nombre de casquettes qui occupaient le plus clair de son temps. Alors en ajoutant à cela le rôle de conseiller, le temps finissait évidemment par lui manquer. Cassidyr le savait, mais cela faisait maintenant plus de vingt minutes qu’il l’attendait et les mouvements répétés de sa jambe droite trahissaient son impatience. Un tel temps est un temps gâché, pensa-t-il, et en tant que roi, plus que pour toute autre personne, mon temps est précieux.
Finalement, le léger grincement des gonds de la porte principale lui fit tourner la tête, et lui permit de voir apparaître dans le long couloir le petit homme bedonnant à la coule décorée qui s’était tant fait attendre. En le voyant, le roi se redressa dans son siège.
« Ah ! Gyssimord, tout de même vous voilà ! lança-t-il en guise d’accueil.
— Désolé de mon retard sire, c’est que j’ai été retenue à l’église par des problèmes administratifs fort peu passionnants… Mais, enfin, me voilà devant vous.
– Vous êtes-vous chargé de la mission que je vous ai confiée ?
– Bien évidemment sire. Tous les témoins, ou victimes, de l’incident ont été avertis des risques qu’ils encouraient si le bruit venait à se répandre qu’un berger a été retrouvé dans le lit de la princesse, et leur silence a été généreusement acheté. Aucun mot ne fuitera de leur part.
– Je l’espère ; car si les agissements de la princesse venaient à se savoir, tout le royaume en serait impacté. Et en tant que roi, je ne pourrais le tolérer.
– Que le roi ne s’inquiète pas pour cela, le rassura-t-il, tout est sous contrôle. Puis-je me permettre de vous demander quelle sanction a été prise concernant la princesse ?
– Elle est actuellement enfermée à double tour dans ses quartiers, et sous constante surveillance. Elle n’en sortira que lorsque je l’aurai décidé ; et le temps où je le déciderai n’est pas encore arrivé.
– Voici une sage décision comme vous savez les prendre, répondit l’homme d’église afin de flatter son souverain. Et qu’est-il advenu du jeune berger ?
– La mort évidemment. Que pouvais-je faire d’autre ? Dans trois jours, sa tête sera tranchée. »
Effectuant quelques pas sur place -comme à son habitude quand il devait aller à l’encontre d’une décision royale- le petit homme reprit nerveusement :
« Certainement sire, ceci-dit, puis-je me permettre une suggestion, un conseil ?
– Gyssimord, vous-êtes mon prêtre personnel mais vous êtes avant tout mon conseiller, alors j’attends de votre part conseils et indications. Parlez. »
Le prêtre fit une légère révérence de soumission, soulignant ainsi d’avantage son ventre légèrement bedonnant habituellement plus masqué par la bure qu’il portait. Il se redressa en grimaçant sous la douleur que les années avaient mises dans ses lombaires puis se mit à faire quelques pas dans la largeur de la pièce en prenant garde à ne pas tourner le dos au roi ce qui, il le savait, lui aurait valu de nombreuses remontrances. Il resta silencieux quelques secondes, cherchant les mots qui lui permettraient au mieux de convaincre son monarque, tout en s’assurant ainsi sa complète attention.
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