Chapitre 11
Après avoir découvert le nom de la fille que je devais éliminer, j’étais tranquillement rentré chez moi pour me mettre à ma phase d’enquête préliminaire sur ce que je pouvais trouver sur les réseaux sociaux et les diverses pages numériques accessibles au public. Une fois dans le métro aérien, mon ventre se mit à gronder alors je m’arrêtais en route pour acheter plusieurs tacos à un petit restaurant pas très loin de la station. En mangeant et marchant, je réfléchis à mon plan d’action. Comme d’habitude, je comptais faire ma petite découverte de ma cible en ligne puis commencer à la suivre et la prendre en photos. Je me demandais au bout de combien de temps elle allait se mettre à flipper. Allait-elle rester cloîtrée chez elle ? Passer tout son temps au boulot comme Zuid pour espérer que je ne sois plus là quand il en sortait enfin ? Tout le monde craquait de manière différente.
Une fois installé à mon terminal personnel, je tapais simplement son nom : Kaylin Castiglione, en prenant bien soin de ne pas inverser i et y, sur les divers moteurs de recherches. Les résultats que j’obtins furent assez limités à mon grand regret. C’était principalement des articles en relation avec le travail de son équipe où son nom n’était que cité. Je trouvais aussi son profil professionnel sur un site dédié mais il ne laissa rien transparaître de sa vie personnelle. Quant à sa page sur les réseaux sociaux, elle était totalement verrouillée aux utilisateurs non autorisés, je ne pouvais même pas voir sa photo. Je fis un bruit de langue, agacé. A l’heure de hyper-digitalisation et des données personnelles partout, cette fille n’était nulle part sur le réseau public. Je rejetai un coup d’oeil au message que j’avais reçu. Je compris alors mes difficultés. Elle travaillait dans la sécurité digitale. Elle savait donc très bien ce qui pouvait advenir de ses données et avait en sorte de les protéger de manière adéquate. Cela n’allait pas faciliter mes affaires mais j’appréciais le challenge. Comment allais-je pouvoir la suivre si je n’arrivais même pas à trouver sa photo ? Je décidai de passer en revue les autres noms que j’avais vu dans l’article, ses collègues seraient peut-être moins vigilants. Mes recherches furent également courtes malgré l’abondance de noms cités, ils étaient tous aussi attentifs à leurs données sur le réseau.
Je me reculai sur ma chaise, pensif. J’allais prendre un verre dans ma cuisine, buvant et réfléchissant dans mon salon à la suite des événements. Je décidai de taper juste son nom de famille sur les moteurs de recherche. Je tombais sur des articles concernant ses parents, tous deux étaient des médecins très impliqués à l’hôpital le plus important de la ville. Rien de bien intéressant jusqu’à ce que je tombe longtemps après sur une interview donnée par ses parents où ceux-ci évoquaient leurs difficultés à concilier vie de famille et vie professionnelle lorsqu’on travaillait autant qu’eux. Je me dis que l’enfance de cette fille n’avait pas été très heureuse si ses parents n’étaient jamais là. Le plus important était qu’il y avait une photo de la jeune adolescente jointe à l’article. Je la téléchargeai et à l’aide d’un logiciel de vieillissement des visages, je lui ajoutai quelques années pour avoir une idée d'à quoi elle pouvait ressembler aujourd’hui. Ce contrat n’allait vraiment pas être facile.
Les jours suivants, je fis le plancton pas trop loin de l’entrée de Conglomérat Digital aux heures habituelles de l’arrivée et départ des employés. Si jamais elle s’était teint les cheveux ou si elle travaillait plus tôt, j’aurai beaucoup plus de mal à la repérer. C’est pourquoi à partir du troisième jour, je me fis aider par un logiciel de reconnaissance des visages installé dans mes lentilles de contact. Un simple regard suffisait à comparer les visages à ma photo de Kaylin Castiglione. Le logiciel de vieillissement avait aussi fourni plusieurs variantes pour avoir une base de comparaison plus large. Ce n’est encore que le lendemain que je réussis enfin à la repérer !
Un air de triomphe passa furtivement sur mon visage. Le logiciel affichait une correspondance de 89%, ce qui était un score élevé pour une reconnaissance issue d’une photo vieillie. Je passai rapidement en mode appareil photo sur mes lentilles pour immortaliser son véritable visage. Elle était svelte, du moins elle en avait l’air sous son manteau épais marron. Quelques grains de beauté parsemaient son visage, son nez était fin en haut et avec un petit arrondi au bout. Je trouvais que sa couleur de rouge à lèvres lui faisait une petite bouche. Ses cheveux étaient mi-longs et de couleur châtain foncé, presque noire. Seule une mèche sur le côté de son crâne était teinte avec une couleur violette sombre. C’était sa seule touche distinctive, le reste de sa tenue ne se démarquait pas vraiment dans la foule. Elle portait un pantalon noir et des petites bottines sombres. C’était le début de soirée, elle sortait des bureaux de Conglomérat Digital en compagnie d’un homme. Est-il un simple collègue, un ami, un amant ? Par précaution, je le pris aussi en photo. Ils se mirent à partir ensemble en bavardant vers le métro aérien. Je leur emboîtai le pas à bonne distance derrière eux. J’ignorai comment j’allais savoir son nom, j’étais trop loin pour entendre leur conversation pour le moment. S’ils étaient amants et qu’ils allaient s’envoyer en l’air chez elle, ça me permettrait d’avoir son adresse. Après plusieurs minutes, ils arrivèrent dans une partie de la Night Tower réputée pour ses restaurants et ses bars. Ils entrèrent dans un bar et je les perdis de vue. Je laissai passer plusieurs minutes avant d’entrer à mon tour.
Je jetai un coup d'œil rapide pour les situer et je m’installais à une table afin de pouvoir les prendre en photo facilement. L’ambiance du bar était très festive et je ne passerais pas longtemps inaperçu puisque j’étais le seul client n’ayant aucune compagnie, qu’elle soit amicale ou sentimentale. Je fis semblant de taper des messages sur mon ArmScreen comme si j’attendais quelqu’un. Ça me permettrait de gagner du temps. J’avais commandé un verre que je buvais lentement en jetant alternativement des coups d'œil vers la porte, attendant mon rendez-vous imaginaire, et vers elle, pour la mitrailler. Ils avaient bu plusieurs verres quand elle parla un peu plus fort :
- Et alors ? Je te l’ai dit, je ne cherche pas de mec.
Elle était peut-être un peu saoule. C’était la première fois que j’entendais sa voix distinctement depuis le début de mon contrat. J’ouvrai une feuille sur mon bloc notes virtuel pour noter les informations que je savais d’elle. Description détaillée, ses parents médecins renommés, son lieu de travail et ses horaires aujourd’hui, la description de son ami et sa photo. Je regardai l’heure, ça faisait trop longtemps que j’étais là et seul. Les gens allaient commencer à se poser des questions. Je me levai pour aller payer mon verre. J’eus le temps de coller un modèle de microphone qui faisait quelques millimètres en frôlant son manteau avant de partir dans la rue. Je m’installai un peu plus loin où je pouvais voir la porte d’entrée du bar. Elle n’en sortit qu’une grosse demi-heure plus tard. Elle fit la bise à son ami, que j’eus le temps d’immortaliser, puis ils partirent chacun de leur côté.
Je suivis la fille à une dizaine de mètres de distance, me servant parfois du logiciel de reconnaissance faciale pour verrouiller son visage et pouvoir la suivre facilement quand elle traversait la masse des fêtards qui rejoignaient les différentes boîtes de nuit. Elle atteignit finalement une autre tour, plus résidentielle. Il n’y avait pas tellement de monde dehors à cet endroit. J’avais encore agrandi la distance entre nous pour éviter qu’elle ne me repère. Elle pénétra dans une résidence qui avait de nombreux appartements. Je la regardai disparaître dans le couloir. Je notai son numéro d’appartement grâce à l’interphone. J’eus un sourire carnassier, en à peine une soirée, je connaissais son visage, sa famille et son ami, son appartement. Et j’avais posé un micro avec géolocalisation sur son manteau. Ce qui me donna l’emplacement exact de son logement dans l’immeuble. En me plaçant sur la tour voisine, je pus même faire quelques clichés d’elle alors qu’elle se mettait au lit.
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