Chapitre 16

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Je déambulais sans but dans mon appartement. Rien que le fait de savoir que je n’étais plus épiée me libérait d’un poids. Ça faisait déjà quelques heures que mon message s’était affiché sur le logiciel espion de mon harceleur. Evidemment, ce que je n’avais pas marqué, c’est que je savais aussi qui il était maintenant. Passer de son logiciel espion à la puce centrale de son ArmScreen n’avait pas été très compliqué. Ce type n’avait quasiment pas modifié les mots de passe et les règles de sécurité. Une attaque en force brute pour trouver son mot de passe ne m’avait pris que six minutes. Et s’il savait qui j’étais, ce n’était que justice que je fasse quelques recherches sur lui non ? Mais ce serait s’abaisser à son niveau et… Ce début de conscience morale fut soudain débordé par un pressant besoin d’assouvir la loi du talion.

Je m’installai alors devant mon terminal et je commençai à faire quelques recherches standards à partir de son nom. Keven Cordell. Rien que penser que je partageais mes initiales avec ce taré me dégoûtait. Je trouvai un profil sur un réseau social mais il n’avait pas reçu de mises à jour depuis plusieurs années. Cependant, il était toujours visible et pas mal d’informations étaient accessibles à tous. J’eus un sourire mauvais : les gens ne pensaient jamais à verrouiller leurs comptes sur les réseaux. Plusieurs rebonds sur divers sites m’en apprirent davantage sur lui. Son compte pointait aussi vers celui de sa mère, lui non plus, pas particulièrement protégé. Elle était professeur et semblait mener une petite vie paisible. Lui, par contre, restait tout de même assez peu présent sur le réseau global. J’en apprendrai peut être plus si je parcourais le réseau alternatif mais je n’avais pas vraiment envie de tomber dans l’illégalité. Je soupirai, faire toutes ces recherches ne m'apportait pas la satisfaction que j’avais espéré. Je décidai de partir m’oxygéner un peu. Je mis les fonctions de mon ArmScreen en pause pour ne pas être dérangée sauf une. Je l’avais programmée ce matin, juste après avoir piraté mon harceleur. C’était une sorte de détecteur. En gros, mon ArmScreen broadcasterait le numéro d’identifiant de l’ArmScreen de Cordell et en lui demandant de confirmer sa présence, comme si j’étais un routeur. S’il se trouvait à moins de 500 mètres de moi, son propre équipement capterait le signal et enverrait la réponse. A son insu bien évidemment. J’avais triplement sécurisé le programme bien que ce ne fusse pas nécessaire, c’était un voyeur, pas un hackeur. Ce serait presque offensant de le comparer à la cheville du hackeur de la Castle Bank tellement Cordell était à la traîne.

Je pus profiter de ma sortie sereinement puisque mon détecteur ne m’envoya pas de notification comme quoi le récepteur ciblé était proche. Au moins, j’avais été tranquille pour la journée. Rentrée chez moi, je remis toutes les fonctionnalités de mon ArmScreen. Je m’étais absentée que quelques heures pour errer en ville et j’avais reçu six appels de ma mère. Je n’écoutais pas ses messages et me dépêchais de la rappeler.

  • ...

Le son était distant et je n’entendais rien de distinct. Juste des voix étouffées. Des chuchotements peut-être. Je vérifiai rapidement le son de mon appareil.

  • Maman ?
  • Kaylin !

Le cri de ma mère me percuta les tympans. Je grimaçai. Je voulus éloigner l’écouteur mais ma mère commença à chuchoter.

  • Oh… ma chérie… tu …
  • Mais qu’est ce qui passe ? demandai-je, commençant sérieusement à m’inquiéter.
  • Il… tu… Heureusement tu vas bien…
  • Maman, dis-moi ce qui se passe. ordonnai-je.
  • Kaylin, chuchota-t-elle, est-ce que tu peux... empêcher les gens d’écouter ? Comme ce que tu fais à ton travail. Tu peux, n’est ce pas ?

J’étais abasourdie. Je restai sans voix. Ma mère m’appelait, criai puis chuchotai à tout va et maintenant elle me demandait de chiffrer notre communication.

  • Kaylin ? fit sa voix, suppliante. Inquiète.
  • Je… oui. Je dois raccrocher pour ça. Un numéro inconnu finissant par 936 va te rappeler, c’est moi. J’en ai pour une minute d’accord ?

Elle avait à peine acquiescé que je raccrochai. Je pianotai fébrilement sur mon clavier holographique pour amorcer la communication chiffrée et indiquai le numéro de ma mère dans le champ du destinataire.

  • Dis-moi ce qui se passe maintenant ? Où es-tu ?
  • A l'hôpital. Je suis dans la salle pour traiter les patients à risque épidémique, il faut un code pour entrer et c’est hermétiquement fermé. J’ai trouvé ça plus sûr… Oh Kaylin…

J’étais muette. Elle pleurait. Elle continua de parler quand même.

  • Quelqu’un a laissé un message anonyme pour moi à l’accueil. Ça disait que ce qui allait arriver était ta faute. Et que tu ferais bien de faire attention.

Mon sang se glaça.

  • J’ai...cru à une blague. De très mauvais goût. Mais… (elle s’arrêta pour renifler et reprendre son souffle). Ton père ne devait pas tarder à arriver pour sa garde. Il… était en retard.

Je me sentis pâlir davantage si c’était possible. Papa n’était jamais en retard. Jamais.

  • Il est arrivé… en ambulance… Huit coups de couteau.

Je pleurais moi aussi maintenant. Je sus.

  • Oh… Kaylin… Je… Il ne s’en est pas sorti.
  • Non… me lamentai-je.

Ce fut tout ce que je réussis à dire. Les mots étaient coincés dans ma gorge. Mon cerveau ne fonctionnait pas. J’étais glacée, figée.

  • Kaylin… le message disait que… tu serais la suivante… Mais qu’est ce qui se passe ?

Je ne pouvais pas lui dire. Je ne pouvais pas lui raconter ce qu’il se passait comme elle venait de le faire. Sinon, il s’en prendrait à elle ensuite. Mais se confier était terriblement tentant.

  • Je, je ne peux rien te dire.
  • Kaylin !
  • Ne discute pas ! Je ne peux rien te dire ! Tu pourrais être une cible après. Je ne pourrais pas te perdre aussi. Je vais gérer ça, d’accord ? Je m’occupe de tout. dis-je d’une voix que j’essayai d’être convaincante.

Je passai un long moment à chuchoter et à tenter de la dissuader de me presser pour en savoir plus. Quand je raccrochai enfin, j’étais vidée.

Une petite voix froide dans mon cerveau, celle-là même qui m’avait accompagnée et m’avait aidée à supporter tout ça pendant des mois, me disait à présent, qu’il fallait passer à l’action. Il allait payer.

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